Fétus de paille de femmes
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Fétus de paille de femmes
" Je sentais un cri infini qui passait à travers l'univers et qui déchirait la nature" Edvard Munch,1917.
Avant de s'engouffrer dans les eaux bleues des lacs tranquilles des fjords d'Oslo, une brindille issue d'une graminée encore inconnue des botanistes, retirait doucement son voile glacé de mélancolie, en ce début de printemps, ilot de lumière arraché aux ténèbres rouges et aux falaises tombant à pic. Elle flottait sous l'eau, amorphe comme un bras de méduse égaré en été, sous la houlette de quelques marins à pompon éméchés. Elle annonçait en son germe expressionniste le plus beau commencement d'une vie qui puisse se concevoir; et même si pour l'instant tout était encore minuscule dans ces univers de solitude larvée et reliés les uns aux autres par un souffle indicible, éthéré et émouvant. Cependant, aller à l'autre bout de la terre en pensée, admirer d'autres baies et rivages, d'autres maisons en bois, d'autres mers, d'autres infinis aux formes étranges, ne servirait pas à grand chose, si ce n'est de constater les symptômes de l'instabilité générale de notre planète avec laquelle nous devons désormais composer. Alors sur le pont d'Ekeberg, avec Edvard Munch, l'artiste norvégien en tête de proue, nous sommes emportés dans une crise d'angoisse existentielle que nous n'avons jamais jusqu'à présent connue et nous crions notre long désespoir en un immense hurlement rempli de cris.
Virginia Woolf redoutablement dépressive, avouera elle, qu'après avoir connu toute sa vie des drames à répétition, avec un brin d'herbe aux bisons des pays du nord, accroché au bord de ses lèvres: " La propension à recevoir des chocs est ce qui a fait de moi un écrivain " L'avoine odorante figurera aussi au fronton de notre nouvelle vie, comme un fétu de paille qui ne demande qu'à bruler et qu'une méduse gourmande aura remarquer tout en entrainant les plus fragiles d'entre nous, dans son monde souterrain de grosses gorgones assoiffées de cris et de douleurs. Elle jetteront par la fenêtre, les confinés se croyant pris au piège de l' internement à l'hôpital Sainte Anne. Méfions nous aussi des soeurs Euryalè et Stheinô ainsi que de leur redoutable cousine qui n'est autre que la chimère de l'Hydre de Lerne! Tremblez oh! mortels car leurs nombreux bras se transformeront en serpents venimeux qui siffleront toujours sur nos têtes nous amenant à songer que plus jamais rien de ce que nous avons connu pendant notre vert paradis d'enfance, ne pourra à nouveau voir le jour. Comme pour les 12 travaux d'Hercule, non dans le jardin des coupables Adam et Eve, nous pourrions envisager de tuer l'hydre que je compare à notre moderne Covid car comme cette créature à plusieurs têtes, il possède, le redoutable égaré, plusieurs couronnes sur la tête. Gare alors à celui qui se risquerait à les trancher! Elles se régénéraient doublement pour mieux régenter une deuxième vague de confinement encore plus épuisante que la première, l'haleine moisie par tant de scléroses déspérées.
Je vous propose de sortir de vos craintes et torpeurs en admirant une oeuvre forte et remarquablement dessinée par une grande et toute jeune artiste afghane: Kubra Khademi. Elle vous plongera avec delectation, encore mieux que ces lignes, dans son univers de rêves et de cauchemars, de délires et de peurs qui côtoient en se bousculant nos vieux démons, les ravages de l'enfermement prolongé, les mythes et les histoires à ne pas dormir debout mais peut-être en foetus retrouvé. Les artistes sont des précursseurs et nous aident à voir le monde, d'une autre façon. Avec ma petite " protégée "nous allons apprendre à rejaillir de nos cendres, de nos maladies, à nous secouer, car le diagnostique de la dessinatrice est sans appel: Nous devons retirer nos vieilles peaux de traumatisés et tels des mutants en lambeaux ou comme certains serpents, nous transformer avec force et courage, en dépit de cet invisible mal qui rode aux alentours de nos désirs, en des victorieux amoureux de la nature et de l'amour. Les dessins et les performances dans la rue de Kubra Khademi, nous font comprendre aussi que nous avançons tous dans la vie avec la même finalité, la même perspective: celle de ne plus dépendre des lois du marché économique ou financier. Vivre d'amour et deau fraiche est certes un immense soulagement, mais il faudra encore nous débrouiller avec cette nouvelle liberté au coeur de nos villes et sans nos frigidités coutumières. Nous engager dans le combat est son sloga, faire attention aux autres mais pas juste un petit instant car ce ne serait pas assez. L'injustice faite aux enfants, aux femmes, aux démunis, aux affamés, aux sans domicile, aux désépérés est insupportable. Les menaces pour toutes les libertés sont aussi détestables. Kubra Khademi parle dans ses dessins, tantôt zen de l'extrême-asie, tantôt auréolés de l'expressivité sud- aéricaine à la Fridda Khalo, en passant par le faux simple de l'art dit brut, de la persécution des femmes dans la société contemporaine afghane. Avec ce diable de virus, l'artiste nous autorise alors à nous libérer de nous même. Finalement, Jean-Paul Sartre n'avait pas raison: l'enfer ce n'est pas les autres mais bien le regard que nous nous portons. Je crois bien qu'au-delà du paradoxe, il faudra s'aimer avant de chercher à aimer.
Les révélations soudaines fabriquent toujours des orages sans cesse recomposés car il y a dans tout mythe un fond de vérité qui sommeille.
Jeanne Gabriel-Villeneuve