Au fin fond de la Cochinchine.
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Au fin fond de la Cochinchine.
L'avenue ne désemplit pas ce soir, en ce joli mois de mai conscacré à la déesse Maïa, aux fêtes en l'honneur de la nature, des fleurs, des sources, des eaux, et de la cohorte d'ancêtres mythiques et je m'étonne car le déconfinement n'est pas encore autorisé.
Je vois par ma fenêtre, des gens partir quérir d'immenses sacs remplis de riz blancs, de nems, et de bestioles étranges tenant des racines teintées d'Asie, tortueuses comme les doigts d'une sorcière qui gratterait la terre, à la recherche de pousses de soja, ou de rhizomes de gingembres géants poussant encore sur les murailles en friche de l'ancienne et illuste citadelle de Saigon, et je m'interroge. Où vont-ils ? Ce sont pour la plupart, des enfants sans âge chers à Jean Cassou, qui trimbalent des chats porte-bonheurs et qui me saluent joyeusement, derrière des haies de bambous avec au loin la place d'Italie comme toile de fond, toute scintillante des lumières de Paris et où des familles rivales se font la peau des nuits entières sans que la police n'intervienne, ayant comme principe de base, de ne jamais se mêler aux affaires des autres, surtout si elles appartiennent à des réfugiés non identifiables dans des pressings obscurs. Ils portent de lourds paquets rouges, tout en ayant laisser leurs mères grands dormir sagement avant les préparations du diner du soir. Elle rêvent en sifflant doucement comme de vieilles bouilloires, à la prochaine ouverture de leurs minuscules échoppes qui font office de restaurant avec pour menu des blancs de boeufs sautés au saté, des Bo Buns présentés dans des bols bleus et blancs, à motif de dragons assoiffés, la gueule ouverte, les griffes sorties et les écailles au vent, assaisonnés à la sauce vietnamienne composée de tongs broyées, morceaux d'ombrelles et paréos déchiquetés.
J'ai remarqué, qu'à l'entrée de ce quartier, trône un immense bouddha doré aux yeux mi-clos, gené me semble t-il par les vapeurs doucereuses émanant des cuisines et par le creusement spectaculaire de son gros ventre bedonnant, dans lequel une main habile a dégagé des clapiers à lapins indochinois, serrés comme des sardines dans leur boite en métal et l'a transformé en estomac; son deuxième cerveau. Au dessus, à vol doiseau, on peut découvrir que son crane chauve est découpé à ciel ouvert pour laisser s'ébattre de grosses carpes de belles-mères à moustaches, bilingues et rapportées tant bien que mal par des missionnaires portugais qui ne buvaient pas que du thé vert toute la sainte journée et qui ne pouvaient de ce fait, qu'avoir un tournis phénoménal et qu'entendre le claquement de leur panse pleine à craquer de bulles d'un liquide aphrodisiaque, aérien et réservé aux grand voyageurs empruntant la route de la soie, à bicyclette.
A coté, dans des préfabriqués, conçus de bric et de broc, habitent des familles recomposées en quête de changement de vie et rêvant à qui mieux mieux, à l'espace dévolu dans les tours en chenille ou en béton, érigées à la va vite par des ingénieurs peu soucieux de payage urbain ou d'écologie. Ils songent aussi à ne plus faire la queue dans des épiceries bondées de bézoards, et d'autres bazars à petits bouddhas grassouillets et néanmoins souriants. Certains, ont un joli sourire avec des dents comme des petites perles d'eau douce, et des breloques bon marché autour du cou, assis, ravis sur des petits coussins carrés de couleur, dans la fumée de l'encens au patchouli et les dons d'organes d'oranges et de mangues, sous des pagodes de bois laqué, réalisées en série à Taiwan par des petits canards bavards comme des pies. Je suis impressionnée par le service solennel chaque matin déployé, pieds nus, mains jointes dans des psalmodies sans fin. Mais selon les rapports sérieux et secrets du Haut Commissariat des Nations Unies, ces statuettes auraient embarqué avec des boat people et sous le manteau de Saint Martin lui aussi égaré. Mais ils ne savent plus très bien faire la part de la vérité et du mensonge. Ce qu'ils savent correctement en revanche, c'est qu'au cours de leurs maraudes dans leurs voitures déglinguées avec une jolie sirère en guise de champignon bleue sur le capot, le soleil se lève et se lèvera encore et toujours au Pays du Milieu. C'est donc, en vain que nous essayerons d'en démontrer la fausseté. Je crois pour ma part, que toutes les vérités sont toujours bonne à dire et que rien ne sert de se voiler la face. Non, on ne s'en lève pas les mains, mon cher Ponce Pilate! Nous sommes tous concernés et tous dans le même bateau! Fluctuat nec mergitur est bien la locution latine utilisée comme devise par Paris.
