La tornade
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La tornade
Editée dans un recueil collectif pour lutter contre la violence conjugale vous pouvez en bénéficier grâce à votre soutien ici.
La violence n’est pas innée chez l’homme. Elle s’acquiert par l’éducation et la pratique sociale, Françoise Héritier.
Le cyclone était passé au-dessus d’elle sans encombre pour le moment, mais elle n’était pas tirée d’affaire pour autant. Elle ne le connaissait que trop bien et se savait dans l’œil. Un calme relatif avant un nouveau déchaînement de sa furie masculine. Il avait un nom, Pascal, et c’était son mari depuis huit ans.
Comme de nombreuses femmes dans sa situation, elle se refusait le statut de victime. Il y avait toujours un prétexte à excuser ses accès de violence. Parfois cela allait même au-delà, parfois, elle se disait que c’était elle la coupable. Un repas froid, une parole coupée, les pleurs de leur fille, autant de justifications aux coups qu’elle recevait. Si son père avait été encore là, il n’aurait d’ailleurs pas manqué de lui dire qu’elle n’était qu’une tête à claques. Sa phrase de prédilection était que l’intelligence sautait de temps en temps une génération et qu’il en avait accepté le fardeau en la regardant grandir.
Une assiette décolla de la table sans sommation. Elle tournoya un instant au-dessus de l’évier, éjectant son contenu en tous sens, et sans pouvoir rattraper sa vrille alla s’écraser contre la faïence. Une fissure de plus zébra le carrelage, les débris de porcelaine s’éparpillèrent sur le sol et une tache de sauce tomate dessina un papillon au-dessus du robinet. Il criait de nouveau. Elle ignorait pourquoi il avait repris, elle savait même plus pourquoi il avait commencé. En revanche, elle savait que l’œil était passé et qu’il lui fallait surtout ne rien dire sinon Pascal gagnerait en puissance. Ses chances de s’en sortir avec une seule gifle était forte. Cependant, si elle émettait ne serait-ce qu’un son, ce serait assurément le coup de poing.
Lentement, elle s’éloigna de la table et posa la marmite dans l’évier dans lequel s’écoulait le jus du ragoût de pomme de terre. Et, Natacha ! Mon Dieu, n’importe lequel, faites que Natacha ne se réveille pas. La dernière fois qu’elle avait pleuré, il avait cogné plus fort. Elle avait alors eu droit à maquiller les murs du sang de ses arcades sourcilières jusque dans la chambre de sa fille. C’est d’ailleurs le lendemain qu’elle s’était coupé les cheveux pour équilibrer la poignée qu’il lui avait arraché.
Natacha se réveilla.
La tornade se rua sur elle avec la violence d’une F4 sur l’échelle de Fujita. Elle n’eut pas le temps de supplier mentalement sa fille de se taire qu’elle fut soulevée et projetée contre la porte fermée de la cuisine. Le choc fut suffisamment violent pour qu’un craquement retentisse. Qui de la porte ou de sa cage thoracique avait cédé, il était trop tôt pour le dire. La peur, l’adrénaline atténuait la douleur. Elle répondrait à la question plus tard. En se laissant glisser au sol, elle savait qu’elle allait être cueillie une deuxième fois par la poigne de Pascal.
Ce fut le cas.
Il s’empara de son reste de chevelure et lui racla le visage contre le bois écaillé jusqu’à ce que ses pieds ne touchent plus le sol. Elle eut la réponse à sa question, car la peau de sa joue qui se déchira ne lui laissa qu’une vague idée de douleur comparée à celle qui fusa dans son corps. Les pommes de terre ! Les pommes de terre n’étaient pas assez cuites ! Elle s’en souvenait maintenant. Comme quoi son père avait raison, il fallait lui taper la tête pour que ça rentre dans sa caboche. Pas assez de sauce, et les pommes de terre n’étaient pas assez fondantes.
