A la Moldue - Chapitre 28 : Un chaudron nommé désir
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A la Moldue - Chapitre 28 : Un chaudron nommé désir
« Je n'avais pas remarqué à quel point vous aviez une hygiène de vie déplorable. »
La voix grave de Severus Snape sonnait étrangement dans le salon de Jane. Ce timbre coupant, rythmé, aux mots parfaitement articulés semblait totalement anachronique avec le bordel organisé qui régnait dans son appartement. Le rangement n'avait jamais été son fort, et après une année passée loin de ce lieu, l'évidence lui sauta aux yeux : Severus n'avait pas tout à fait tort.
« Et cette odeur immonde de tabac froid... » Grinça-t-il avant d'agiter la baguette pour y remédier. « Qu'est-ce que c'est que ça... ?
— Ouh-putain, RIEN ! » Rétorqua la jeune femme paniquée en lui prenant des mains un soutien-gorge qu'elle avait laissé traîner sur le canapé.
La première fois que Severus et Albus s'étaient rendus chez la Moldue, ils étaient bien trop occupés par les enjeux de leur rencontre et l'empressement à la convaincre pour voir ce genre de détails. Elle aussi malheureusement, ce qui donnait lieu à ces petites « trouvailles », et l'espion avait l'œil pour ça.
« NON ! hurla Jane en le voyant fouiner du côté de la porte de sa chambre.
— Et pourquoi pas ? Je suis bien aimable d'avoir accepté de jouer – une fois encore – les nourrices pour journalistes. Qu'y a-t-il derrière ? »
Aimable, peut-être pas. Severus avait très largement protesté, et Jane n'était pas peu fière d'avoir obtenu gain de cause au bout de quatre jours de harcèlement non-stop. Sa magie à elle s'amusait-elle à penser. Dumbledore avait joué un grand rôle dans cette décision cependant. Il avait fallu le convaincre lui en premier, avant d'espérer qu'il ne l'appuie d'une quelconque manière. Le reste... Le reste avait été patience et esprit très Serpentard. Depuis, évidemment, Snape mettait un point d'honneur à le lui faire regretter.
« Qu’y a-t-il derrière, Smith ?
— Rien, j'ai dit !
— Oh, vraiment... ?
— Ma chambre ! Ya ma chambre !
— Ah. En effet, il n'y a rien d'intéressant. »
Et ça faisait plus d'une heure qu'il se comportait comme ça. Ils avaient transplané non loin de son bloc d'appartements, et depuis, tout y passait : le quartier, l'odeur, les arguments fallacieux dont elle avait usé — voire le chantage presque – pour avoir gain de cause, le bruit... Severus Snape faisait tout pour lui gâcher cette escapade.
« Vous pourriez tout de même me proposer quelque chose à boire, Smith.
— Mais il n'est même pas seize heures...
— Toutes les boissons ne sont pas alcoolisées, vous savez ! Vous avez un vrai problème avec ça ma parole. La dernière fois il y avait du thé, non ?
— Vous savez où il est, il me semble, lança-t-elle agacée.
— Je croyais que vous aviez promis d'être « agréable » en échange avec moi, Jane. »
Elle fit la moue, et se traîna jusqu'à la cuisine américaine pour dénicher des tasses. La jeune femme ouvrit l'un des placards, pendant que Snape prenait place sur la table, non sans renifler de dédain devant les verres et mugs qui avaient servi lors de leur première rencontre. Jane ne dit rien et se contenta de leur faire bouillir de l'eau. Elle avait perdu l'habitude de se servir des objets normaux, et cela lui fit beaucoup de bien.
« Non, réellement, Smith, il y a un problème avec votre appartement, il sent la mort.
— Donnez un coup de baguette.
— Vous me prenez pour un elfe de maison ?! Non, quelque chose ne va pas ici. »
Ce disant, il se leva en souplesse, baguette tirée et glissa en direction de la télévision. Jane allait se moquer ouvertement de sa posture quand un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale : l'homme ne plaisantait pas du tout, il était tendu et angoissé. Elle retint son souffle, l'observer se fondre silencieusement dans chaque recoin de son logement, s'attendant à dénicher quelqu'un ou quelque chose qui leur en voulait, était une expérience dont elle n’avait pas l’habitude. Les deux sorciers avaient fini par céder, certes, mais ils avaient été très clairs sur les différents dangers auxquels elle s'exposait en sortant de Poudlard. Jane leur avait tenu tête, persuadée qu'en réalité ils avaient surtout peur qu'elle ne dise une connerie en public, voire peut-être qu'elle change d'avis en retournant chez elle. Mais là, de voir l'ex-Mangemort rôder partout, tendant l'oreille et prêt à agir, elle dut reconnaître que l'angoisse montait.
Lorsqu'il disparut dans la salle de bain, la Moldue esquissa un mouvement, avant de se raviser. Severus ne faisait aucun bruit, et pourtant, elle était persuadée qu'il fouillait la pièce.
« AH ! Je le savais, vous êtes vraiment dégoutante ! »
Elle se décomposa devant cette phrase, bredouillante et se précipita à sa rencontre, cherchant à formuler – au moins mentalement — une explication devant sa trouvaille. Mais sa trouvaille, justement, n'était absolument pas ce qu'elle avait en tête. Coincée entre son pouce et son index, une souris morte pendait par la queue.
« C'était bien la mort que je sentais ici. C'est écœurant !
— Ah, ça ? s'esclaffa la Moldue manifestement soulagée. Ça va... ! Albus avait changé une de mes tasses en souris, vous vous souvenez... ? D'ailleurs, c'est fou ça : elle n'a pas repris sa forme normale.
— C'est quand même... Oh, vous avez raison, se coupa illico l'homme comme fasciné par le phénomène.
— Normalement les objets reviennent à leur état ?
— Je n'ai jamais vu ce cas, en fait. Je pense que le sort est toujours actif, car Albus ne l'a pas levé... J'ai cru comprendre que la magie disparaissait à la mort des lanceurs, mais...
— Vous pouvez la garder si vous voulez. Pour vos... Expériences ! » Railla Jane en faisant de gros guillemets avec ses doigts au mot « expériences. »
Mais elle hoqueta de stupeur et de dégoût quand elle le vit mettre l'animal dans une de ses poches. Il lui lança un regard amusé en retour.
« Et c'est moi qui suis... Erk.
— Vous l'êtes, c'est un capharnaüm sans nom cet endroit. Vous n'étiez même pas surprise que je trouve quelque chose d'anormal, ce qui est un bon indicateur de... attendez. Que croyiez-vous que j'avais déniché ?
— Rien.
— Smith !
— Mes tampons hygiéniques ? tenta-t-elle.
— J'ai déjà eu cette rencontre en novembre, je vous signale. Ainsi que celle avec votre rasoir…
— Ouais ben... Minerva n'est pas tant que ça d'une grande aide côté magie, elle aurait pu... Ou vous-même...
— Ah ! C'est dans la chambre je parie !
— NON !
— De quoi avez-vous honte, au juste, Smith ?
— La chambre d'une femme est sacrée. Vous ne pouvez pas...
— Avec ce genre de principes, je comprends que votre mère ait tant à cœur de... »
Mais il s'arrêta net dans sa phrase en l'entendant. Tous deux s'observèrent d'un œil critique, jusqu'à ce que Jane finisse par relever :
« En temps normal, c'est moi qui fais des réflexions sur votre absence de sexualité. C'est assez dérangeant d'inverser comme ça.
— Oui, restons classiques.
— Et ne parlons plus de la chambre.
— Soit. »
Un rayon de soleil transperça les volets internes, et s’aventura dans la chambre, jusqu’à se prélasser sur la joue gauche d’un jeune garçon de seize ans. Le rayon se trouva très bien à cet endroit, et décida de prendre ses aises quelques minutes plus tard, pour atteindre son œil, et taquiner une rétine tapie sous la paupière qui envoya des signaux somnolents à son commandant en chef. Le cerveau des opérations donc, autoritaire comme le voulait sa fonction, balança quelques influx nerveux destinés à animer cette machinerie mollassonne que peut représenter le corps d’un adolescent. Mollassonne, et paresseuse. Ainsi, l’effet de ce rayon de soleil ne se fit sentir qu’une bonne vingtaine de minutes plus tard, et Harry Potter n’ouvrit l’œil gauche qu’au bout de trente-sept minutes, très précisément.
Il sourit, et soupira d’aise. Pour la première fois depuis une éternité, il se sentait complètement reposé, et cette béatitude le fit se tourner sur le dos, s’étirer comme un chat, et soupirer une nouvelle fois de plaisir. Harry papillonna des yeux, avant de ne les ouvrir soudainement paniqué : il n’était pas dans sa chambre ! Encore engourdi par le sommeil, il chercha à tâtons sa baguette magique sur sa table de nuit, mais tout était inversé. Son pouls s’accéléra, jusqu’à ce qu’il roule et tombe de son lit, sonné et désorienté, avant de reprendre pied avec la réalité. Non, il n’était plus à Privet Drive, et ce silence était normal. Inhabituel, mais normal.
Bien que son dernier séjour chez son oncle et sa tante se soit plutôt bien passé, il lui était difficile d’effacer en si peu de temps des années de mauvais traitements, d’indifférence, de bruits, de corvées, voire de rejet. Dormir paisiblement lui était presque interdit. Plus encore depuis la quatrième année où il avait dû endurer les rêves récurrents peuplés de morts, de visites et de reproches du fantôme de Cédric Diggory, ainsi que les vagues souvenirs de la nuit où ses parents avaient été assassinés. Se réveiller de lui-même lui avait toujours été impossible. Et cette pensée lui tira un nouveau sourire, ainsi qu’une bouffée intense de joie. Harry se releva, se démêlant de ses couvertures tombées avec lui, et balaya la pièce du regard.
Il s’était immédiatement senti chez lui. Étrangement, dès que Sirius lui avait ouvert la porte de sa chambre, entièrement aménagée, le garçon avait eu l’impression d’une incroyable normalité. Cette chambre était la sienne. Et il l’avait ressenti dès le départ. Elle n’était pas particulièrement grande, à peine plus peut-être que celle de Privet Drive. Mansardée, et pourvue d’une fenêtre avec double-volets internes, elle avait ce petit côté douillet des vieux cottages anglais. Les murs étaient recouverts d’une tapisserie neuve, semblait-il, mais faite à l’ancienne : brodée, et dans les tons pourpres foncés, aux reflets or miroitants. Aucun motif, uniquement des sortes d’effets presque hypnotiques. En dehors de cela, les murs étaient nus. Harry avait appris la veille par Hermione que son parrain avait insisté sur ce point : le jeune homme décorerait l’endroit comme il l’entendrait, et il ne voulait que personne propose un univers, au risque de n’être que le reflet caricatural de sa vision du Gryffondor. Cette position l’avait profondément touché, et lorsqu’il avait défait ses valises à son arrivée, il s’était empressé d’accrocher ses posters de Quidditch, ses photos, des cartes de chocogrenouilles… Tout ce qu’il pouvait, et qu’il n’avait jamais eu le droit de montrer au grand jour.