J'ai été aussi frappé par un tableau sur lequel mes impressions et mes idées, se succédaient inconsciemment et sans trêve. Je crois bien avoir reconnu une cascade qui coulait plus vraie que nature, éclairée par derrière d'un magnifique soleil de l'Empire du Levant, transformé pour l'occasion en ordinaire ampoule peinte en rouge. Je suis restée longtemps fascinée par cette idée de faux mêlé à la réalité et je me demandais si en touchant cette eau des doigts, ils en sortiraient mouillés? C'est bien Epicure ou Lucrèce (moi aussi, j'ai la tête mal vissée ou l'ayant perdue dans les labyrinthes de l'hôtel de ville) qui insistait sur le fait que contrairement aux apparences, ce n'est pas la sensation visuelle qui est trompeuse mais l'interprétation que nous en faisons, dans les émissions de ses vibrations! J'aimerais avoir ce genre de paysage réinterprété dans mon logement, chez moi, au dessus de l'évier de ma cuisine. Ce n'est pas de très bon goût certes, mais cela donne envie de voyager et c'est le principal, non? Si ma cascade sent en plus les fleurs de rocailles et que l'eau qui s'écoule à la température qui convient à mon tempérament, c'est encore mieux. Je serais transportée en un temps plus rapide qu'il ne faut pour le dire, au pays de nul par. Toutefois, mes sens n'ayant pas la capacité de tout contrôler, il faudrait que je choisisse entre la cascade onirique ou la fontaine à écoulement d'eau continu avec petit réservoir incorporé recyclant ainsi le liquide jusqu'à son évaporation, dans les cabinets pour âmes en souffrance. De toute façon, nos vies s'écrouleraient inévitablement ,si nous ne faisions pas confiance à nos précicipes mentaux et à leurs associations d'idées. Et c'est ainsi que je suis rentrée sans me méfier dans une de ces boutiques à bricoles colorées qui bordent l'avenue dans les deux sens. Sur la tenture était imprimée en lettres d'or: " Bienvenue, à Little Asia "
Derrière tout un amoncellement de produits divers composé: d'azukis, de mélanges de baies, de fioles de ginseng, de sauce Nuoc Nam, de feuilles de riz, des pâtes de piments verts et rouges, de galanga séché, de Gio Dac Biet (pâtés vietnamiens au porc), de lait de coco, de pousses de bambou, de pâtes de tamarin, de fruits de jacquiers verts en saumure, de kimchi de chou, de champignons Enoki petits, ronds et mignons, de feuilles de moutarde, de graines de lotus, des extraits étranges de Yann ag, des prunes salées en bocaux, des huitres en conserves, des chips aux crevettes, des feuilles d'algues, des petits pois wasabi, du boeuf piquant Jerky, et derrière tout ce fin fond fin d'une Cochinchine de mystères, j'ai supris, en plein émoi, un couple en train de s'embrasser avec un masque sur le visage, et j'ai immédiatement pensé au "Baiser " de gustave Klim, peint en 1908!
Lui, le Fils du Ciel, portait magnifiquement un kimono assez court, vert pomme, avec un dragon coréen à 4 griffes, brodé au fil d'or dans le dos, (les chinois en ont 5 et les japonais 3). Sur celui de la Fille du Ciel, j'ai cru apercevoir plutôt un crocdile à tête de panda jouant sur un nuage blanc. Ils étaient charmants, seuls au monde dans leur bulle romantique, leur vêtement formant une sorte de tendre cape nuptiale. La terre pleine de virus pouvait ne plus tourner autour deux, ils s'en moquaient superbement. D'ailleurs je vous l'affirme en passant, que cet entelacement n'aurait pas déplu à Edith Piaf toujours embarassée de sa dégoulinante et sempiternelle vie en rose éternellement jouée dans bals musettes. ils étaient juste silencieux derrière ce tas de conserves perimées, dans un temps suspendu comme un hors d'âge intergalactiques. Comment ne pas succomber à ce spectacle de charme, symbole de la toute puissance de l'amour éternel mais si fragile? Comme je les enviais d'être ainsi, juste ensemble et se protégeant mutuellement des affres du dehors. Voilà pourquoi j'ai immédiatement reconnu l'autre couple autrichien sur fond d'or, véritable ode à l'amour sur un parterre fleuri si délicat qu'il inspire sentiment d'éternité et de de puissance. Je ne voyais pas (comme sur la composition de Klim), le visage de l'homme, mais la femme semblait être en porcelaine, jeune détendue, amoureuse, le teint blanc et poudré avec les yeux fermés. Un désir sourd et innéfable en dessinait les contours ravissants.
