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30 juin 2018, commissariat central d’Ajaccio, 18h46
-Merci d’être venu au plus vite, déclare l’inspecteur Barot.
Depuis la nouvelle de ce matin, l’homme est métamorphosé. Il est devenu aussi pâle que la neige et ses yeux ne reflète plus rien. Sa colère s’est transformée en tristesse. Il n’a plus goût à rien.
En le voyant dans cet état, l’inspecteur se demande si ça a été une bonne idée de vouloir le convoquer si tôt. Néanmoins, ils n’ont pas vraiment le choix. Ils ont besoin de réponses.
-Pourquoi suis-je ici ? Demande l’homme d’une voix rauque. Ses yeux sont à moitié fermés. Il est à peine présent. Comme captif d’une autre dimension, loin de ce monde et de la réalité.
-Nous avons besoin de votre aide concernant l’enquête à propose de la mort de Jeanne Borin.
L’homme ne réagit pas, il s’en doutait bien.
L’inspecteur réfléchit à comment aborder le sujet sans trop brusquer l’homme. Il connaît son caractère et sait que s’il se croit soupçonné du meurtre il risque de mettre ce commissariat sens dessus-dessous.
-Nous avions besoin d’informations concernant votre divorce avec Jeanne Borin. Nous avons retrouvé les papiers officiels datant de février 2017 et nous voulions savoir quel événement tragique a pu conduire à cette rupture.
L’homme croise les bras et baisse les yeux. L’inspecteur comprend qu’il vient d’aborder un sujet sensible.
-En fait, un événement a fait qu’on s’est disputé de plus en plus. J’étais stressé, elle aussi, nous étions totalement perdus… Et dans ce genre de situations on fait des bêtises, ce que j’ai fait…
-C’est-à-dire ? Demande l’inspecteur.
-J’ai noyé mon chagrin dans les jeux. Tous les soirs j’allais au Casino et je dépensais toutes mes économies dans l’alcool et les jeux d’argent. C’était une drogue. Je suis mauvais perdant et à chaque fois que je perdais je voulais recommencer. Alors je jouais, encore et encore et encore… Lorsqu’elle l’a découvert, elle m’a viré… Je ne voulais pas, je ne suis pas comme ça…
Il se met à pleurer. Il met ses mains sur ses yeux et pose ses coudes sur la table.
-J’étais juste triste, continue-t-il, tellement triste…
-Triste par rapport à quoi ? Demande l’inspecteur d’une voix qui s’est radoucie. Que s’est-il passé ? N’y aurait-il pas un rapport avec votre fils ?
L’homme relève la tête à la mention de son petit garçon. Ses yeux sont remplis de larmes. Il regarde l’inspecteur avec désarroi.
-Je n’ai pas envie de parler de ça… S’il vous plaît, Supplie-t-il, sinon je vais m’effondrer.
-Je crains malheureusement que la deuxième chose que je dois vous demander ne vous plaise pas davantage…
L’inspecteur prend une grande inspiration. En voyant cet homme pleurer devant lui, dépourvu de tout, il a maintenant du mal à s’imaginer qu’il pourrait être l’auteur d’un meurtre. Et pourtant, il est leur seule piste.
-Que faisiez-vous hier matin au moment de la disparition de votre ex-femme ?
L’homme change complètement d’attitude. Il relève la tête, redresse ses épaules et son regard auparavant désespéré s’est transforme en haine. Comme l’inspecteur le craignait.
-Non mais je rêve ! Vous n’allez quand même pas m’accuser quand même !? JEANNE ETAIT MA FEMME !!
-Si je puis me permettre, dit l’inspecteur, c’était votre ex-femme. D’après ce que vous racontez votre relation s’était dégradée depuis plus d’un an… Elle ne vous laissait plus voir votre fils. La dernière fois que vous l’aviez vu cette année remontait à Noël. Elle part en vacances et cette noyade survient. Vous auriez pu l’en empêcher, si elle n’avait pas été distraite par son téléphone, si vous aviez été là…
L’homme boue, son visage devient rouge écarlate. Ses poings se serrent.
