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Juin - 5

Juin - 5

Publié le 14 août 2023 Mis à jour le 14 août 2023 Culture
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Juin - 5

« Il y a une histoire qui n’est pas connue en dehors de la communauté druze. Elle passe pour être légendaire mais je peux vous assurer qu’elle est vraie car j’en ai été témoin - en tout cas, d’une partie. Cela s’est passé en 1976, à Aley. Je n’avais que six ans à l’époque mais je m’en souviens parfaitement. Le bruit s’était répandu que les Junblat et les Arslan souhaitaient se concerter et cherchaient une médiation pour échanger leurs points de vue. A l’époque, la Syrie avait envahi une partie du territoire et la menace de voir disparaître le Liban et ses cultures était grande. Les Arslan représentent la partie patriotique historique, descendant du courant yazbaki, et très attachée à l’indépendance du Liban et à la survie de la coexistence pacifique confessionnelle du Chouf. Ma famille, je l’ai appris plus tard, est liée au courant yazbaki. La famille Junblat au contraire, d’origine kurdo-syrienne, voyait d’un bon œil une alliance avec l’envahisseur syrien pour participer au projet de grande Syrie qui permettrait à l’ensemble des druzes de vivre sur un même territoire. Les deux familles s’opposaient donc en tout et divisaient la communauté elle-même. C’est pourquoi ils firent appel au patriarche, le za’im, de la famille Tannoukhi. Cette famille avait produit les premiers cheikhs druzes au XIVe et jusqu’à la fin du XVe siècle. Puis, les alliances politiques l’ont affaiblie et elle ne jouissait plus d’aucun ascendant dans la vie spirituelle depuis des siècles. Seul son nom persistait à travers les histoires. C’est ainsi qu’un soir, Faysal Arslan et Kamal Junblat arrivèrent à Aley pour rencontrer Jules Tannoukhi. Il n’avait que trente et un ans et se retrouvait en charge d’une situation qui le dépassait complètement. Il avait à peine fini son initiation comme cheikh spirituel. Comme vous le savez, chez nous, il faut être initié pour être druze, ce n’est pas tout d’être né druze, il faut encore suivre le chemin pour devenir ukkla. Cela peut être très long. Mais Djalil était très investi et pieux. Son père, qui je crois s’appelait également Jules ou Djalil, était devenu un ascète reconnu, un membre des cheikhs bleus d’Al-Bayyaba à Hasbaïa. Hélas, il était décédé deux ans auparavant en lui léguant le « trésor des Tannoukhi », un collier en or où cinq cèdres se croisent pour symboliser les cinq piliers druzes. Il y en aurait un en or, un serti de rubis, un de saphirs un de diamants et un d’émeraudes, à ce qu’on m’a raconté. Ce bijou, confectionné par Saïf ed-Din Tanoukh était dans la famille depuis le milieu du XVe siècle, circulant de père en fils. Il asseyait l’autorité de la bayt Tannoukhi au sein de la communauté, du moins en apparence. Il n’est pas dit que le vieux Djalil ait pu mieux régler cette affaire que ne fit son fils. »

Ses apartés sur la religion druze perdaient un peu Isidore. Il ne connaissait pas bien le fondement de cette secte. Il savait que la communauté était fermée mais il ignorait son fonctionnement interne et avouait ne pas savoir quels étaient les grands principes du druzisme. Hicham Hakim ne s’attardait pas sur ces détails et poursuivit son récit.

« Ainsi, nous avons vu arriver à Aley le grand Kamal Junblat et le prince Arslan. Il faut imaginer ce que cela signifiait à l’époque. Kamal Junblat était l’homme fort du Liban, il était célèbre et connu de tous les chefs d’État alentours. Le prince Arslan était de son côté le représentant historique de tous les druzes depuis près de neuf siècles, depuis la révélation d’Al-Hakim au début du XIe siècle. Ces deux grands hommes et leurs proches arrivèrent donc dans notre ville en fin d’après-midi. La médiation se fit selon la tradition un jeudi soir, dans la khalwa, notre lieu de prière. Elle dura toute la nuit. Personne ne sait vraiment ce qu’il s’est dit. Les tensions dans tout le pays faisaient rage. Les Palestiniens étaient entrés par le sud, les Syriens arrivaient par le nord, et nous autres, peuples du Mont Liban, nous faisions une guerre fratricide. Je ne sais pas ce qu’ils ont pu se dire mais j’aurais aimé être là. La tâche a dû être dure pour le jeune Djalil. Bref, le lendemain matin, juste avant l’aurore, les bruits de moteurs me réveillèrent et je vis de ma fenêtre les voitures du cortège de Kamal Junblat partir en trombe. Cela n’augurait rien de bon. Je suis retourné dans mon lit et j’ai essayé de me rendormir, en vain. Peu après, ma mère accueillit Faysal Arslan et sa délégation chez nous pour le repas. Il nous raconta l’échec des pourparlers et l’entêtement de son rival à croire dans l’avènement d’une nation druze au sein de la grande Syrie de Hafez Al-Assad. J’étais un tout jeune enfant comme je vous le disais et j’ai vu ces adultes pleurer en grignotant des dates sèches et en buvant un thé bouillant. Je n’avais pas vu de figures d’adulte pleurer avant ce matin là. Evidemment, je ne comprenais pas que le pays serait précipité dans la guerre à partir de ce moment-là. Kamal Junblat a été assassiné un an plus tard. Faysal Arslan s’est retiré peu à peu de la vie politique jusqu’à ce que son fils Talal prenne le contrôle de la bayt. Quand on parle d’un échec...»

Hakim soupira longuement puis avala un peu de son coca. Isidore l’avait écouté avec attention et avec un petit sourire. Il avait déjà entendu cette histoire. Deux minutes auparavant, il n’aurait pas su la raconter, il aurait bafouillé, confondu les lieux, les personnes et les dates, mais maintenant qu’Hicham Hakim venait de la lui raconter, elle lui revint en mémoire. Il en savait la suite. Mais il laissait son hôte poursuivre.

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