Mais la décoration n’était pas le seul changement : il avait également un lit d’une place et demie très grand, en vieux bois massif, collé sous la fenêtre, comme une banquette à baquet, faite d’un matelas moelleux et d’épais coussins. Le genre de lit dont on ne devrait pas sortir aisément tant le confort en est presque indécent. Le genre de lit qui, et Harry avait encore peine à le croire, plaçait ceux de Poudlard à un rang d’une banalité et d’une rigidité presque scandaleuse.
Si le jeune homme avait littéralement connu la vie de château, il venait de passer sa première nuit de « noble ». Ou du moins, de jeune homme bénéficiant d’un confort relatif au rang et à l’argent de la personne l’élevant. Et ce lit était définitivement la preuve qu’il existait de vraies castes sociales dans le monde Sorcier. Mais pour l’heure, il ne s’intéressait pas à ces questions politiques. Il pensa dans un premier temps filer discrètement à la salle de bains, mais il se ravisa en voulant pousser le changement jusqu’au bout : il glissa simplement ses pieds dans de gros chaussons en forme de pattes d’hippogriffe (qui allaient avec le pyjama offert par Molly Weasley pour son anniversaire la veille), et descendit prendre son petit déjeuner, en savourant par avance l’idée même qu’il n’aurait pas à le faire.
Appartements de Jane Smith, la veille 31 juillet, 16h15,
« En raison d'un trop grand nombre de messages, votre boîte vocale n'accepte plus de nouveaux enregistrements. Veuillez vider votre...
— Sans surprise, cela aussi est mal rangé.
— Severus, est-ce que vous savez seulement ce que c'est ? » Lui rétorqua Jane derrière une énorme mèche bouclée rendue poisseuse par la sueur et l'énervement.
L'homme en noir arqua un sourcil comme pour la mettre au défi d'y répondre, mais elle préféra couper court à cette querelle stupide. Elle appuya plutôt sur le bouton de son smartphone pour confirmer qu'elle souhaitait bien entendre les messages.
« Ma chérie ? C'est maman, tu penses que tu vas passer nous voir cet été ? Tu as toujours ta chambre, tu sais, tu es la bienvenue... Bon, rappelle-moi, je t'aime ! »
« Ouais, salut ma poule, c'est moi. Dis, j'pensais que pour notre anniversaire de fondation on pourrait peut-être se faire une virée en France. Boah, pas loin, à Paris quoi... Dim' est partant, je sais pas ce qu'il en est de Lucy... D'ailleurs, j'sais pas si elle va pas se radiner avec un nouveau mec. Bon, on s'en fout. Rappelle-moi, tu m'dis et on commande les billets pour le train. Bise ! »
« Yo Jane, c'est Dimitri... Écoute... J'suis un peu emmerdé, j'ai Diane qui fait la gueule parce que tu n'as pas rappelé, et qu'on a loupé de grosses promos... Tu veux pas lui lâcher un sms au moins ? Elle est lourde. Bise. »
« Bonsoir ma puce, c'est ta maman qui t'aime et qui prend le temps de t'appeler – elle. J'espère que tu vas bien et que tu n'as aucun souci. Tu ne m'as pas dit si tu venais ou pas... Rappelle-moi. »
« Hey, mais t'es où en fait ? J'vais finir par croire que t'as eu un pépin... Nan, nan, ma belle j'risque pas d'imaginer que t'es en virée avec un mec, faudrait déjà qu'il tombe amoureux et te supporte. Ah ah. Bref, appelle quand même, on commence à s'inquiéter avec les potes, là. »
« Jane, putain, mais t'es où ? Ta mère est en panique, et nous aussi. Dimitri est passé chez toi, mais t'as pas ouvert, on a demandé aux voisins, il paraît que tu viens plus, et pourtant ton courrier est bien distribué sans encombre, et ton loyer payé... Qu'est-ce que tu fous ?! »
Les messages étaient de plus en plus alarmistes, et Jane fronça les sourcils en mâchonnant sa lèvre inférieure en repensant à l’inquiétude qu’elle avait dû susciter chez ses amis et sa famille. Severus, lui, eut le bon goût de ne rien dire, mais cela n’empêcha pas le sorcier de se sentir étrangement gêné par la situation : de toute évidence, de près ou de loin, il était en partie responsable de ça et quelque chose le dérangeait dans ce fait. Il allait proposer un mot pour rassurer Jane lorsqu’il fut coupé par la voix de sa mère, déformée par le répondeur :
« Ma chérie, c’est maman. Je n’ai pas eu le temps de te le dire du coup avant ton départ, mais je l’ai trouvé absolument charmant ! Je sais que tu es timide et que tu as beaucoup de mal avec l’idée de t’attacher, tu as toujours été très… Disons très réservée dans tes relations amoureuses… »
Jane glapit, alors qu’elle ne put s’empêcher de jeter un regard paniqué à son comparse qui cillait, sans comprendre de quoi il en retournait. Ce n’est qu’après avoir croisé le regard de la Moldue que sa bouche s’ouvrit doucement pour former un « o » parfait.
« Enfin, bon, tu vas encore me dire que je me fais des idées, mais je te connais. Quoi qu’il en soit : nous l’avons adoré, et je comprends mieux ton silence de ces derniers mois. Je n’aime juste pas l’idée que tu puisses nous faire une telle frayeur – et ne recommence jamais ! T’en fais pas d’ailleurs, j’expliquerais à Diane et Dimitri ce qu’il se passe. Ils seront rassurés et je suis certaine qu’ils comprendront et seront très heureux pour toi... »
« Oh non. » Soupira Jane en mettant une main tremblante devant sa bouche. Elle regardait tantôt son téléphone, tantôt le sorcier, comme pour déterminer ce qui était le plus problématique. Snape, lui, était blême, et il ne manqua pas de sursauter lorsqu’une drôle de sonnerie s’éleva de l’appareil.
« … Personne ne sait que vous êtes ici, Smith… Hein ? demanda-t-il menaçant.
— Si… Maman…
— Qui vient juste de dire que… Oh non. »
La Moldue avisa le nom qui s’affichait sur l’écran, juste sous le visage d’une femme blonde faisant une grimace un verre à la main, avala sa salive, et tapota pour décrocher.
« Haem. Ouais, heu… Diane ? Oui… Oui ! Moi aussi je suis contente… Non, non, pas du tout, mais c’est que je… Ah-ah, non, en fait, il se trouve que… Non. Non, tu connais maman : elle est toujours un peu emballée, mais en fait… MAIS NOOOON… ! Mais oui je te le dirais ! »
Severus regarda le manège non sans plisser des yeux. Il avait peine à contenir sa curiosité et son envie de comprendre pourquoi soudainement Jane se retrouvait la chique coupée. D’un air détaché, il se rapprocha discrètement de la jeune femme sur le canapé, prenant bien garde qu’elle ne se rende pas compte que leurs genoux se touchaient presque, et il tendit l’oreille. Fort heureusement pour lui, les smartphones n’étaient pas particulièrement discrets, et c’est une voix dynamique qui lui donna des sueurs froides :
« Eh bah comme ça tu l’amènes et je me fais ma propre opinion, hein ?
— NON ! Non, écoute Diane, je sais que ça fait une paie, et tout, mais j’peux vraiment pas faire ça, je…
— Attends, tu viens bien prendre quelques jours de vacances, non ? Déconne pas, s’il te plaît, on t’a pas vu depuis un bail, on s’est inquiété, ta mère nous dit que… allez, venez boire un verre. J’verrai au moins s’il est digne de toi.
— Mais ce n’est pas du tout…
— Je sais, la coupa Diane. Tu l’as déjà dit, et ta mère m’avait prévenue que tu réagirais comme ça. Laisse-moi me faire mon idée, et on en reparle. J’te connais t’sais ? On dit quoi ? 21h30, que tu aies le temps de te souvenir de comment on passe une robe de soirée… ? Quoi que je pense qu’en fait, t’as justement pas oublié ! railla la jeune femme enjouée au bout du téléphone.
— Non, non, j’crois que c’est vraiment pas possible tu sais, il n’est pas très sorties, et tout ça… Et puis…
— Jane Smith, je vais te le dire plus clairement : c’est 21h30 au God Save The Queen, ou 20h chez toi…
— …
— Cool, à tout à l’heure alors ! »
Et Diane Aberline raccrocha, laissant son amie sans voix face à un sorcier qui ne savait absolument pas quoi lui dire…
1er Août, Square Grimmaurd, 12h01,
« Aie ! Et merde, je...
— Attends, tu ne veux pas plutôt de l'aide, Sirius ? Après tout je faisais bien...
— Non, non, non ! Tu restes bien assis, et tu me laisses te faire un petit-déjeuner, heu... Brunch, enfin, je sais pas comment les jeunes appellent ça à midi...
— Peu importe, désolé de m'être levé si tard, offrit Harry en s'inquiétant soudainement que ça contrarie son parrain.
— Ah non, commence pas Harry ! Quand tu auras des motifs d'excuses, je te le dirai, mais en attendant, on s'est couché très tard cette nuit, c'est plutôt logique que tu aies besoin de récupérer. À ce propos, ta chambre ? »
C'était vraiment bizarre comme situation : Sirius Black faisant la cuisine pour Harry Potter, le tout, vêtu d'une sorte de tablier noir de potions, et de gants violets brodés. Et l'homme tenait manifestement à le faire lui-même sans l'aide de la magie, ou...
« Super ma chambre, mais, Sirius ? Où est Kreattur ? »
Harry n'avait plus vu l'elfe de maison depuis le milieu de l'année précédente, s’il savait que Dumbledore avait interdit son renvoi, car il connaissait trop de secrets au sujet de l'Ordre du Phénix, Harry se demandait ce qu'avait bien pu trouver comme parade Sirius, car il était connu qu'il ne supportait pas l'elfe. Qui le lui rendait d'ailleurs très bien.
« À Poudlard. Allez, dis-moi plus sur ta chambre !
— Mais, attends, ce n'est pas plus risqué, justement ?
— Non, au contraire. Et ce n'est pas une de mes idées, ou de celles de Dumbledore. Si tu veux tout savoir... C'est Sniv... Snape qui a suggéré qu'on transfère cette bestiole.