-Mais non ! Je ne l’aurai pas tué pour ça ? Vous croyez qu’elle ne s’en voulait pas déjà assez !? Elle ne m’en voulait plus, j’étais juste loin. Si vous voulez tout savoir elle m’a même demandé de venir en Corse avec eux et j’ai refusé ! C’est moi qui ai refusé !
-Mais pourquoi ? Pourquoi avoir refusé ? Vous aviez enfin l’opportunité de voir votre fils de vous racheter ?
L’inspecteur se radoucit. L’homme hésite avant de répondre.
-J’avais honte d’accord ? J’ai été tellement absent lorsqu’il avait besoin de moi… Ce qu’il m’est arrivé, je l’ai mérité…
-Je pense que vous avez tort, reprend l’inspecteur, votre fils avait besoin de vous, de votre amour… Avant que vous arriviez sur l’île, Jeanne Borin s’était confiée à moi, elle m’avait dit qu’Ezéchiel vous réclamait, tout le temps. Vous lui manquiez beaucoup.
En entendant cela, l’homme s’effondre dans un mélange de pleurs et d’hystérie.
-Ecoutez, calmez-vous, je ne voulais pas vous mettre dans cet état. Je veux juste que vous répondiez à ma question.
-Très bien, dit l’homme d’une voix rauque, vous voulez tout savoir, et bah je dormais. Voilà tout, je dormais. Je m’étais saoulé à la vodka la veille et je me suis réveillé tard. Ca vous va ça ?!
-Oui, répond l’inspecteur, mais vous n’avez pas répondu à une question cruciale. Qu’est-il arrivé à Ezéchiel l’année dernière ?
L’homme inspire bruyamment, il réfléchit quelques secondes, retient sa respiration, puis se lance :
-Eh bien…
-Monsieur ! L’interrompt un agent qui interpelle l’inspecteur.
-On a du nouveau…
2 janvier 2018, Calvi, 12h30
Voilà maintenant un an que son petit garçon a rejoint le ciel et depuis, il ne vit plus. Il passe ses journées devant la télévision ou à boire et même lorsqu’il voit Sarah, il n’arrive pas à être présentable et parfois passe son temps à pleurer devant elle. Il voit bien qu’elle est là par compassion mais qu’elle en a marre de lui. Alors, dans sa détresse, il lui dit à chaque fois : « Je sais que tu ne m’aimes plus, que tu vas partir… » et alors elle s’énerve et part. Elle le laisse seul dans sa colère. Chaque fois que ça arrive, il pense que c’est fini, elle ne reviendra pas. Et pourtant, elle est là, elle lui donne ses médicaments, elle lui fait à manger… Il se demande comment elle arrive à trouver la force pour rester auprès de lui. Lui-même ne se supporte plus. Il aimerait tant changer, redevenir comme avant...
Mais comment peut-il se remettre de la mort de son fils ? Est-ce au moins quelque chose d’envisageable ? Son psychologue lui a dit qu’il ne pourrait jamais s’en remettre vraiment mais qu’un jour il finirait par l’accepter et vivre avec. C’est comme s’il avait une écharde dans le cœur qu’il ne pouvait dorénavant plus retirer mais avec laquelle il pourrait vivre.
En cette triste journée du deux janvier, Marcellin ne veut pas ouvrir les yeux. Il se sent faible, tellement faible. Est-ce psychologique ? Ou est-il réellement malade ? Parfois, il est heureux d’être mal car il sait que s’il a de la chance, la fin est proche et il va enfin pouvoir rejoindre Noah.
Dans tous ses rêves depuis l’accident, il le voit. Alors croyant que c’est la réalité, il court vers lui et le prend dans ses bras. Pendant quelques heures de bonheur il a enfin l’impression de revivre, d’être heureux. Néanmoins, lorsqu’il se réveille et se rend compte que ce n’était qu’un rêve, il ne veut plus se réveiller. Il le sait pourtant car ce rêve, il le fait toutes les nuits. Mais à chaque fois, tout paraît tellement beau et tellement réel qu’il se fait piéger et y croit, avant de se réveiller et d’endurer ce triste événement qu’est la réalité.
