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Pourquoi la langue française est-elle si compliquée ?

Pourquoi la langue française est-elle si compliquée ?

Publié le 21 mai 2023 Mis à jour le 21 mai 2023 Culture
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Pourquoi la langue française est-elle si compliquée ?

Origine de la langue française : un peu d’histoire

Comme toute langue, le français s’est construit au fur et à mesure des siècles et il a évolué, pour le meilleur et pour le pire.

La langue française est issue du latin populaire (celui des Romains, les vainqueurs de la guerre entre Rome et la Gaule), qui a supplanté le gaulois (la langue du peuple vaincu), lui-même d’origine celte et qui fut influencé par la suite par la langue des Francs, peuple germanique qui envahit la Gaule après les Italiens. Ensuite, notre langue a été enrichie, pendant deux millénaires tout de même, des emprunts faits à l’espagnol, à l’arabe, à l’anglais, etc.

Quand on parle de langue vivante, on n’exagère pas, les influences furent nombreuses !

Concernant l’écrit, il faut se remettre dans le contexte de l’époque, le Moyen Âge, et se rappeler que l’écriture était quelque chose de rare. Peu de personnes savaient écrire. Il s’agissait souvent de moines, qui transcrivaient, à la bougie, avec une plume, sur des supports précieux (du vélin par exemple), des textes divers, principalement religieux au début. 

L’erreur étant humaine, les premières anomalies orthographiques sont apparues suite à de mauvaises transcriptions.

Ensuite, des lettrés latinistes ont modifié l’orthographe pour rappeler la racine latine de certains mots, ce qui a donné des choses qui peuvent sembler étonnantes si l’on n’en connaît pas l’origine.

Par exemple, jadis, le corps humain s’écrivait « cor » comme on le prononçait, simplement. On a ajouté un « ps » qui ne se prononce pas pour rappeler l’origine latine du mot « corpus ». Idem pour doigt qui s’écrivait « doi » et pour lequel on a fait référence à « digit » en ajoutant un « gt ». Le mot vœu s’écrivait « veu », mais l’origine étant « votum, on a créé un « e » dans l’« o », une nouvelle graphie, à l’instar de l’esperluette (&) qui n’est autre que la contraction de « e » et de « t ». On gagnait du temps à écrire, de l’encre et de la place sur le précieux support.

C’est ce gain de temps et de matériel, par exemple, qui a donné le « x » qui représente un « us », très fréquent en latin, que l’on transcrivait par une sorte de « 8 », ancêtre du « x » dont on a effacé la base et le sommet. C’est aussi comme ça que bijoux, hiboux, genoux, cailloux, joujoux, choux et poux sont devenus des exceptions, parce qu’ils ont été mal retranscrits !

En 1539, le français est devenu la langue obligatoire de tous les écrits officiels (ordonnances, contrats, testaments, etc.) à travers l’ordonnance de Villers-Cotterêts et 10 ans plus tard, la Pléiade édita son texte pour la « Deffence et illustration de la langue françoyse » (que l’on prononçait française, mais qui s’écrivait « oyse » ; ce n’est qu’en 1835 que l’on a fait le nécessaire pour modifier l’orthographe en collant à la prononciation).

En effet, le temps passant, la prononciation du français s’est détachée du latin oral et l’alphabet latin n’a plus suffit pour retranscrire à l’écrit les nouveaux sons utilisés par le peuple car la langue française comprenait 30 voyelles contre 5 pour le latin (a, e, i, o, u). L’Église ne voulant pas modifier l’alphabet originel de la Bible, en ajoutant des accents par exemple (qui ne sont apparus qu’après 1742), on a trouvé d’autres astuces pour pallier cet interdit religieux et on a créé des règles comme le fait que le « e » devant un « z » comme dans « nez » devait faire le son « é ». On a aussi doublé des consonnes pour faire le son « è » comme dans « j’appelle », on a donc complexifié davantage l’orthographe.

Au XVIIIe siècle, on a distingué officiellement le « u » du « v » et le « i » du « j ». Auparavant, ils étaient une seule et même lettre, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils se suivent dans l’alphabet actuel. Vous avez peut-être déjà vu écrit aux frontons de certains vieux monuments le mot « Répvbliqve » écrit avec des « v ». Vous avez, en tout cas, au moins lu un album d’Astérix où les « u » sont remplacés par des « v ». Le « v » était la majuscule du « u » et on l’utilisait en début de mot alors que le « u » prenait place au milieu. Ainsi, « vivre » s’écrivait « viure », mais se prononçait bien vivre : de quoi s’arracher les cheveux.

