

Chapitres 5 et 6
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Chapitres 5 et 6
Chapitre 5
Jacky s’immobilisa devant l’écran. Ce simple geste offrit à son oreillette de se connecter sur le signal émetteur de la télévision urbaine permettant de suivre le reportage en direct, quel que soit l’endroit où il était projeté. L’horaire de cours de cette journée l’autorisait d’emprunter le chemin des écoliers pour se rendre au laboratoire et profiter de la vue donnée par l’espace vert aménagé sur la place principale du campus universitaire. De forme ovale, ce carrefour n’était pas accessible physiquement en son centre. Celui-ci se vouait uniquement à la nature et permettait au passant d’admirer une flore exubérante autour d’un point d’eau où s’égaillaient différentes espèces d’oiseaux. Cet îlot calme et paisible duquel partaient cinq rues tranchait avec l’électronique intrusive souhaitée par le gouvernement de Complaisance.
Alors qu’il avait tout au plus dix ans, le jeune homme avait assisté à la mise en place d’un système de lampadaire surnommé Lucotemp par la population. Cet acronyme rappelait qu’outre sa fonction première qui était d’éclairer, ce luminaire octroyait aussi l’accès au réseau de communication. À l’aide d’une application sur l’hologramme portatif que tout un chacun possédait, il y avait également moyen de vérifier la qualité de l’air ainsi que la température ambiante.
Dans un souci d’économie, les autorités avaient opté pour ce nouvel éclairage public dont les micropanneaux solaires permettaient de les alimenter sans autre source d’énergie. Étaient ainsi apparus des lampadaires à diodes électroluminescentes dont la mise en fonction dépendait de la clarté naturelle couplée à la présence de mouvements. Cet élément avait été la critique principale des détracteurs tout autant que l’inspiration des caricaturistes qui se plaisaient à relayer les trop nombreuses fois où les diodes projetaient une vive lumière sous l’effet d’une simple rafale. Il avait fallu un temps considérable pour remédier à cet inconvénient, mais depuis peu, seuls un passage humain ou un véhicule en évolution déclenchaient l’éclairage.
Dans un même élan de connectivité, dans les années qui avaient suivi, l’Administration de Complaisance avait alloué un budget conséquent à l’installation d’écrans géants dans les points stratégiques, tels les gares, les aéroports, les quais du MMSC et encore sur quelques endroits populeux. Pour ceux qui le désiraient, il leur suffisait de configurer leur oreillette afin de ne rien perdre du programme émis. Jacky constatait que le nombre de ces télévisions de rue s’était accru sensiblement, au point d’en avoir une implantée dans ce lieu tranquille où les promeneurs ne s’intéressaient qu’à la nature et la flânerie.
Était-ce l’incongruité de cette présence ou le thème abordé par le reportage qui l’avait attiré au point que la fraîcheur du printemps pas plus que l’humidité de l’air n’arrivaient à l’indisposer ? Bien campé sur ses jambes, les mains profondément enfoncées dans les poches, il demeurait immobile, étranger aux projections d’eau que semblait particulièrement affectionner un caneton découvrant l’usage de ses ailes. Son bracelet holographique vibra, le tirant de sa contemplation. Avant qu’il n’ait pu accéder au message reçu, un appel entrant s’annonça.
— Ouvre la communication. Soupira-t-il, manifestement contrarié.
Avant son départ de l’appartement qu’il occupait, il avait machinalement fixé son casque à conduction osseuse. Cet appareil dont l’aspect esthétique avait été intégralement repensé prenait appui sur le pavillon de l’oreille tout en reposant sur la moitié arrière du crâne. Son principe basé sur l’ostéophonie permettait au son de se propager non plus par l’oreille interne, mais par les vibrations perçues par les os du crâne. Entièrement automatisé, il suffisait de le porter pour qu’il entre en fonction. Aucun bouton n’était visible à sa surface, les diverses commandes étant vocales. Son possesseur pouvait tout aussi bien écouter sa musique préférée, se connecter aux différents médias ou encore émettre et recevoir une communication téléphonique. Certains modèles plus sophistiqués que celui du jeune homme lisaient les messages réceptionnés sans plus avoir à les visionner.
— Bon sang, mais où es-tu ? Tu as perdu le chemin de la salle d’autopsie ? s’énerva sa correspondante.