Parfois il se demande si en fin de compte ces rêves ne sont pas réels. Et si Noah ne vient pas lui rendre visite dans son sommeil. Alors, dans sa triste vie, il n’y a plus qu’une seule chose qu’il aime faire : dormir. Il lui arrive de passer des journées entières à dormir, vivre dans une autre dimension qui lui semble bien réelle et dans laquelle il trouve le bonheur.
Aujourd’hui, Sarah doit venir le voir. Il n’a plus envie d’affronter tout ça. Il n’a plus envie de lui faire du mal. Alors, il se lève lentement et va dans la salle de bain.
Il enjambe le linge salle qui doit traîner depuis plusieurs semaines. Il s’approche du lavabo, voit son reflet dans le miroir. Il s’arrête. En voyant ce qu’il est devenu, il se met à pleurer. Alors, il ouvre la boîte à médicament, prend une poignée de gélules et les enfonce dans sa gorge. Alors, il s’étouffe, trébuche et tombe dans la baignoire. Il avale et ses yeux se ferment.
Il voit d’abord la pénombre, mais lorsqu’il lève les yeux, il aperçoit des étoiles, des milliards d’étoiles. Deux d’entre-elles semblent briller plus que les autres. Elles s’approchent… De plus en plus…
Rapidement elles prennent une forme humaine. Il les voit, devant ses yeux, son fils Noah et sa femme, main dans la main, qui courent vers lui pour le saluer. Alors pour la première fois depuis un an, il sourit.
4 mai 2018, Dieppe, 10h36
-Oui allô ? Qui est à l’appareil ? Demande Jeanne, en lavant une assiette et en tenant son téléphone avec l’oreille.
-Vous êtes Jeanne Borin ? Demande une voix d’homme légèrement modifiée.
-Oui c’est bien moi.
-…
-Allô ? Insiste Jeanne agacée. Ecoutez s’il s’agit d’une publicité je ne suis pas intéressée.
Elle s’apprête à raccrocher lorsqu’elle entend.
-Il s’agit de votre fils.
Alors, elle se fige.
-Je sais que vous vivez au 104 rue Alexandre Ribaud. Je peux même vous apercevoir en train de laver l’assiette de votre marmot.
Jeanne s’affole. Elle lâche l’assiette qui se brise dans un fracas épouvantable. Elle n’y tient pas compte et se tourne brutalement vers la fenêtre.
-Inutile de me chercher, dit la voix, vous ne me trouverez pas.
-Que voulez-vous ? Demande Jeanne affolée.
-Avant toute chose, sachez que j’ai toujours mon couteau favori dans ma poche. Je suis actuellement juste à côté de votre appartement donc si vous tentez quoi que ce soit je vous tue vous et votre marmot.
-…
Jeanne reste sans voix. Elle est au bord du malaise.
-Vous allez faire exactement ce que je vous dis ou votre petit Ezéchiel ne vivra pas son sixième anniversaire. Vous avez compris ?
Jeanne a le regard dans le vague, terrorisée, ses yeux sont emplis de larmes. Elle hoche la tête.
-S’il vous plaît s’il s’agit d’argent prenez tout ce que vous voulez mais ne vous en prenez pas à mon fils…
-Oh il ne s’agit pas d’argent, répond l’homme en ricanant, il s’agit de bien plus que ça…
-C’est-à-dire ? Répond-elle d’une voix tremblotante.
Elle est interrompue par le petit Ezéchiel qui se dirige vers elle avec ses jouets de plage dans les mains.
-Maman j’ai choisi ! S’exclame-t-il. On y va ?
Il remarque alors que sa mère est en train de pleurer.
-Alors Jeanne ? Vous hésitez encore ?
-Qu’est-ce que vous voulez ? Demande-t-elle à nouveau en reniflant.
-Votre fils… Répond la voix, je veux votre fils… Et pour cela, c’est vous qui allez m’aider.