— ... Snape ? Mais pourquoi ? Il croit qu'il peut y avoir un danger particulier ?
— Ouais, acquiesça Sirius en déposant une assiette pleine de crêpes chaudes et fumantes sur la table. Et je suis plutôt d'accord avec lui : toi arrivant ici, il était nécessaire de verrouiller complètement nos fuites potentielles. D'autant que l'Ordre continuera de se réunir ici, enfin, si tu es d'accord avec cette décision...
— Évidemment que je le suis ! Mais est-ce que Kreattur est toujours... ?
— Non, justement. C'est toute la parade : je l'ai cédé directement à Dumbledore, sans passer par un renvoi. Là encore, c'est une idée de Snape : user du « Don à l'Éducation », vieil usage chez les familles nobles. On peut, parfois sans rien signer, rien déclarer, faire des dons à Poudlard en guise de remerciement pour l'éducation produite, et toutes ces choses un peu pompeuses que j'affectionne tant, tu l'sais... »
Il termina sa phrase en souriant en coin, et parrain et filleul s'autorisèrent un petit rire discret. Ils n'étaient que tous les deux dans cette cuisine, les Weasley, Hermione, Neville et Luna ayant décidé de rentrer dans la nuit pour les laisser prendre leurs marques et entamer ce qui était une aventure inconnue pour eux. Ron avait quelque peu protesté, arguant qu'il aurait bien voulu passer plus de temps avec son meilleur ami le soir de son anniversaire, mais Neville avait su trouver les mots pour lui changer les idées, et le faire arrêter de râler. Et finalement, les jeunes s'étaient retrouvés au Terrier, au grand plaisir de Molly qui adorait avoir du monde chez elle, pour une fin de nuit cartes et jeux en provenance du magasin des jumeaux, nouvellement ouvert en grande pompe.
« Ché chuper bon Sirius ! commenta le garçon après avoir roulé une crêpe avec du miel d'Avette-bleue, une abeille réputée pour faire l'un des miels les plus aromatiques au monde.
— Ah, tant mieux. Parce que je ne suis pas super doué en magie de cuisine, j'ai demandé à Molly deux-trois tours, mais il va falloir que j'apprenne un peu plus, et toi aussi d'ailleurs. »
Harry sentit un désagréable frisson lui remonter le long de la colonne vertébrale, tandis qu'il s'arrêtait de manger, avalant difficilement sa bouchée. La gorge devenue sèche, il produisit un raclement rauque en guise de question. Sirius fronça les sourcils, avant de comprendre :
« Non, non ! Je ne vais pas te demander de te mettre derrière les fourneaux ! T'en fais pas. Je pense juste que c'est un savoir utile. Tu sais te nourrir sans baguette, tant mieux ! Mais ça peut être pertinent de savoir comment faire avec la magie, tu sais...
— Ah. C'est encore une idée de Snape ? demanda plus agressivement Harry qu'il ne le souhaita.
— Non. De moi. Et je pense qu'apprendre deux ou trois sortilèges de soin, et autres pourrait aussi faire partie d'un cursus parallèle pertinent... Enfin... Heu... »
Sirius tordait sa serviette de table, semblant hésiter entre le fait d'imposer quelque chose à Harry pour son bien, en prenant une décision en tant que tuteur, et être plus « cool ». Le garçon éclata de rire, ce qui détendit considérablement l'atmosphère. Sirius jeta un regard plein d'espoir à son cadet, qui confirma :
« C'est toi qui as raison, Sirius. J'ai trop de retard sur les us et coutumes. Je sais même pas réparer une toute petite fracture, ou même mes lunettes. Quoi qu'Hermione me l'avait montré en première année... Mais ouais, t'as totalement raison, on a du boulot. Merci de prendre ce temps.
— C'est mon rôle. Donc pas de remerciements. Sauf peut-être pour les crêpes, elles m'ont vraiment donné du fil à retordre. »
Magasin « Him! » Londres, la veille 31 juillet, 19h27,
La vendeuse l'observait régulièrement du coin de l'œil, battant des cils avec trop d'empressement, et rougissant chaque fois qu'elle se sentait détectée. Il faut dire que depuis qu'il avait fini par enfiler ce fichu pantalon, et cette fichue chemise, la petite n'arrêtait pas de le regarder. En un coup d'œil, comme si elle était magicienne, la blonde avait déterminé son tour de taille, d'épaules, de hanches, et de poitrine, et lui avait fourré une série de vêtements à essayer. Vêtements choisis par une autre demoiselle, plus âgée cette fois-ci, qui lui jetait... Ma foi, les mêmes regards. Qu'avait donc ce pantalon pour les obliger toutes deux à braquer leurs yeux sur...
« Si ces Miss voulaient bien stopper leur analyse oculaire de mon postérieur, j'apprécierais grandement. »
La petite vendeuse blonde glapit, devenant écrevisse et elle tourna les talons pour se réfugier dans ses rayons, du côté des vestes en jean. Jane, elle, se contenta d'hocher la tête, sans pour autant arrêter son inspection. Jamais Severus ne s'était autant senti observé, lui qui, pourtant, avait l'habitude d'endurer le regard rougeoyant du Seigneur des Ténèbres et ses nombreuses et brutales intrusions mentales, se sentait complètement nu sous le regard de la Moldue. Il faut dire qu'elle le détaillait avec soin, ses yeux allant de ses jambes à ses épaules, en s'arrêtant avec paresse sur ses fesses.
« Jane, murmura bien malgré lui le Maître des Potions. Arrêtez c'est humiliant.
— Oula... Ya vraiment pas d'quoi ! »
Le ton et le mouvement de tête appréciateur de la jeune femme firent virer le taciturne habitant des cachots à une teinte carmin rarement obtenue chez lui. Elle s'approcha de lui, passant la main au niveau de sa ceinture pour la tourner légèrement et placer la boucle parfaitement en face de la braguette, ce qui lui tira un gémissement de protestation tout à fait honteux. Severus Snape ne gémissait pas pour protester. Il donnait l'ordre d'arrêter, et on lui obéissait. Au lieu de ça, l'homme avait la chique coupée devant le sans-gêne de sa cadette. Son entraînement d'espion impassible lui permit toutefois de ne pas tressaillir quand il sentit les deux indexes de Jane glisser sur ses hanches pour lui saisir sa chemise rentrée, afin de la faire ressortir légèrement. Elle recula d'un pas, et hocha à nouveau la tête.
« Voilà, c'est parfait. Vous êtes à l'aise comme ça, c'est bon ?
— ... Pas particulièrement. Je veux dire... se reprit-il en se raclant la gorge. Le vêtement est confortable, il n'a rien de très différent de ce que l'on peut trouver chez...
— Ah non, pas de ça ! Vous portez un jean Diesel sur une chemise Armani, vous, ça ne vous parle peut-être pas, mais je vous garantis que je suis loin de me foutre de votre gueule côté marques.
— Vous avez si honte de...
— Au contraire. Je voulais que vous vous sentiez parfaitement à votre aise, et je voulais vous faire ce cadeau. C'est déjà assez compliqué comme ça.
— Et j'ai déjà eu la gentillesse d'accepter, je ne peux pas croire que je vous laisse jouer à la poupée en me tripotant dans tous les sens.
— Vous le faites, parce que ça vaut le coup, Severus. Et peut-être que vous aimez ça, aussi. »
Ce disant, elle replaça ses mains sur ses hanches et l'obligea à se tourner pour qu'il puisse — enfin ! — se voir. Il fallait admettre qu'elle avait raison : ça valait le coup. Sur un jean noir parfaitement bien coupé, qui tombait droit sur ses vieilles chaussures, il portait une chemise anthracite légèrement satiné, avec deux boutons de col ouvert et aux élégants boutons nacrés. Habillé de la sorte, il semblait avoir perdu deux ou trois ans, comme si la guerre avait été effacée pour la soirée, assez pour qu'il soit...
« Vous êtes très beau comme ça, commenta Jane en acquiesçant.
— Vous n'avez aucun sens de la mesure.
— Prenez le compliment, et taisez-vous. Je dois encore vous trouver des chaussures. Et ensuite, faudra que je me prépare, à ce rythme, c'est moi qui vais vous faire honte.
— Ça ne... »
Mais Severus s'arrêta dans sa lancée. Il n'avait pas envie de lui répliquer une mesquinerie habituelle après la gentillesse de la jeune femme. De toute façon, elle s'était éclipsée pour demander à la vendeuse s'ils avaient aussi des chaussures assorties. Snape soupira, les magasins n'étaient vraiment pas son truc, et il se forçait beaucoup pour ne pas sursauter au moindre bruit, ou se méfier de la moindre personne rencontrée. Ils étaient dans une galerie commerçante huppée de Londres, dans un magasin spécialisé pour les hommes, et autant dire que la zone était hautement fréquentée.
Après le coup de fil de son amie, Jane avait cherché une excuse pour leur éviter une telle rencontre, mais il était évident qu'elle mourrait d'envie de revoir ses proches. Après tout, cela faisait plus d'un an qu'elle était partie, et elle adorait Diane, Lucy et Dimitri. Dans un geste de bonté qu'il se forçait à associer à de la faiblesse, Severus avait proposé de l'accompagner, histoire d'éviter « toute visite impromptue comme votre téléphone semblait le menacer ». Et si la jeune femme semblait profondément reconnaissante, il lui semblait maintenant évident qu'elle n'était pas plus à l'aise que lui. Et il y avait de quoi : une disparition d'un an, un homme inconnu dans sa vie — que ses amis prenaient pour son amant. À cette idée Snape secoua la tête en ricanant, c'était tellement stupide de croire qu'elle et lui... La Moldue était une femme tout à fait jolie, jeune, dynamique, une Londonienne un peu branchée, élevée dans un cocon bourgeois et cultivé ; le genre de petite à ne sortir qu'avec des artistes au goût exquis, le genre d'intellectuel qui...
« Merde, souffla l'espion en s'observant dans la glace, se remémorant qu'il était un « Professeur de poésie romantique du XVIII et XIXème siècles ».
— Un problème Monsieur... ? lui demanda la petite voix de la minuscule vendeuse. Rassurez-vous, nous allons le reprendre directement sur vous pour qu'il tombe parfaitement. C'est une demande de votre femme.
— ...
— Tournez-vous, s'il vous plait. »
Il s'exécuta, pendant qu'elle rapprocha un tabouret, et qu'elle s'y installa, afin de piquer des aiguilles en vue d'un ourlet.
« Vous avez beaucoup de chance ! Le jean vous ceint parfaitement les reins. Ce n'est pas donné à tout le monde, vous savez.
— Que voulez-vous dire ?
