Et le prenant par la main, elle le tira vers l'intérieur du jardin. Isidore au contact de la peau de cette femme, après l'avoir vue bien en face, comprit que ce n'était pas Amal mais sa sœur, Zeina. Elles se ressemblaient beaucoup et n'avaient que trois ans d'écart. C'était elle qui était venue les voir à Paris, elle qui avait été la complice d'Amal et son lien entre le Liban et Paris. Elle qui, aux dires de la lettre, avait aimé un maronite et épousé un druze. C'était elle, fille cadette, qui, selon la tradition, devait s'occuper de sa mère. Voilà pourquoi elle était dans cette maison aujourd'hui.

« Amal aurait été tellement heureuse de te revoir, tu sais. » Elle regarda Isidore avec intérêt, essayant de remarquer toutes les évolutions depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Il n'avait pas beaucoup de cheveux blancs ou gris, et hormis des traits un peu fatigués, son allure n'avait pas variée en vingt ans. Zeina n'avait pas changé non plus. Elle paraissait dix ans de moins, avait des yeux pétillants et un corps de sportive.

« Que viens-tu faire ici ? Il est un peu tard aujourd'hui pour réapparaître, tu sais.

- Oui, j'ai appris qu'Amal était décédée. »

Cela ne sembla pas étonner Zeina. Elle se tut lorsqu'elle entendit les petits pas de sa mère venir au salon. Elle lui parla rapidement en arabe et la vieille femme repartit d'un pas tranquille dans le couloir.

« J'ai vu Hicham à Paris.

- Je sais. Rosa me l'a dit. Elle a beaucoup aimé Paris. Sans doute au moins autant qu'Hicham et Michel…

- Rosa est-elle vraiment ma fille ?

- Y a pas l'ombre d'un doute là-dessus. Et ce n'est plus un mystère pour personne.

- Rosa est au courant ?

- Elle a 19 ans, elle est loin d'être idiote et elle sait bien que si sa mère a épousé son père en juin et qu'elle est née en août, c'est qu'il y a une explication. Elle est très proche d'Hicham malgré tout. Pour elle, il est son père. Mais elle savait que biologiquement ce n'était pas le cas. C'est à la mort d'Amal que les langues se sont déliées, tu t'en doutes. C'est à ce moment qu'elle a pris conscience de tout cela. En pleine adolescence, le meilleur moment. En plus, de mon côté, j'ai divorcé peu après. Je n'ai pas pu trop être présente pour elle. Ce fut une année très compliquée. Maintenant ça va beaucoup mieux. Vraiment. »

Isidore n'en revenait pas d'être là, de discuter avec Zeina de sa fille, comme si de rien n'était, comme si cette conversation était naturelle, attendue, prévue ! Il était là depuis deux minutes et paraissait déjà intégré aux problèmes de famille. Pour un homme qui avait passé la majorité de ces vingt dernières années célibataire et sans enfant, c'était un petit choc.

« Rosa est une jeune femme forte, tu verras. C'est son anniversaire aujourd'hui, tu le savais ?

- Oui, j'avais noté cette date quand Hicham me l'a dite. Je m'étais dit que ça serait chouette d'être là. Je t'avoue que je n'avais pas trop d'idée sur la marche à suivre. Je suis venu jusqu'ici parce que c'est la seule adresse que je connaissais. J'ai eu de la chance que tu sois là.

- Oui, un peu de chance. Je suis là depuis deux ans maintenant. J'ai retrouvé ma chambre. Cela me fait bizarre de me dire que je suis revenue à la case départ… Depuis le divorce, cela a été plus difficile pour moi alors… je suis là, avec ma mère. Mon fils est chez son père cette semaine. Il a 16 ans. Un bon garçon, gentil et intelligent. Un peu réservé. Enfin, c'est pas grave. Tu veux venir à l'anniversaire de Rosa ?

- C'était l'idée en effet. Mais je ne sais pas du tout où elle habite.

- A Beyrouth, hein, elle n'a jamais habité à Aley. Elle est née à Beyrouth, a grandi à Beyrouth et elle est complètement beiroutie. Elle est en fac de droit pour devenir juge. C'est ce qu'elle dit, hein, moi j'attends de voir. Elle veut que le confessionnalisme cesse de diriger la vie politique et sociale du pays. Faut dire que les drames de la famille ont naturellement généré cette vocation. Ah… Isidore, je suis contente de revoir ! »

Isidore digérait toutes ces informations avec empressement.