La colère manifeste de sa condisciple ainsi qu’un rapide coup d’œil sur l’heure affichée en bas de l’écran géant eurent tôt fait de ramener Jacky à la réalité. Il lui restait tout au plus dix minutes avant le commencement du cours pour lequel le professeur avait bien rappelé qu’il ne tolérerait aucun retard. Pour toute réponse, il cria j’arrive à son interlocutrice, puis, prenant les jambes à son cou, se lança dans une course effrénée tout en maudissant ce reportage qui l’avait distrait de ses obligations. Grâce à la connaissance topologique qu’il avait des lieux, il utilisa tous les raccourcis possibles et entra dans le bâtiment moins d’une minute avant le début de l’intervention de l’enseignant.
— Qui voilà ? Le géant nous fait enfin l’honneur de sa présence ! ricana Ralph en le voyant arriver, essoufflé et en sueur.
Cette énième provocation eut pour effet de faire rire la petite cour attitrée de ce fils de politicien, imbu de sa personne et aussi bête que méchant. Cette fois, Jacky n’était pas d’humeur et en aurait décousu avec cet agitateur si Hanna ne lui avait présenté sa blouse médicale à enfiler tout en lui soufflant à l’oreille :
— Laisse tomber. Tu sais qu’il s’agit d’un crétin ! Tu vaux mieux que lui.
Sans laisser le temps au jeune homme de répondre, la porte donnant accès à la salle d’autopsie s’ouvrit tout grand, laissant surgir la voix du professeur qui les invitaient à entrer. À peine le dernier étudiant passé le seuil, la double porte se referma.
— Tant pis pour les retardataires, sourit l’enseignant. J’avais prévenu… et je tiens toujours mes promesses ! Ce matin, vous allez assister à une autopsie réalisée à l’aide d’un appareil dernier cri. Afin que chacun en saisisse toute la technicité, je vous inviterais à former un cercle sur une seule ligne autour de la table. Je veux vous voir tous et notamment Ralph qui, j’espère, sera moins distrait que lors du dernier cours…
Si une grosse moitié des étudiants afficha un franc sourire à cette remarque, les yeux du concerné lancèrent des éclairs tandis que ses partisans hésitaient sur la position à adopter. Cependant, aucun n’osa émettre une opinion, sachant par avance qu’elle serait réprimandée par le praticien. Lorsque le groupe fût en place et que le silence régna de nouveau, celui-ci présenta fièrement une sorte de civière blanche munie d’un pied central unique.
— Grâce à un don généreux, notre université a pu se doter d’un des meilleurs outils technologiques en matière d’autopsie. Vous en êtes donc les bénéficiaires directs et pourrez vous en prévaloir lors de la rédaction de votre futur curriculum vitae. À tout le moins pour ceux qui arriveront à la fin du cursus…
C’est ce genre de remarque qui attirait à cet enseignant une antipathie croissante. S’il était reconnu comme l’un des plus performants dans son domaine, ses phrases sarcastiques lui valaient d’être honni par certains qui estimaient qu’il outrepassait les limites autorisées à une personne, fut-elle même une sommité.
À l’aide de la télécommande digitale qu’il avait enfilée sur l’index gauche, il déroula un écran virtuel.
— Au fur et à mesure de mes explications, les grands points seront repris ici. Pensez à en prendre note, vous savez que je déteste fournir des résumés et autres syllabus.
Une rumeur s’en suivit, chacun s’emparant de sa tablette tactile en connexion directe avec le terminal resté dans leur logement. Jacky hésita à se saisir de la sienne, suspectant, au regard sarcastique de Ralph, que ce dernier préparait une nouvelle diatribe contre lui.
— Ignore-le. C’est le plus bête des fils à papa qui puisse exister, souffla Hanna qui avait remarqué le manège.
Comme s’il avait perçu le problème, le professeur interpella le jeune homme :
— Jacky, me feriez-vous l’honneur de me prêter main-forte ? Un condisciple vous transmettra ses notes. N’est-ce pas, continua-t-il à la cantonade.
L’invitation à le rejoindre, tout comme celle à partager ses comptes rendus, n’était rien de moins qu’un ordre que même le plus orgueilleux des étudiants n’aurait eu l’audace de refuser. Hanna s’empressa d’indiquer qu’elle prendrait soin de communiquer les informations recueillies sans prêter attention au murmure provenant du clan de Ralph. Un sourire et une inclinaison de tête de l’enseignant lui confirmèrent qu’elle avait marqué un point, même si sa proposition émanait uniquement de l’affection qu’elle portait au jeune homme.