— Que vous avez un beau cul, Severus. Et non, je ne suis pas sa femme, ajouta Jane à l'adresse de la vendeuse qui vira plus encore au rouge. Dites, vous préférez des chaussures d’un noir mat ou... ?
— Qu'est-ce que ça peut me foutre ? commença à craquer l'homme austère.
— Va pour mat, alors. Est-ce que je peux vous abandonner le temps d'aller... ?
— NON ! »
Il avait presque crié cela, alors que Jane avait amorcé un mouvement pour repartir. Se retournant surprise vers lui, elle plissa des yeux, son regard se portant alternativement sur lui et la vendeuse, comme semblant chercher à déterminer s'il refusait par sécurité, ou à cause du regard insistant de la fillette. Elle eut le bon goût de ne pas lui demander de précisions, et après un soupir théâtral, prit un des fauteuils baroques mauves du magasin pour s'asseoir près d'eux.
1er Août, Square Grimmaurd, 13h22,
La bibliothèque avait été restaurée : entièrement dépoussiérée et vidée de ses objets les plus dangereux et maudits. Les grimoires de magie noire avaient été enlevés. Pas pour des raisons obscures de sécurité, c'était au contraire pour éviter à Sirius un quelconque problème si par malheur un jour il prenait l'envie au Ministère de faire une inspection dans l'ancienne demeure des Black. Car, bien que Sirius eût été lavé de toute accusation, sa famille avait toujours une mauvaise réputation, et le retour avéré de Voldemort allait jeter prochainement un intense sentiment de suspicion généralisé au sein de la communauté tout entière.
Aux étagères garnies de livres, avaient été ajoutés des guéridons et des sofas, et quelques lampes à huile immenses en fer ciselé. Le résultat était splendide, profondément reposant, et avait fait rosir de jalousie Hermione quand elle avait terminé d'y ajouter sa touche personnelle, car c'était à elle qu'on devait ce lieu magique. D'ailleurs, la veille Harry avait tenu à lui assurer qu'elle pourrait y passer tout le temps qu'elle désirait au besoin, faisant dire à Sirius qu'ils allaient finir par y ajouter un bureau d'étude et le lui faire louer. Le regard qu'avait eu Hermione à ce moment avait été celui d'un comptable essayant de chiffrer une dépense potentielle.
Pour l'heure, Harry et Sirius avaient décidé de s'y rendre, car l'endroit leur plaisait bien pour prendre un café, et Sirius tenait à montrer à son filleul quelques photos de ses parents. Des photos de Poudlard, plus précisément.
« Pourquoi papa a toujours un vif d'or dans la main ? demanda Harry après une petite demi-heure de visionnage. Je ne crois pas qu'on ait le droit de récupérer les balles...
— Ah-ah, non, c'était le sien, il l'emmenait partout pour le tester.
— Le... ? Attends, Sirius, ça coûte plutôt cher il me semble. J'ai cru comprendre que papa ne manquait pas d'argent, mais...
— C'est vrai que tu ne sais rien, en fait, soupira Sirius. Parfois je me dis que c'est injuste que j'en sache autant sur tes parents, et toi si peu. T'as déjà entendu parler de Bowman Wright ?
— L'inventeur du vif d'or ? s'exclama Harry quasi illico.
— Lui-même. J'vois ce qu'Hermione voulait dire par « trop de temps dans des bouquins de Quidditch, et pas assez dans des manuels scolaires ». Quoi qu'il en soit, quand il a inventé le sort, il n'a jamais déposé de brevet. Si aujourd'hui il a une carte de Chocogrenouille, c'est uniquement grâce à ta famille. À ton arrière-arrière-arrière-grand-père il me semble, qui tenait à le réhabiliter, ou je ne sais plus quoi.
— Pourquoi ? Je ne vois pas le rapport.
— Parce que ce sont les Potter qui ont su retrouver le sortilège, l'améliorer, et l'ont déposé. Ta famille produit les Vifs dans le monde entier ! Et si ton grand-père ne faisait plus que de la gestion comptable, ton père, lui, avait repris les recherches. Le vif que tu vois là, c'est celui sur lequel il testait toutes ses modifications.
— Wouahou... »
Harry regardait la photo avec des yeux de petit garçon émerveillé. C'était comme lui annoncer que son papa était un héros — ce qu'il était d'après tout le monde. Mais là, il était un héros de son sport préféré. Il avait imaginé James dans un rôle d'Auror, ou peut-être de sportif de haut-niveau, mais dans celui d'inventeur...
« Et...
— Oui. L'entreprise est toujours dans la famille. À la mort de ton père, les rênes m'ont été confiées le temps que tu aies l'âge légal de la diriger.
— Mais tu as passé ton temps en prison, qui s'est occupé de tout ça, alors ? NON ! Ne me dis pas que c'est TA partie de la famille qui...
— Non, non, rassure-toi, ce ne sont pas les Malefoy. Non, dans ces cas-là, ce sont les Gobelins qui gèrent, en attendant que la Justice permette de reprendre. Ici, ta majorité. Rassure-toi, Harry, c'est très courant. Il est même plutôt rare que les sorciers gèrent eux-mêmes les détails de leurs sociétés — quand ils en ont. Les Gobelins ne font pas seulement office de banque, ils sont aussi des sortes d'agents de protection.
— Des assureurs, quoi.
— Peut-être, je vois pas bien de quoi tu parles, mais sûrement. »
Ça fit sourire Harry, c'est vrai, quand on a une foule de sortilèges de réparation, il est peu probable qu'on ait besoin d'une police d'assurance. L'idée d'hériter d'une entreprise l'angoissa quelque peu, mais il chassa cette pensée de son esprit, se disant qu'il proposerait plus tard à Sirius de reprendre l'affaire avant lui, leur permettant à tous les deux de se remettre dans ce bain. Pour l'heure, il avait une autre question qui lui brûlait les lèvres.
« Et maman ? Elle faisait quoi, elle travaillait, ou... ?
— Oh oui ! Tu penses. Lily ne supportait pas l'idée de rester à la maison comme c'est l'habitude encore chez les Sorciers. Ne fais pas cette tête, c'est le cas : regarde Molly, ou Narcissa.
— Ouais, mais Tonks ?
— Elle n'a pas d'enfant, et puis elle n'est pas de « bonne famille ». Enfin si, c'est ma cousine, mais je veux dire qu'elle n'est pas...
— Privilégiée. J'ai compris. Mais alors, maman travaillait dans quoi ?
— Elle écrivait des livres sur les potions. Une série de vulgarisation pour apprendre aux gens à en faire. Elle disait que les manuels scolaires étaient truffés d'erreurs en tout genre et qu'il était temps que quelqu'un s'occupe de faire apprendre correctement ça aux jeunes. C'était une vieille idée, qu'elle avait eu en plus. À force de traîner avec Snivellus, sans doute. »
Harry en avala son café de travers, s'étouffant, et toussotant. En voyant la tête de Sirius, il comprit que ce dernier s'en voulait d'avoir abordé la question, mais c'était trop tard. L'adolescent ne risquait certainement pas de laisser passer ça.
Appartement de Jane Smith, la veille, 31 juillet, 20h12,
Assis sur le canapé de la Moldue, face à une télévision éteinte, attendait Severus Snape qui commençait à perdre patience. Ils étaient rentrés un peu plus tôt, et cela faisait maintenant vingt bonnes minutes qu'il espérait que Jane daigne sortir de la douche. Pourquoi prenait-elle autant de temps au juste ? Lorsque le bruit de l'écoulement cessa, il émit un soupir ostensible, et désagréable.
« Il était temps ! Vous allez voir vos amis, ça n'est pas un défilé, vous...
— Si vous vous faites trop chier, servez-vous un verre, vous savez où sont mes bouteilles.
— Mais nous allons être...
— N'importe quoi ! cria Jane depuis la porte de la salle de bain. On va transplaner, nous n'avons besoin que de cinq minutes, tout au plus ! Et puis c'est de votre fait si j'en suis encore à me préparer, je vous signale que... »
Mais le bruit infernal d'une machine étouffa la suite. Severus, qui ne s'était pas trop fait prier pour se verser un fond de porto italien, reposa la bouteille dans un geste agacé, et fondit sur la porte qu'il ouvrit en beuglant un « QU'EST-CE QUE VOUS DITES ?! » peu aimable. Mais il regretta immédiatement son tempérament lorsqu'il vit une Jane penchée de travers, entièrement nue, dans une posture parfaitement ridicule, une épaisse couche de cheveux bouclés renversée sur sa tête, et la fameuse machine bruyante dans les mains. Un sèche-cheveux, apprendra-t-il plus tard. La jeune femme cria quand elle comprit qu'il avait ouvert, et fit un bond de côté pour se cacher derrière la porte. Malheureusement, les cheveux devant les yeux, elle percuta le bois, se cognant violemment le flanc et chancela sous l'impact, manquant de basculer dans la baignoire. C'est le bras de Severus, passé autour de sa taille et la retenant fermement qui empêcha sa tête de rencontrer le carrelage mural. Pressée contre lui, nue donc, et un rideau capillaire en guise d'expression faciale, la Moldue n'en menait pas large. Le sorcier non plus, il fallait bien l'admettre. Au lieu d'exploser de colère, l'homme se contenta de tirer sur une serviette qui pendait sur une accroche, et entoura le corps de la jeune femme d'un geste, avant de refermer la porte en silence et de se racler la gorge.
« …Vous disiez que ce retard était de ma faute... dit-il au bois blanc.
— Oui, parfaitement. Mais je vais terminer de me sécher les cheveux.
— Et vous habiller.
— Tout à fait.
— Et moi je vais boire un verre.
— Voilà. »
Snape retourna dans la kitchenette, et but d'une traite son porto, avant de s'en servir illico un deuxième. Il soupira de soulagement quand il entendit le sèche-cheveux se remettre en marche : il préférait entendre ça que le reste de ses pensées. L'homme entreprit d'allumer la télévision pour se distraire. Il tomba sur une télécommande, très longue et complexe, avec de multiples boutons. Après avoir allumé la musique, monté le son de cette dernière, éteint les lumières du salon, et allumé une sorte de rond bruyant qui rampait au sol — un aspirateur automatique, Severus arriva enfin à allumer la lucarne, et il ne toucha plus du tout à la télécommande, de peur de déclencher une autre catastrophe technologique. Il était donc pris au piège avec la chaîne de cinéma qui diffusait, lui semblait-il, quelque chose de tout à fait inapproprié à cette heure : sur l'écran, s'étalait un couple en plein acte sur un lit. Une blonde sculpturale allongée nue sur le dos et un autre brun au visage dur et malsain la tête entre...