Avec l’imprimerie est apparu un besoin accru de codification de la langue, qui a été confirmé par la création de l’Académie française en 1635 par Richelieu. L’Académie est un organe indépendant de l’État qui n’a pas fixé l’orthographe mais l’a réformée au fil des ans, en tenant compte de l’étymologie des mots, de la prononciation et surtout de l’usage (usage qui prévaut car si nous faisons tous la même faute, au bout d’un certain temps elle devient la norme, je ne me lasse pas de cette règle !).

 

La difficulté du français

La difficulté du français réside, entre autres, dans le fait que l’on n’écrit pas comme on prononce (corps, doigts, etc). Autrefois, on prononçait le « e » d’amie (a-mi-e), ce n’est plus le cas, de même que le pluriel, le « s » ou le « ent » des verbes ne s’entendent pas.

Si vous dites la phrase « les petites brises la glacent » (le vent la transit de froid), vous réaliserez que vous pourriez également l’écrire «les petites brisent la glace » (les enfants rompent le silence, ou font des glaçons) en fonction du contexte, trois significations qui n’ont rien à voir alors qu’oralement, c’est identique.

Le français contient également beaucoup d’exceptions aux règles. Rappelez-vous les cours de grammaire de votre enfance : tous les verbes en « ap » prennent deux « p », SAUF apercevoir, apostropher, aplatir, aplanir, apaiser, apeurer et apitoyer. Le fameux « sauf » qui a fait des petits Français les rois des moyens mnémotechniques pour tenter de se souvenir des règles et de leurs exceptions. Une double peine en quelque sorte.

Enfin, on se demande parfois d’où viennent certaines règles, absolument infernales. Prenez le mot « gens » par exemple, toujours au pluriel mais qui varie en genre :

  • De bonnes gens : adjectif épithète qui précède, donc féminin pluriel.
  • Des gens bons: adjectif épithète qui suit, donc masculin pluriel.
  • Ces bonnes gens sont naïfs: adjectif attribut ou participe, donc masculin pluriel.
  • Heureux les gens : l’adjectif n’est plus épithète à cause de « les », donc masculin pluriel.
  • De méchantes vieilles gens : si deux adjectifs précèdent « gens » et que celui qui le précède immédiatement n’est pas épicène (n’a pas le même féminin/masculin), alors les deux se mettent au féminin.
  • Ces prétendus braves gens, de vrais honnêtes gens : si deux adjectifs précèdent « gens » et que celui qui le précède immédiatement est épicène (même féminin/masculin), alors le premier se met au masculin.
  • De prestigieux gens de robe : l'adjectif (même s'il est placé immédiatement avant le nom !) se met également au masculin lorsqu'il est suivi d'un complément.

On aurait voulu faire compliqué, on ne s’y serait pas pris autrement !

 

La question légitime que l’on s’est tous posée : aurait-on fait exprès de complexifier notre langue ?

Au Moyen Âge, les élites qui comprenaient le latin et savaient l’écrire voulaient conserver leur rang social en maintenant le peuple dans l’ignorance. Et même si Charlemagne en rendant l’école obligatoire a donné accès à l’éducation à davantage de monde, cela restait limité, car les enfants quittaient l’école relativement tôt. Savoir déchiffrer quelques mots suffisait à la vie quotidienne de la plupart des gens.

Il faut se rappeler que le latin était la langue des érudits, du clergé, non comprise par la majorité des Français qui assistait pourtant à la messe dans cette langue…

Imaginez ! En 1694, dans les cahiers préparatoires du tout premier dictionnaire de l’Académie française, il était écrit : « L’orthographe servira à distinguer les gens de lettres des ignorants et des simples femmes ».

On peut en déduire que même si, à cause de ce qui précède, la langue française était déjà compliquée, on n’a rien fait pour la simplifier, à dessein.

Quid de la réforme de l’orthographe de 1990 ?