Elle n’eut pas le loisir d’afficher un sourire triomphal quant à sa découverte. Le temps d’y penser et elle avait de nouveau valsé au travers de la cuisine pour aller taper contre le lave-vaisselle, enclenchant le programme économique en se déboîtant la mâchoire. Natacha hurlait ou alors c’étaient ses côtes. Est-ce qu’une côte peut hurler ? Elle n’en savait rien. En revanche, Pascal hurlait lui. Un mélange de ferme ta gueule salope, ou ferme ta gueule putain de connasse, et de, tu vas arrêter de chialer ! Dans tous les cas, ça n’était pas contre elle qu’il hurlait puisque sa mâchoire pendait. À moins que ce soit parce qu’elle chialait. Natacha, elle, battait tous les records. Elle criait et pleurait à en s’étouffer. D’ailleurs pourquoi il ne l’envoyait pas s’occuper d’elle ? Il était assis là contre le mur mitoyen de la chambre de la petite. Elle le voyait tout ratatiné, à moitié caché derrière une de ses incisives qui avait dû s’échapper de sa mâchoire et trainait là, par terre, ensanglantée. Sans doute la fracture de la mâchoire était plus probable qu’un simple déboitement. Mince, elle avait sous-estimé la force. C’était une F5. Complètement disproportionnée d’ailleurs par rapport à la dernière qu’elle avait subie de cette force-là, puisque c’était pour avoir brûlé le col de sa chemise. Rien à voir avec des pommes de terre pas assez fondantes. Il faudra revoir la classification. Mais, pour le moment, le luxe serait surtout de parvenir à dormir. Pas facile avec cette douleur et ce froid.
La douleur était insupportable. Un œdème se formait à son annulaire, il avait dû se replier les doigts en la lançant contre le lave-vaisselle. Et ça la faisait rire ! Non, mais sérieusement, elle est en train de se marrer là avec sa gueule grande ouverte ! Il se leva d’un bond et comme pour un tir de penalty lui décrocha un puissant coup de pied au niveau du nez. La mâchoire suivit avec un temps de retard, toutefois l’ensemble alla s’aplatir contre la porte du réfrigérateur, faisant glisser tout le corps de son ex-femme sur le carrelage maculé de sang.
Pour sûr, c'était son ex-femme. Quoiqu'ex tout court était plus approprié vu qu’elle ne ressemblait plus vraiment à une femme là. Elle était fondante ! C’était le mot et ça le fit franchement marrer. Elle était plus fondante que ces saloperies de pommes de terre ! Pour s’en assurer, il incrusta la marque de sa semelle sur ce qui restait de visage et confirma la chose : elle était fondante ! Quelle conne. Elle avait réussi à le foutre dans la merde. Il était veuf et meurtrier. Tout ça parce que madame n’était pas fichue de prendre sa pilule correctement ! Incapable de baiser sans tomber enceinte, incapable d’avorter, incapable de faire cuire des pommes de terre et incapable de faire taire sa putain de gosse qui aurait dû être avalée au lieu de grossir dans ses entrailles ! Hors de question qu’elle gagne. Hors de question d’aller ramasser des savonnettes dans les douches d’une prison minable.
Aussi rouge que sa mère. Toutefois, une plus grande gueule. C’est fou comme une si petite bouche peut produire autant de bordel. Elle gesticule beaucoup plus aussi. Ça n’est pas une gigoteuse qu’il lui faut à cette petite, mais une camisole ! C’est ça, une camisole et un bâillon, monsieur le juge ! Ça devrait être fourni avec le livret de famille ! En tout cas le beau-père avait raison, ça sautait bien une génération. Même pas foutu de faire taire sa gamine alors qu’il lui avait suffi, à lui, de débarquer au-dessus du lit pour qu’elle la ferme. Elle pigeait vite, elle au moins. C’est con, elle aurait pu faire une bonne épouse. Enfin, pas là avec sa bouille toute rouge et ses deux billes à la place des yeux. Les mêmes yeux que sa mère, pleins de jugement. Regardez-moi ça ! Ça ne sait pas parler que déjà ça se permet de juger ! Et dire qu’elle a failli m’avoir en fermant son clapet. Toutes les mêmes putains, c’est génétique. Putain, tu vas aller la rejoindre ta génitrice et crois-moi que tu vas moins la ramener après.
Marie Bulsa il y a 11 mois
Je connais cela avec une amie qui m'en a voulu longtemps de lui avoir envoyé un ami inspecteur. Il l'a aidée à fermer cette page. C'est comme si je l'avais dénoncée, elle. Elle a compris que les autres hommes ne donnaient pas de coups. C'est terrible. Bravo et merci.
Jean-Christophe Mojard il y a 11 mois
À la demande d’un groupe de femmes engagées dans ce combat contre les violences conjugales, car cela en est un, nous étions deux hommes à collaborer par l’écriture. Je me suis inspiré d’une amie que j’ai aidée à se libérer des griffes d’un homme violent. Ce texte est un peu ce qui lui serait arrivé.
Parallèlement, tu as raison, il est aussi nécessaire de mettre en avant que tous les hommes ne sont pas violents, et cela devient de plus en plus difficile.