« Smith ! » Appela le Maître des Potions avec un timbre plus aigu qu'il ne l'aurait souhaité. Le sèche-cheveux s'arrêta, et la porte s'ouvrit sur Jane, toujours enroulée de sa serviette, la crinière bouclant dans tous les sens. Elle se précipita dans le salon, d'un air paniqué, avant de s'arrêter devant la télé. Elle fronça les sourcils, puis n'en releva qu'un en l'observant intriguée.
« Oui... ?
— Qu'est-ce que c'est que ça ?
— Un film, Severus. Basic Instinct, si vous voulez tout savoir.
— Mais ils sont en train de...
— Oui, ça arrive parfois entre adultes.
— Certes, mais c'est normal qu'on puisse voir de telles choses aussi facilement ?
— Du sexe, vous voulez dire ? C'est vrai que vous n'êtes pas tombé sur n'importe quel film, mais la société Moldue est gavée de sexe. Vous n'avez pas fait gaffe à Londres ?
— Non, je n'ai pas souvenir d'avoir vu un homme entre les jambes d'une femme.
— Je parlais des publicités. Ça vous dégoûte ? demanda très sérieusement Jane en le regardant attentivement.
— Pas du tout, je suis surtout choqué de voir que... Quoi ? Pourquoi vous souriez ?
— Non, je préfère cette réponse à votre panique de tout à l'heure. Vous êtes moins bizarre que vos élèves ne le croient.
— Jane, vous savez que les sorciers sont beaucoup plus discrets à ce sujet, et beaucoup plus traditionnels. Ça, c'est de la pornographie.
— À peine de l'érotisme. Normalement, le porno c'est quand... Attendez, traditionnels comment ? Personne ne parle de ça, on ne couche pas avant le mariage, et on fait ça dans le noir ?
— Peut-être pas dans le noir, mais le reste, oui, répliqua Snape en rougissant.
— Vous voulez dire que toutes les sorcières et sorciers rencontrés non-mariés sont... NOOON !
— Retournez vous habiller.
— NOOOOOON !
— SMITH !
— J'comprends mieux pourquoi il me jouait le mort de faim la première fois ! s'exclama la jeune femme.
— ... De qui vous parlez ?
— Sirius, vous vous souvenez.
— Ah. Oui, que trop bien.
— Vous croyez qu'il est... ?
— Qu'est-ce que ça peut me foutre ? Et puis pourquoi vous me parlez de lui, au juste ?
— Parce que je me voyais mal vous poser directement la question, Severus. » Lui rétorqua-t-elle amusée en reprenant le chemin de la salle de bains.
1er Août, Square Grimmaurd, 13h25,
« Je n'ai vraiment pas envie d'en parler, Harry. » Tenta pour la quatrième fois Sirius Black, en vain. Comment voulait-il de toute façon arriver à se démêler de cet imbroglio maintenant qu'il avait lâché l'une des informations les plus sensibles de leurs folles années d'école ? Harry s'était d'ailleurs entièrement redressé sur son fauteuil, et regardait son parrain avec une attention très grave.
« Sirius, s'il te plaît. J'en ai marre qu'on me serve les mêmes histoires sur mes parents, je veux la vérité ! »
L'aîné se racla la gorge, ne sachant vraiment pas s'il pouvait en parler, s'il le désirait, ou si même Harry serait capable d'entendre ça. Après un ultime regard en direction des yeux verts — ceux de Lily ! — qui le fixaient avec insistance, il capitula, la voix peu assurée.
« Ils... Ils ne faisaient pas que traîner ensemble... En fait, ils étaient amis.
— ... Ben putain ! se rassit immédiatement le garçon sous le choc.
— Ouais. Comme tu dis. Et puis pas qu'un peu, vraiment, vraiment. Toujours ensemble et tout. J'crois qu'ils habitaient pas loin l'un de l'autre, et... Bon, ben voilà quoi.
— ... Je... Je croyais que papa et maman...
— Ah ! soupira Sirius mal à l'aise. Non, pas du tout. »
Un meuble craqua dans un coin, comme incapable de laisser un silence pensant s'installer totalement. Sirius inspira et continua.
« Jeunes, on était assez… Heu cons avec ton père. Du genre... Et bien comme les ados, quoi. Tu vois ?
— Heu... Non.
— Mais si : on était populaire, on avait les filles qui nous couraient après, on traumatisait les Serpentards — surtout Snivellus, ricana Sirius.
— Ouais, quand vous n'essayiez pas de le tuer, rappela Harry avec plus de violence qu'il ne l'aurait voulu.
— Ouais. Par exemple. »
Sirius baissa les yeux de honte, et Harry vit pour la première fois chez son parrain une vraie gêne à ce sujet.
« T’as jamais pensé à t'excuser, hein ?
— Il n'accepterait pas, et puis c'est vieux, maintenant.
— Tu parles ! Donc, t'es en train de me dire que papa et maman pouvaient pas se blairer, qu'elle préférait rester avec Snape, qui était son ami...
— Son meilleur ami.
— C'est pas vrai ! Son MEILLEUR ami, et que vous lui avez mené la vie dure, parce que... À cause de ça ?
— Non ! Enfin, si, après ! Enfin ton père surtout.
— Et tu t'es pas privé pour en rajouter, hein ? Qu'est-ce que ça pouvait lui faire à James qu'ils soient amis, hein ? »
Sirius accusa le coup : jamais Harry n'avait appelé son père par son prénom. Ça lui fit mal, et pendant un court instant, il fut tenté de se justifier. Mais c'était impossible. Harry ne pardonnait pas ce genre d'attitudes, parce qu'il en avait été victime, sans doute. Et Sirius n'avait plus quinze ans, il était l'adulte. Il devait assumer.
« James aimait Lily, il en était fou. Et il ne supportait pas l'idée qu'elle le rejette et préfère passer du temps avec Snape. Pire, il a même cru pendant un temps qu'ils...
— Que quoi, qu'ils étaient ensembles ?
— Non, peut-être pas, mais... Enfin, c'est compliqué. On devrait peut-être en parler à un autre moment. »
Un nouveau silence s'étira entre eux, jusqu'à ce qu'Harry le trouble avec une question inquiète d'enfant :
« Mais... Ils s'aimaient au moins, mes parents ? »
Sirius éclata de rire, avant de le rassurer immédiatement avec de nombreuses preuves à l'appui.
Appartement de Jane Smith, la veille 31 juillet, 21h07,
« Smith ! Sortez de là ! Nous allons être en retard !
— Mais non. Et puis le film semble tellement vous plaire... !
— Oui, il a l'air bien, mais sortez par Merlin, je ne suis pas pressé, mais vous en faites trop ! C'est juste une soirée avec vos amis, vous êtes pire qu'une Malefoy se préparant à un gala, ma parole !
— Qu'est-ce que vous en savez, au juste ? Et puis vous ignorez tout des us et coutumes des Moldus, faites-moi un peu confiance.
— Alors du sexe partout à la télévision dans la plus grande vulgarité, mais impossible de ne pas sortir sans une tenue impeccable ? C'est logique selon vous ?
— Complètement ! Presque évident même, d'ailleurs, lui répondit la voix étouffée de Jane derrière la porte. Enfin, évident pour ceux ne pensant pas que le mariage est une condition sine qua non pour découvrir les joies de la vie.
— Pour votre gouverne, je ne suis pas... »
Mais Snape s'interrompit, Jane était enfin sortie de la salle de bain après plus d'une heure de préparation. Ce fait seul aurait suffi à l'homme en noir pour railler la jeune femme sur une thématique de gros œuvres, mais il dut reconnaître qu'elle semblait s'y connaître en bâtiment. Jane portait une petite robe noire qui lui arrivait au-dessus du genou, ceinturée à la taille par un bandeau de satin noir également. Si le ventre et le haut des cuisses étaient totalement opaques, le bas de la robe, ainsi que son haut, poitrine, épaules et manches, étaient entièrement faits de grosses dentelles noires au motif floral. Des dentelles assez larges pour que l'on voie clairement la peau blanche de la jeune femme au travers, ce qui donnait un équilibre de couleurs très élégant. Ayant relevé ses cheveux en un chignon lâche d'où tombaient quelques mèches bouclées, Jane laissait sa nuque à la vue de tous. Pour seuls bijoux, elle portait des boucles d'oreilles de perles d'onyx qui arrivaient au creux du cou. Jane s'était maquillée d’une façon qu’il ne lui avait jamais vue : la bouche mise en valeur par un rouge à lèvres définitivement pas adapté pour un jour de classe. Enfin, elle avait enfilé une paire de talons hauts qui l'amenaient presque à la hauteur de son aîné, qui, pour l’heure, l'observait avec une rare attention.
« Vous n'êtes pas quoi ?
— ...Préparé à l'idée que vous puissiez ressembler à une femme. » Bredouilla-t-il.
Jane écarquilla les yeux, avant de s'empourprer autant que son rouge à lèvres, puis elle lui sourit.
« Merci. Vous aussi… Sur un malentendu on pourrait croire que vous êtes un homme.
— De loin, alors.
— Oui et surtout de dos. » Rétorqua-t-elle malicieuse.
Il lui rendit son sourire, mais Jane ne put le voir, car elle attrapait déjà la télécommande pour éteindre le poste, et se tourna vers lui :
« On y va ?»
Le God Save the Queen n'avait rien d'un bar miteux aux tabourets qui collent et à l'atmosphère saturée de fumée de cigarette. Au contraire, c'était une sorte de club branché pour lequel il fallait faire la queue si on espérait y entrer. Severus et Jane transplanèrent dans la ruelle qu'elle lui avait montrée sur Google Map — Un outil révolutionnaire pour les sorciers ayant besoin de visualiser leur point d'arrivée ! — Et, lui tenant le bras, elle le traîna devant les videurs, faisant fi de l'immense file d'attente rangée derrière un petit cordon de velours. Snape allait protester sur son manque de savoir-vivre, quand elle aborda directement le mastodonte qui gardait l'entrée :
« Sans déconner, JACK ! T'es encore en poste ?
— Noon ! Jane ! T'es vivante !! Putain, j'avais fini par croire qu'on allait te retrouver en morceaux dans un parc, ou bien brûlée vive après avoir trop approché un briquet !
— Ah-ah, t'es con, j'bois pas tant que ça. Enfin... On verra ce soir. Je suis en retard, non ?
— Évidemment, mais t'as soigné ton entrée, c'est ça ? C'est l'grand soir, c'est l'bon ? rétorqua le malabar en jetant un regard étrange à Severus.
— On va dire ça comme ça.
— Ça explique Diane. Ils sont à l'alcôve habituelle, amusez-vous bien ! » Sourit-il en enlevant le cordon provoquant un tollé chez les gens faisant la queue.