Il y a eu plusieurs tentatives de réforme au cours des siècles, mais aucune n’a vraiment abouti. Les grands principes de la réforme de l’orthographe de 1990 (qui concerne 2400 mots sur 90 000 selon Le Robert) sont les suivants :

  • L’introduction d’un trait d’union dans tous les nombres, même s’ils sont supérieurs à 100 et liés avec un « et ». Que l’on m’explique en quoi écrire « sept-mille-trois-cent-vingt-et-un » est plus simple que « sept mille trois cent vingt et un » ? Oui, parfois je peux être de mauvaise foi.
  • La soudure d’un certain nombre de noms composés (portemonnaie, pingpong, etc.). Un certain nombre, mais lesquels et pourquoi ceux-là ?
  • L’harmonisation du pluriel des noms composés avec celui des noms simples (un perce-neige, des perce-neiges, un garde-malade, des garde-malades, etc.). MAIS des prie-Dieu car il y a une majuscule, et des trompe-l’œil car le dernier nom est précédé d’un article, ce serait trop simple sinon.
  • La possibilité de supprimer certains accents circonflexes sur le « i » et le « u » (voute, traitre, paraitre, huitre, etc.). MAIS on les laisse à Nîmes, sûr, dû, mûr et à jeûne pour ne pas les confondre avec leurs homophones ainsi qu’à tous les verbes à certaines formes.
  • L’accent grave sur le « e » remplace l’accent aigu quand il est précédé d’une autre lettre et suivi d’une syllabe qui comporte un « e » muet (évènement, cèleri, sècheresse, règlementaire, etc.). Il faut déjà comprendre l’énoncé compliqué de la règle qui signifie simplement que l’on accentue comme on prononce depuis bien longtemps.
  • L’application des règles usuelles d’orthographe et d’accord aux mots d’origine étrangère (des imprésarios, un diésel, les médias, etc.). On fait juste l’inverse de ce qui existait jusque-là.
  • La rectification de quelques anomalies graphiques (charriot, imbécilité, nénufar, ognon, relai, etc.). Quelques ! Et les autres ?

Non seulement peu de mots (et de règles) sont concernés, mais en plus il y a autant d’exceptions que dans les règles « standard », où est la simplification ?

Qu’en est-il réellement de cette réforme 33 ans après ? Dans les faits, aujourd’hui, elle n’est pas appliquée par la majorité des auteurs (ni des correcteurs), simplement parce que certains mots « sonnent » faux quand on les écrit différemment de ce que l’on a appris à l’école.

Peut-être qu’avec les années les nouvelles générations s’empareront de ces « simplifications », peut-être pas, il semble qu’il soit trop tôt pour tirer une conclusion.

L’Académie française a d’ailleurs fait preuve de prudence en mentionnant que « l’orthographe actuelle reste d’usage » et que ces règles ne seront applicables que si l’usage confirme leur appropriation par les Français. À l’instar de l’institution, pour l’instant les dictionnaires ne font que les indiquer mais conservent la graphie usuelle.

 

L’écriture inclusive : nous ne sommes pas sortis de l’auberge !

Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons inventé l’écriture inclusive. Une écriture illisible à l’écrit, imprononçable à l’oral et absolument incompréhensible dans une phrase longue (ça fait beaucoup de préfixes privatifs).

Nous nous infligeons même la possibilité de formes différentes : avec un point médian (délégu.é.es ou délégué.es), avec un tiret (délégué-es), avec des parenthèse (délégué(e)s), avec une majuscule (déléguéEs).

En grammaire, dans les énumérations notamment, on peut également choisir différents accords :

  • Un accord de proximité (accord du verbe avec le dernier mot d’une énumération). « Les lecteurs et les lectrices sont contentes. »
  • Un accord de majorité (accord du verbe avec le composant au pluriel). « Les filles et Guillaume sont belles. »
  • Ou, presque plus simple, l’ordre alphabétique. « L’égalité femmes-hommes ; les lycéennes et les lycéens».

Cette écriture perdurera-t-elle ? Je n’en suis pas certaine. Le Premier ministre, Edouard Philippe, a écrit une circulaire dès novembre 2017 limitant l’utilisation de l’écriture inclusive, dans le Journal officiel par exemple, pour « des raisons d’intelligibilité et de clarté de la norme ». Tout est dit.

En tout cas, une chose est sûre, la langue française n’a pas fini d’évoluer et de fournir de grands moments de joie aux correcteurs que nous sommes. L’intelligence artificielle qui nous remplacera n’est pas encore programmée.

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Commentaires (2)

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Bernard Ducosson il y a 10 mois

"Waouh", désolé Alexandre, il y avait des vocables "plus français d'origine" comme SUBLIME par exemple, pour sanctionner un sujet aussi bien maîtrisé !

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