— Mon cher ami, continua le praticien à l’intention de Jacky, j’ai pu constater que vous portiez un intérêt évident aux autopsies. Dès lors, je vous inviterais à nous en faire un petit résumé concernant exclusivement le matériel utilisé.
Tout en se sentant honoré d’avoir été choisi par le thérapeute dont aucun n’ignorait les exigences académiques, il était mal à l’aise d’être le point de mire des étudiants. Il synthétisa rapidement un schéma mental et s’éclaircit la voix avant de commencer :
— Le protocole d’autopsie reste obligatoirement le même, quelle que soit la cause du décès. La première étape consiste à soumettre le corps à un numériseur à balayage. Celui de la FMC permet l’obtention de cinq mille coupes virtuelles de six millimètres en l’espace d’une minute. Malheureusement, même si cette technique est extrêmement performante, elle s’applique difficilement aux tissus internes qui n’apparaissent pas clairement. En seconde phase, il faut donc avoir recours à un deuxième appareil. Ce dernier va produire un protocole d’imagerie par résonance magnétique, communément appelé IRM, dans lequel les tissus internes, tels le cerveau, le foie ou les reins sont dévoilés. Enfin…
Jacky arrêta son explication, le professeur ayant fait un pas en avant.
— Vous aviez quelque chose à ajouter ? L’interrogea-t-il en pivotant vers lui.
— Oui, il me semble que pour être complète, l’autopsie doit également comporter un angioscanner. Grâce à ce dernier, le système sanguin peut être examiné tandis que le cœur a cessé de battre depuis un temps indéfini.
Le professeur, n’ayant pas reculé, tournait le dos à Jacky, pour qui il était impossible de déterminer s’il était satisfait de ses explications. Devant son silence, il tenta :
— Je pense avoir été complet… même si l’information reste concise.
— Et efficace ! Clama le docteur sans bouger d’un pouce. Je vous félicite, mon garçon. Vous pouvez reprendre votre place. Merci…
Jacky rentra dans le rang, les joues plus roses qu’il ne l’aurait voulu. Il était plus fréquent de recevoir un blâme qu’un éloge de la part de ce praticien. Si l’ensemble des étudiants le congratulait silencieusement non sans une pointe d’envie, Ralph, vert de rage, dissimulait mal son antipathie. D’une intervention de l’index, le professeur pointa la télécommande sur l’écran virtuel qui afficha une nouvelle page.
— Comme vous pourrez le constater, le résumé que j’avais préparé à votre intention vient d’être explicité par votre brillant condisciple. J’imagine que vous avez déjà saisi les principales informations, mais, dans ma magnanimité, je vous laisse deux minutes pour compléter vos notes.
Avant l’expiration du temps annoncé, l’enseignant reprit la parole, non sans avoir d’un nouveau geste clôturé la session holographique :
— Mesdames, messieurs, comme je vous l’indiquais à l’entame de ce cours, j’ai le grand honneur de vous présenter un appareil innovant doté des meilleures technologies. Un adage ancien suggère qu’un dessin vaut mieux qu’un long discours. Dans ce cas, il s’agira d’un exemple… vivant.
Pour la première fois, les étudiants pouvaient voir un réel sourire doublé de deux yeux espiègles sur le facies du professeur. Cette manifestation soudaine de joie stupéfiait l’assemblée autant par la surprise due à sa nouveauté que par son incongruité. La situation pourtant tout ordinaire semblait le réjouir particulièrement. Ce n’est qu’à son intervention suivante, que la classe en comprit la raison.
— Qui dit exemple sous-entend un cobaye, s’amusa le praticien dont le sourire s’était encore élargi. Pour ce faire, j’inviterai Ralph à bien vouloir me rejoindre.
Cette fois, la majeure partie des étudiants dut faire un effort colossal pour ne pas rire devant le contexte cocasse qui s’offrait à eux. L’espièglerie mal dissimulée de l’enseignant face à la rage manifeste du cobaye désigné paraissait tout droit sortie d’une scène humoristique.
— Cher ami, ne vous faites pas prier. Ordinairement, il me semble que vous appréciez être au centre de l’intérêt !
S’agissait-il d’une provocation ou d’une vengeance dans le chef du praticien ? Bien malin q
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Annette Misen
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