Qu'ils passent avant tout le monde choqua sincèrement le Maître des Potions. Peut-être autant que de voir Jane dans un environnement aussi différent. La jeune femme ne laissait pas du tout présager un tempérament de fêtarde. Lorsqu'ils dépassèrent, le videur, ce dernier siffla, les faisant se retourner :
« Garde-le. Un mec qui a un cul pareil, et qui sait le mettre en valeur, ça court pas les rues !»
Cela eut au moins le mérite de faire rire Jane qui tira Severus par le bras, le sien passé dessous, pour les engouffrer dans un endroit où la musique semblait faire danser et boire une foule immense. Entre deux contacts avec des corps élancés et frénétiques, Severus réussit à hurler à la jeune femme sa question :
« Qu'est-ce qu'il voulait dire ?
— Exactement ce qu'il a dit : que vous aviez un beau cul ! cria-t-elle en se collant presque à lui pour qu'il l'entende hurler dans son oreille.
— Mais... comment peut-il juger ?
— Severus ! Jack a des yeux, comme moi, comme vous. Et par ailleurs, il est aussi amateur que moi : il est gay.
— Ah ! »
Le ton détaché du Maître des Potions fit s'arrêter net la Moldue. Ils étaient entourés de gens qui dansaient, criaient, discutaient, buvaient, s'embrassaient ; Bref, ce n'était pas le meilleur endroit pour tenir une conversation. Mais Jane était choquée de la décontraction de son vis-à-vis. Surtout après l'avoir vu être aussi pudibond avec un simple film.
« Dites, Severus, vous l'êtes ? osa-t-elle lui crier directement dans le pavillon.
— Arrêtez de vous intéresser à ma sexualité Smith ! Vos amis nous font signe.
— Attendez, répondez-moi juste, ça vous coûte quoi de...
— JAAAAANE ! PAR-LA !! »
Diane avait réussi l'exploit de couvrir assez la musique pour qu'on l'entente. Au-dessus d'eux, sur une sorte de balcon qui s'enfonçait en alcôve, on pouvait distinguer une femme brune aux cheveux courts ébouriffés leur faire signe, un grand verre triangulaire dans les mains.
« Présentez donc ce beau cul à ce beau monde. » Susurra l'espion avec une voix incroyablement basse pour l'ambiance.
Ça sonna légèrement la jeune femme, et lui fit oublier sa précédente question. Elle tressaillit et enleva son bras pour attraper le poignet du sorcier, et les aider à s'extirper de cette sorte de fosse pour monter des escaliers droits en métal brossé.
Ils débouchèrent sur un balcon richement décoré, muni de multiples alcôves enfoncées dans des cadres de métal et de rideaux en organza qui laissaient filtrer la lumière. Dans le renfoncement, assis sur des banquettes épaisses noires, leurs verres posés sur une table si laquée qu'elle reflétait presque le visage des occupants : les trois Moldus les plus étranges que Severus Snape n'ait jamais vus.
Diane, qui les avait hélés du haut du balcon frappait dans ses mains avec joie, apparemment ravie de voir enfin son amie. C'était une jeune femme d’une rare beauté, très énergique, aux cheveux noirs et courts, aux mèches bleu vif. Elle portait une robe de soirée très moulante, bleue électrique, et un énorme ras-de-cou noir en métal luisant. La robe était beaucoup trop courte, moulante et décolletée au goût de Severus qui comprit cependant pourquoi Jane mettait autant de soin dans sa propre tenue : c'était effectivement aussi important que pour un Malefoy à un Gala. À ceci près que la culture Moldue semblait nettement plus libérée sur la question de l'étalage des corps. Que cela soit Jane, Diane, ou la dénommée Lucy — une fille aux cheveux gris, et portant un pantalon de cuir et une veste d'homme ouverte sur un soutien-gorge en dentelles noires — toutes étaient très sexualisées. Trop, pour un Sorcier ayant habituellement pour collègues des femmes d'un certain âge en robe à col haut, et jupon bas.
Severus se sentit moins étranger lorsqu'il avisa l'autre homme présent à cette soirée, Dimitri, s'il avait bonne mémoire, qui portait lui aussi un pantalon serré et une chemise — noire cette fois-ci — ouverte sur deux boutons. Assez pour dévoiler une partie de sa pilosité. Blond, la coupe en brosse, il avait un air slave qui lui donnait l'allure d'un espion de la guerre froide. Tout à son inspection, le Maître des Potions sursauta quand Jane lui tapota le bras :
« Severus, on vous parle...
— Vous ? Jane, vous vous vouvoyez encore ?! s'exclama Diane amusée.
— Non ! Je t'ai déjà dit que...
— Est-ce que je vous pose des questions sur vos petits jeux à tous les deux ? demanda Lucy en regardant tour à tour Diane et Dimitri.
— Ça n'est pas... tenta Jane.
— Non, mais quand même ! Severus — on va se dire « tu » — c'est ton truc qu'elle te dise « vous » ? » Osa Diane sans aucun complexe.
Snape hésita à répliquer que son « truc » était surtout qu'on lui dise « vous » en toutes circonstances, mais Jane s'était effondrée sur une banquette à côté de lui et commandait déjà à boire, elle releva à peine la tête pour lui jeter un regard désolé. L'homme soupira, et s'assit à côté d'elle, optant pour une approche plus délicate :
« Nous nous disons encore « vous », car nous ne sommes encore que des collègues. Rien d'érotique, là-dedans. Simple politesse. »
Voilà une réponse parfaite, pensa-t-il. Assez diplomate pour ne pas braquer les Moldus, assez claire pour que le doute ne plane plus et qu'ils puissent tous se détendre. Mais Diane et Lucy échangèrent un regard de connivence, avant de sourire à Jane d'un air comme seules des amies peuvent faire. C'est Lucy qui répliqua, en arquant un sourcil argenté parfaitement épilé :
« « Encore QUE des collègues » Hein... ?
— ... Vous buvez quoi au juste ? demanda brusquement le Mangemort à son amie, pour dissimuler son embarras.
— Vodka-Martini, vous savez la boisson de James Bond, l'espion de Sa Majesté.
— Un espion, eh ? ... Garçon, la même chose que la demoiselle, un Vodka-Martini, ordonna Snape à l'adresse d'un serveur jeune à l'air hautain.
— Au shaker ou à la cuillère ? demanda le jeune d'une voix agaçante.
— Qu'est-ce que ça peut me foutre ?! »
Jane s’étouffa et éclata de rire, bientôt rejointe par ses amis. Snape l'interrogea du regard, mais Lucy s’exclama :
« C'était si instinctif cette réplique ! On pourrait croire que c'était involontaire !
— Ça l'était, confirma Jane en buvant une gorgée, amusée.
— Eh bien, s'il a le même caractère que Bond, tu ne dois pas t'ennuyer, ajouta Diane.
— Je te l'ai déjà dit...
— Ah-ah, oh non c'est horrible, Diane ! J'ai la chanson en tête !! éclata de rire la fille aux cheveux gris.
— LA MÊME ! lui répliqua son amie, hilare.
— Oh non, les filles, pas ça, c'est trash... ! gémit la Moldue, faisant d'autant plus rire ses amies.
— AH ! Tu y as pensé aussi ?! Justes des collègues, tu parles !!!
— Quelle chanson ? » Osa Snape en regrettant immédiatement sa question devant l'air malicieux des deux filles, et le rosissement net de Jane, visible malgré la lumière ambiante.
Diane et Lucy se tenaient toutes deux la main, aux prises avec un rire qui n'en finissait plus, et Jane n’osait pas le regarder. C'est Dimitri qui livra la réponse au Sorcier, après avoir tapoté son smartphone, et tendu des écouteurs. Severus hésita avant de comprendre ce qu'on attendait de lui, et plaça un écouteur près de son oreille. Sur un fond de trompettes lascives, une voix ronde et puissante de femme articula lentement : « Goooooold Finger »
Snape en ouvrit la bouche, choqué, déclenchant un éclat de rire général.
1er Août, Square Grimmaurd, 14h39,
« Bon, très bien, mais si maman ne pouvait pas le supporter, quand est-ce que ça a changé ? Et pourquoi Snape me déteste tant s'il était ami avec elle ? »
Sirius soupira. C'était presque un gémissement à fendre l'âme. À peine 24h que Harry habitait avec lui, et le garçon avait réussi à l'amener sur le terrain qu'il cherchait à tout prix à éviter. Et il savait que son filleul ne lâcherait jamais l'affaire, qu'il continuerait à le harceler, jusqu'à avoir une réponse. Il était évident que le garçon n'accepterait plus jamais de non-dits, surtout au sujet de ses parents. L'Animagus sortit de la bibliothèque, le jeune homme sur les talons, pour se diriger vers la verrière qui couvrait une partie de son jardin. Il avait besoin de lumière en cet instant, comme si le fait de se plonger dans ces souvenirs lui était pénible et jetait une ombre sur son moral.
C'était le cas. Il avait très précisément en mémoire des passages entiers de son adolescence, et ils lui apparaissaient aujourd'hui comme véritablement honteux. Fréquenter Harry, qui n'avait rien de comparable avec James, obligeait le Maraudeur à revoir ses critères d'amusement. Et face aux yeux scrutateurs, il se sentait véritablement gêné : qu'est-ce qu'ils avaient été cons... Sirius s'assit sur une chaise de jardin en fer forgé, moulinant un geste de la main qui amena quelques minutes plus tard, avec un bruit de tintement, un nouveau café.
« Alors... Snape te déteste, car il détestait ton père. Et que tu lui ressembles beaucoup physiquement. Peut-être aussi parce que ton père et ta mère se sont mis ensemble et qu'il s'imagine que t'aurais dû être son gosse, j'en sais rien... Fais pas cette tête, j't'ai dit que James avait un temps pensé que... Bref. Lily et Snape ont arrêté de se voir, définitivement, à cause d'un truc qu'a dit Snape.
— Quoi donc ?
— Il l'a traitée de Sang-de-Bourbe. »
Harry fronça les sourcils en sentant le sang lui vriller les tempes. Il se souvint de Malefoy traitant Hermione de Sang-de-Bourbe, et de la réaction de Ron qui avait tenté de lui jeter un maléfice, en vain, car sa baguette...
« Comme ça, gratuitement ? Alors que c'était censé être son amie ?!