Comme les 4 pierres précieuses que sont le diamant, le saphir, le rubis et l'émeraude, les dragons précieux et sacrés de la Corée, de la chine et du Japon confondus sont sortis de leur tanière en tissu et se sont déroulés dans les méandres d'un rituel encore inconnu en occident sur les murs de la petite pièce, pour former une jolie ronde avec les 3 autres animaux sacrés et protégés que sont: le Phénix (Feng Huang), la licorne (Qilin), et la gentille et lente tortue en une projection tournoyante et terrible. Je n'hallucinais pas pourtant, car j'avais bien appris pendant mes cours d'histoire de l'art rue Michelet, que les dragons dans les civilisations asiatiques étaient des êtres bienveillants et qu'ils habitaient des légendes qui les font remonter de longs fleuves boueux tout en fumant l'opium et en jouant au majong sous de grands chapeaux de pailles de riz.
Alors que dans les mythes du Moyen-âge, au contraire ces animaux fabuleux sont de véritables tortionnaires démoniaques avec des fourches caudines sous la broussaille de leurs lourds sourcils. Combien de princes vaillants et valeureux à califourchon et brinquebalant sur leurs fiers destriers ont chercché dans les eaux troubles de l'Europe, des peignes d'ivoire et d'or fin pour les offrir à leurs belles promises aux longs cheveux bouclés d'or façon Barbie et assouvir ainsi leur désir de vengeance sur la gente masculine? Mais le dragon terrible veillait aux grains! On sait tous que ces donzelles faisaient exprès de balancer leurs peignes par dessus bord afin de tester leurs prétendants. Que le meilleur gagne! En cela les enfants de l'ecole de Freud l'ont bien compris en jetant aussi leurs jouets par dessus les barreaux de leurs parcs afin d' éprouver la soumission de leurs parents à vouloir les ramasser. A moins que cela ne fusse pour comprendre les lois de la gravité! Qui sait ce qui se passe dans la tête des enfants, ce sont les étapes incontournables du développement personnel crient les thérapeutes agacés par tant de déraison. Mais Dolto disait que l'enfant était roi et qu'il ne fallait pas, en même temps accomplir leurs 4 volontés. Bon, revenons à nos chevaliers poussiéreux, cette course à l'abîme était tout de même d'une belle chevauchée étourdissante et les princesses tombaient comme des mouches dans leurs bras ne voyant pas leurs dents cassées à chercher cet accessoire de beauté entre deux flots glacés mais surtout avec une couronne de pierreries transormée en vol-au-vent. Que de sacrifices à accomplir pour demander le pardon du Dieu Amour de toutes leurs vilenies et péchés mortels! J'ai découvert, l'autre jour un de ces magnifiques peignes, digne d'une coiffeuse de chambre privée ou d'une console d'entrée, il était signé René Lalique et était ouvragé d'un magnifique brin de muguet avec de nombreuse clochettes porte-bonheurs. Une telle passion pour chercher ces objets rares peut étonner chez ces jeunes hommes des générations passées, emperruqués et empesés du col mais vous le savez bien maintenant: la passion résiste toujours à la mode et au temps qui passe et nous aurons toujours des Juliette et Roméo, des Orphée et Eurydice, des Iphigénie en Tauride, des Harold et Maud en Italie, à consoler.
Enlevons nos bien-aimés et bien-aimées dans un duel sans rival!
Oublions ce vieux savant de Faust qui signe un pacte avec le diable ou le dragon c'est pareil!
Retrouvons alors notre jeunesse et notre lyrisme sur fond de cor anglais, et dans les magnifiques arabesques d'un orchestre invisble et tonitruant!
Tant pis surtout pour Berlioz qui accusera le coup en se transformant en oiseau de proie à la recherche lui aussi et comme nous tous d'ailleurs d'une belle épopée d'amour sauvage et bien enlevée!
Jeanne Gabriel-Villeneuve.