— Non... Pas exactement. Disons qu'on a... Bon, on a fait chier Snape, un peu trop. Lily est venue à sa rescousse, comme toujours. Sauf que là... Yavait ses potes Mangemorts : McNair, et tout. Et il l'a traitée de Sang-de-Bourbe devant tout le monde. James a pété un câble, les Mangemorts ont rigolé, Lily s'est enfuie en pleurant. Et après ça, ils ne se sont plus parlé, je crois. De toute façon... Snape traînait beaucoup avec eux et était probablement déjà un Mangemort, ça change pas grand chose.
— ... Attends, tu crois que l’hypothèse qu'il ait été un Mangemort à l'époque puisse justifier que vous le traquiez ?
— Et comment t'es avec Malefoy junior, au juste, hein ? répliqua Sirius qui n'en pouvait plus d'être jugé.
— Comme je suis avec les autres élèves : je ne les traque pas pour le plaisir. Même Malefoy me traite mieux que ce que vous avez semblé faire avec Snape.
— Mais t'as vu comment il est Harry ? T'as vu de quoi il a traité ta mère ? Tu crois que quelqu'un de bien dirait une telle chose ?! »
La tasse à café de Sirius tremblait sous l'effet de sa rage, et cela remit en mémoire à Harry un détail qui ne l'avait pas frappé à l'époque : Hermione et lui avaient dû aider Ron à faire passer ses vomissements, ils étaient donc arrivés en retard au repas du soir, et n'avait pas vu Malefoy à la table des Serpentards... Et Snape manquait à la table des professeurs. Se pourrait-il que l'espion ait puni Draco à cause de cette insulte ? Harry plissa des yeux, cherchant à retrouver des détails que sa mémoire lui masquait. Ça l'agaça, et l'expression « cerveau en gruyère » que l'homme avait eu pour lui, revint le hanter. Tous deux se turent pendant un long moment. Sirius cherchant à éviter le regard plein de reproches de son filleul, et Harry, tentant de mieux comprendre les adultes l'entourant.
Un bout d'une vingtaine de minutes de silence, le garçon rompit le charme en posant une question lentement :
« Est-ce que c'est ça la certitude de Dumbledore ? Est-ce que c'est cette raison qui aurait fait changer de camp Snape : la mort de maman alors qu'il... ?
— ... Je n'y avais jamais songé. »
Club « God Save The Queen », la veille 31 juillet, 23h17,
Au-dessus de la fosse où de nombreuses personnes se trémoussaient, une piste de danse avait été suspendue, uniquement atteignable par les balcons. S'illuminant par en dessous, et projetant un jeu d'ombres sur les murs de tout le club, la piste donnait à ses danseurs des allures de fantômes de plaisirs errants dans une soif infinie de fête et de joies. Parmi les âmes mortes, flottaient donc Lucy, Diane, et Jane, ainsi que d'autres jeunes femmes et quelques hommes, bien décidés à transpirer les litres d'alcool ingérés. Les filles n'avaient pas eu besoin de trop pousser la Moldue pour qu'elle les rejoigne. Si Jane avait jeté un regard un peu gêné au Sorcier avant d'accepter, désormais, son déhanché clamait haut et fort qu'elle avait manifestement l'habitude de passer des nuits entières à bouger sur des talons hauts.
La dentelle virevoltait, dévoilant le haut d'une cuisse, un peu, beaucoup. De gauche, à droite. Des morceaux de chair s'offraient à lui, sans aucune pudeur, sans aucun complexe, dans un ballet particulièrement évocateur. Gauche, droite, lentement, en ondulant, la dentelle dansait sous ses yeux.
« Je te crois. »
Severus s'arracha à sa méditation, et regarda Dimitri qui était resté en arrière, un verre de Bloody-Mary dans la main. Il avait l'air profondément amusé, et ses yeux bleu gris aciers transperçaient le Sorcier comme s'il l'avait totalement mis à jour.
« Plaît-il ?
— Je te crois quand tu dis que vous n'êtes que des collègues. Si tu couchais déjà avec, tu ne la dévorerais pas des yeux comme ça. »
Snape se tourna brusquement entièrement vers son vis-à-vis, faisant désormais dos à la scène, et se concentrant pleinement sur la conversation. Il avait bu, certes, mais pas à ce point.
« Je ne pense pas que le terme soit « dévorer », je suis simplement choqué qu'elle se permette de danser de façon aussi...
— Au moins tu reconnais que c'est bien elle que tu mates. »
Dimitri lança un regard goguenard à Severus, relevant le menton, comme pour le mettre au défi de le contredire. Ce que l'espion s'empressa de faire, naturellement :
« Vous voudriez que je fixe votre soeur, ou votre femme, peut-être ? lui lança-t-il glacial.
— « Tu », je te l'ai déjà dit, Severus. Par ailleurs, Diane et moi ne sommes pas mariés. Et ça ne me choquerait pas : je sais qu'elle est belle, puisque je suis avec elle.
— Charmant. Elle doit être ravie de savoir que TU restes pour son physique. » S'engouffra Severus pour changer la conversation.
Mais cela fit surtout rire le blond, qui lui rappela vaguement Draco Malefoy à ce moment-là, et qui commanda deux verres, se moquant des protestations du Sorcier :
« Oui, Diane adorerait savoir que je la trouve toujours belle après tout ce temps. Comme toutes les femmes, d'ailleurs.
— Mais tu sembles croire qu'on regarde une femme que quand elle ne nous appartient pas.
— Ah-ah ! Non ! Je pense simplement que tu avais soit la tête du mec qui n'en pouvait plus, soit celle du mec qui n'avait jamais vu danser une fille. Mais ça m’étonnerait que...
— Eh bien si, pas comme ça pour être exact. Là d'où je viens, elles sont plutôt...
— Oui, à ce propos : j'ai pas bien compris où vous travailliez tous les deux… »
Snape avala une gorgée de Bloody-Mary commandé sans son consentement, et grimaça quelque peu.
« Si c'est ta façon de vouloir me faire retourner sur l'autre question, c'est malhabile, je n'ai aucun problème à parler de mon travail.
— Nullement. Je suis curieux, c'est tout. On connaît Jane depuis longtemps, je veux juste comprendre ce qu'un simple collègue fait dans une soirée à mater mon amie.
— Je ne...
— À réfléchir au sens de la vie, les yeux rivés sur son cul, si tu préfères.
— Ses hanches.
— Bon, eh bien ses hanches, alors. Tu vois, tu deviens presque honnête Severus. Donc, cet endroit, c’est quoi ? À moins que tu ne préfères parler des hanches de Jane.
— C'est en Écosse. »
La chanson s'arrêta, et les filles finirent par revenir, haletantes, souriantes, et riant de s'être autant amusées. Jane tomba presque contre le Sorcier, lorsqu'elle se laissa choir, et reprit un Vodka-Martini.
« Sans déconner, Lucy, t'as vu comment il s'est pressé à toi ? Comment tu fais pour les attirer, comme ça ? s'exclama-t-elle en touillant son verre avec son olive.
— Oh, arrête un peu, hein ! Tu vas pas me refaire le plan de « je suis paumée, aucun mec s'intéresse à moi » ! Surtout pas devant Severus en plus !
— ... Mesdames, je ne...
— Non, non, secoua la tête Diane après avoir déposé un baiser sur la joue de Dimitri. Je suis d'accord avec Jane : tu as le chic pour séduire en boîte. Mais chacun son truc, toi apparemment, c'est au travail, non ?
— Ah. Ah. Ah. Vous n'allez donc pas me lâcher avec lui ?! C'est juste un collègue !
— Parfaitement !
— OUI-OUI, dirent les deux femmes en même temps avec un grand sourire.
— Et puis c'est pas la question, t'as son numéro ? » Changea de sujet Jane.
Snape cligna des yeux, et se pencha en direction de Dimitri, s'obligeant à passer derrière le dos de la Moldue pour ce faire. Le blond se pencha aussi, se détachant de sa copine, pour tendre l'oreille :
« On ne compte pas, c'est ça ?
— C'est ça, éclata de rire Dimitri. Et puis là, ça va parler mecs, en faisant comme si tu n'existais pas.
— Comment... Attendez, elles vont parler de moi, aussi ?
— « TU !» Eh oui, c’est possible. C'est toujours comme ça... »
Jane se tortilla pour se retourner sur les deux comploteurs dans son dos.
« Mettez-vous à côté si vous avez tant que ça flashé ! Vous me donnez chaud, Severus, à soupirer derrière ma nuque ! » Tempêta la jeune femme en levant les yeux au ciel.
Cette phrase, lancée sans aucune arrière-pensée, déclencha un rire chez ses deux meilleures amies, et même Dimitri ne put s'empêcher de s'esclaffer. Snape se redressa si vite qu'il sentit sa colonne vertébrale craquer. Il était écarlate, et pour masquer son embarra, préféra se lever pour se positionner entre la jeune femme et le Moldu. Les filles reprirent leur conversation comme si tout ceci était normal, et comme si les deux hommes n'avaient pas d'autre utilité que de faire office de figurants à une pièce jouée depuis la nuit des temps.
1er Août, Square Grimmaurd, 15h15,
« Tu veux dire que tu n'avais jamais envisagé la possibilité que Snape puisse être autre chose qu'un bâtard graisseux et qu'il pouvait avoir été peiné de la mort de maman ? Alors même que tu savais qu'ils avaient été amis ?! »
Harry avait posé cette question en regardant Sirius comme si lui, et les autres Maraudeurs, avaient pu être profondément stupides. Ça vexa quelque peu Sirius, qui tourna la tête pour échapper à ce regard, avant de rétorquer :
« T'en as de bonnes. T'aurais cru, toi, que Snivellus aurait pu être...
— Severus. Ou Snape. Mais t'as pas besoin d'aller jusque-là. T'es pas Malefoy, Sirius. Tu vaux beaucoup mieux que ça.
— Ouais... Snape. Mais arrête un peu les bons sentiments, Harry ! Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi que tu es capable d'imaginer Snape en train d'aimer quelqu'un. J'veux dire autre que lui-même et ses chaudrons ? »
Londres, une ruelle, la nuit du 31 juillet au 01 Août, 01h30,
Dans un « plop » qui semblait aussi hasardeux que leur atterrissage, Jane Smith et Severus Snape transplanèrent dans la ruelle proche de l'appartement de la jeune femme. Passablement alcoolisée, elle chancela, la tête lui tournant violemment. Son bras passé autour de sa taille, Snape referma plus encore sa poigne, la collant entièrement à lui, et accrochant son regard avec force :
« Je vous tiens.
— Je sais. Je sais... » Murmura-t-elle en lui jetant un des premiers regards lucides qu'elle avait eu depuis quelques heures.
Il faisait plutôt bon, et le ciel était remarquablement dégagé pour un soir londonien. La ruelle, bien que plongée relativement dans l'obscurité, arrivait à éclairer légèrement les visages des deux incongrus, enlacés dans une posture que jamais aucun d'eux n'aurait cru possible. Severus cilla, et Jane inspira longuement, rompant le contact visuel.
« Je vous interdis de me vomir dessus.
— Ca va. Je crois que ça va.
— Vous avez trop bu.
— Aucune importance, j'avais pas la baguette. »
Jane allait amorcer son geste lorsque le Sorcier la tint par la main :
« La baguette ?
— Oui. On dit « j'ai pas le volant », normalement. Mais là, on a transplané donc...
— Taisez-vous, vous avez trop bu. » Pouffa de rire le sorcier, en remettant sa main sur le creux des reins de la jeune femme pour la diriger droit.
Bien qu'intime, ce geste était surtout destiné à amener correctement la Moldue devant sa porte, pour qu'elle puisse y glisser ses clefs, après deux tentatives ratées, et un ricanement presque hystérique. Au bout de deux minutes, ils purent enfin entrer, et elle s'engouffra dans son appartement avec un soupir de soulagement qui tira un franc sourire au Mangemort.
« Arrivée en vie, hein ?
— C'est un exploit. Imaginez que je faisais ça en métro et à pied, avant...
— Vous buvez toujours autant ?
— Non, sourit Jane en se dirigeant sur le canapé pour tirer un truc étrange dessus. Mais là, je savais que je pouvais compter sur vous.
— C’est presque vexant que vous ne me voyiez pas comme une menace... Qu'est-ce que vous faites ?
— Je vous prépare votre lit. Vous comptiez dormir dans le mien, peut-être ?
— Est-ce vraiment moi qui en aurais eu l’idée… ? Mais non, je préfère éviter. Quoi que les rumeurs ne soient plus à ça près. Mais je peux très bien user de la...
— Chuuuut, aidez-moi, j'vais tomber. »
Il se précipita sur le bout de coussin qu'elle tirait, tandis qu'elle manquait de basculer sur la table basse. Derrière elle, il passa ses bras pour tirer sur la même chose, déroulant un matelas plié.
« Attention à la table, murmura Jane en reculant maladroitement sur lui.
— Attention à moi, vous voulez dire. »
En effet, seule leur différence de taille évita un choc particulièrement gênant. Le Sorcier poussa d'une jambe le meuble, et enfin ils purent déplier complètement le clic-clac qui semblait plutôt moelleux.
« Ingénieux… murmura l'homme en noir.
— Eh oui, c'était pas utile de donner un coup de baguette, finalement. »
Snape arqua un sourcil amusé en direction de la Moldue, mais elle était partie du côté de sa chambre. Lorsqu'elle en ressortit, ce fut pour lui lancer une pile de draps.
« Vous saurez vous débrouiller ?
— Je suis un grand garçon, Miss Smith...
— Oui, j’avais remarqué, lui répliqua-t-elle en lui lançant un regard équivoque. Bonne nuit, Severus.
— Bonne nuit. Jane. »
1er Août, Square Grimmaurd, 15h16,
Harry mit du temps avant de répondre, proposant une grimace à la place, la bouche tordue dans une expression de réflexion pas particulièrement convaincue. Levant les yeux au ciel, comme pour chercher la réponse, il finit par soupirer, tournant la tête de côté, et regardant droit dans les yeux son parrain.
« Oui. En fait, oui. »
Sirius secoua la tête en entendant ça, s'agaçant de cette façon qu'avait Harry de toujours voir plus ou moins le meilleur chez les gens. Du moins, quand cela l'arrangeait, nota le Sorcier.
« Je suis sérieux, Sirius ! Je l'ai vu faire cette année : c'est un homme de parole, pour commencer... Et je crois qu'il a vraiment à coeur de vaincre Voldemort.
— Ah bon ? Et ça te suffit pour imaginer qu'il puisse...
— Eh je sais pas... Je l'ai déjà vu plaisanter. Non, vraiment, Sirius ! Plaisanter avec Dumbledore, ou tiens ! Le Professeur Smith !
— Il ne plaisantait pas, il se moque d'elle.
— Non, non j'crois pas. J'pense qu’entre eux c'est plus subtile que tu ne le crois, franchement.
— Et toi, tu penses qu'il est de notre côté ? »
Le garçon se leva pour aller toucher la fleur de Lys qui poussait pas loin de lui, et qui l'intriguait depuis le début. Il sourit en caressant ses pétales, reportant son attention sur son parrain.
« Oui. En fait, oui. »
1er Août, Magasin « Sixt », Londres 14h58,
« Et pourquoi, au juste, nous louons une voiture ? demanda Snape d'une voix traînante qui agaça la Moldue.
— PARCE QUE. Nous avions convenu que j'allais rendre visite à ma mère.
— Qui n'est qu'à quelques stations de métro, si vraiment vous y teniez.
— Sauf que non : à cette période, elle et Collins, vont passer leurs vacances dans le Nord de la France...
— Oui, et quoi de mieux qu'une voiture pour traverser la Manche ? railla le Sorcier.
— On PEUT faire ça, Severus. Et j'avais envie de conduire. »
Pour l'agent d'accueil qui n'avait comme seul rôle que de rencarder les gens sur les voitures à louer, et ne devait – tout au plus – que prendre des réclamations de personnes contrariées par la couleur de leur véhicule, cette discussion surréaliste était de trop. Il n'arrivait pas bien à comprendre ce couple étrange qui n'arrêtait pas de s'engueuler depuis leur arrivée. Il faut dire que le fait que la jeune femme porte d'énormes lunettes de soleil le mettait mal à l'aise. Peut-être parce qu'il s'était demandé un temps si l'homme en noir ne l'avait pas contrainte à les porter, après l'avoir frappée. Steven, car c'était son nom, sursauta quand Snape pressa une nouvelle femme la fille aux lunettes :
« Est-ce qu'au moins nous pouvons nous hâter ?
— Voilà, voilà ! Tenez, dit Jane à l'attention du gamin aux taches de rousseur. Voilà, j'ai signé, les clefs sont... ?
— Ici, Madame. Heu... Bon voyage, Madame. Si je peux faire...
— C'est ça. » Coupa Severus agacé et pressant Jane de descendre au parking.
La tenant pour la pousser, Snape ne se rendit pas compte du fait que sa main restait rivée au dos de la Moldue, qui elle, ne manqua pas de faire remarquer :
« J'ai pris une cuite, certes, mais je sais encore marcher.
— Excusez-moi. Mais je ne tiens vraiment pas à m'éterniser ici.
— Pourquoi ? se moqua-t-elle en montant dans le véhicule et s'installant au volant.
— Parce qu'il croyait que je vous battais, répondit le Sorcier en prenant la place du mort.
— Hein ? Attendez, mettez nos papiers dans la boîte à gants.
— Voilà. Je disais : le gamin pensait que je vous frappais.
— Mais pourquoi ça ? Il est con, ou quoi ? s'étonna-t-elle en démarrant, et faisant une marche arrière.
— Vos lunettes.
— Oui, vous avez raison. »
Jane retira ses lunettes, et acquiesça : c'était nettement mieux pour y voir dans un parking. Elle put faire sa manœuvre, et ils sortirent enfin de l'endroit, le Sorcier avec les mains serrées fermement sur le siège. Lorsque la voiture prit la direction de la sortie de la ville, et se stabilisa, Severus expira, et reprit.
« Non, je veux dire qu'il pensait que vous portiez des lunettes parce que vous frappais.
— C'est ridicule, vous vous faites des idées.
— Non, je l'ai vu. »
Jane tourna à un feu, avant de prendre une bretelle menant à un immense pont suspendu. Elle ralentit devant la file de voitures, s'engageant doucement sur le pont. Pratiquement à l'arrêt, elle se permit de jeter un regard perplexe au Mangemort.
« Comment ça « vu » ? Vous continuez de lire dans les pensées des gens ?
— Je n'ai jamais cessé, corrigea-t-il en déclenchant un rougissement fulgurant chez elle. Je ne passe pas non plus mon temps à regarder. Si jamais vous vous inquiétez de ce que j'ai bien pu lire chez vous hier soir.
— Je ne vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter...
— C'est vrai, ce n'était pas la première fois que vous m'imaginiez vous attachant... »
Severus avait répliqué ça avec un détachement plus réel que ce qu'il pouvait ressentir lui-même. Il fallait admettre qu'il était encore très partagé sur l'image qu'il avait captée la veille au soir, lorsqu'ils tentaient tous deux de rentrés sains et saufs de cette soirée arrosée.
« J'ai juste... » Bredouilla Jane en devenant pivoine, et tirant un sourire carnassier au Sorcier.
Mais elle s'interrompit brusquement, perdant ses couleurs à une vitesse incroyable. Le sourire de Severus mourut au même moment lorsqu'il vit l'éclat de terreur dans les yeux de la jeune femme. Tout alla très vite.
Il eut à peine le temps de déboucler sa ceinture et de se jeter sur elle que la vitre de sa portière explosa, projetant dans les airs une multitude d'éclats. Il entendit vaguement Jane hurler tandis qu'il l'entourait totalement de ses bras, et tirait sa baguette. La voiture bascula dans un tonneau, et de nombreuses voix distordues s'élevèrent pour leur vriller les tympans. Un froid glacial les enveloppa, et Snape sentit la Moldue presser son visage contre son torse. L'homme releva la tête, la voiture faisant des cabrioles dans tous les sens, et put voir une tempête d'ombres voler dehors autour d'eux dans un ballet furieux. Une explosion projeta le véhicule en arrière, éclairant l'habitacle de couleurs orange-sanguine. Sur le pare-brise, un bras sectionné s'enfonça de dix bons centimètres, tirant un hurlement d'horreur à la jeune femme. Severus contracta la mâchoire, resserrant son étreinte autour d'elle, et ils les firent transplaner.
Ils atterrirent sur le sol, comme des poupées de chiffon jetées aux pieds d'une poubelle dégueulant de sacs et de saletés. Snape releva fermement sa protégée, baguette au clair, et la gardant contre lui, l'amena sous un portique où il s'appuya, avant de frapper à la porte violemment. Ils attendirent, Severus prenant le visage de la jeune femme dans sa main droite pour le relever. Du sang séchait sur sa tempe, coulant sur son sourcil entaillé. Un éclat de verre s'était fiché sur son front profondément. Jane cillait, d'un air hagard, gémissant et suppliant Severus. « Il faut les sauver, il faut les sauver ! » Répétait-elle.
La porte s'ouvrir enfin, et l'air curieux de Sirius Black se changea immédiatement. L'espion lui plaça la Moldue dans les bras, sans autre forme de procès.
« Attaque. Londres. Mangemorts. Je reviens. Soigne-la. »