

Chapitre 71
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Chapitre 71
Cela faisait cinq jours. Cinq jours que je vivais dans un espace réduit à quelques mètres carrés, allongée dans ce lit devenu sanctuaire, refuge, prison douce. Cinq jours que je ne sortais plus de cette chambre, que je ne regardais plus le monde qu’à travers l’encadrement de la porte entrouverte, que je ne répondais qu’à l’essentiel. Je survivais. Je retenais. Je gardais tout en moi. Non pas par choix, mais parce que mon corps avait décidé que c’était la seule façon d’endurer. Mon ventre, fragile, m’intimait le silence. Mon esprit, lui, m’ordonnait de ne pas flancher.
Et Samuel.
Samuel faisait le reste.
Tout autour de moi, il avait organisé la vie. Les repas légers, le linge propre, les coussins ajustés, les serviettes chaudes. Il m’aidait à me lever, à m’installer. Il m’aidait à boire. Il faisait couler le bain, puis me laissait seule si je le demandais. Il me parlait peu. Juste ce qu’il fallait pour que je sente qu’il était là, que je n’étais pas seule. Mais jamais plus. Jamais de trop. Il avait trouvé cette justesse, entre présence et pudeur, entre soin et retrait.
Je ne sais pas s’il dormait. Je ne sais pas comment il tenait. Parfois, je l’entendais se lever en pleine nuit. Le parquet grinçait sous ses pas légers. Puis je l’entendais respirer près de la porte. Et je savais qu’il veillait. Pas comme on surveille. Comme on aime en silence.
Je ne disais rien.
Je mangeais peu. Je buvais plus. Je m’efforçais de respirer lentement. Je touchais parfois mon ventre, sans oser attendre. Juste pour dire « je suis là ».
Et chaque jour, c’était la même chose.
Ce soir-là, il est revenu avec un plateau. Un bouillon clair. Des morceaux de pomme. Une compote à la cannelle. Il m’a aidée à me redresser. A glisser la serviette sur mes genoux. Il m’a demandé doucement si la lumière ne me gênait pas. J’ai répondu d’un signe de tête. Puis il s’est assis dans le fauteuil. Toujours à la même distance. Toujours sans geste brusque. Et il m’a regardée commencer à manger.
Le silence entre nous n’était pas hostile. Il était chargé. D’inquiétude. D’amour muet. De toutes ces choses que nous n’avions pas encore trouvées la force de nommer. Et ce silence-là, je le sentais battre dans la pièce comme un second cœur.
Je savais qu’il allait parler.
Samuel
Elle mâchait lentement. Trop lentement. Pas comme quelqu’un qui savoure. Comme quelqu’un qui se bat contre sa propre bouche. J’ai regardé ses mains. Elles ne tremblaient plus. Mais il y avait en elle une forme d’immobilité tragique, comme si tout était gelé de l’intérieur.
Je n’ai rien dit tout de suite.
Je l’ai laissée manger, boire, respirer. Je voulais lui offrir une minute de plus. Une respiration de plus. Mais je sentais que ce soir-là, elle pourrait peut-être… peut-être entrouvrir.
Alors j’ai parlé.
Ma voix était basse. Calme. Je ne voulais pas faire de vagues. Je ne voulais pas qu’elle pense que je venais lui arracher quoi que ce soit.
— Paule…
Elle ne m’a pas regardé. Mais je sais qu’elle a entendu. Je l’ai vu à la manière dont elle a posé sa cuillère. Lentement. Avec précision. Comme une décision.
— Paule… j’ai besoin de t’entendre. De te savoir là.
Elle n’a pas bougé. Et pendant quelques secondes, je me suis dit que ce n’était pas le bon soir. Que j’étais allé trop vite.
Mais alors, elle a parlé.
Paule
Ma voix m’a surprise moi-même.
— J’ai peur.
Un souffle. Un rien. Et pourtant, j’ai senti tout mon corps réagir. Comme si l’avoir dit me rendait soudain vulnérable. Trop. Dangereusement.
Mais les mots sont venus. D’un coup. Sans que je puisse les retenir.
— J’ai peur qu’il ne survive pas. Qu’à cause de ce choc, de ce buffet, de cette chute, j’aie tout abîmé. J’ai peur de me lever. De rire. De parler trop fort. De ne pas dormir sur le bon côté. De ne pas faire ce qu’il faut. De ne pas être à la hauteur. J’ai peur de ne pas savoir l’aimer comme il faut. J’ai peur que mon corps le trahisse.
Et puis, plus doucement :
— J’ai peur que tu partes.
Je me suis arrêtée là. C’était trop.
Je ne pleurais pas. Pas encore. Mais mes mains étaient glacées. Ma gorge serrée.
Il n’a pas bougé.
Samuel
Je me suis levé. Lentement. J’ai contourné le lit. Je me suis assis près d’elle, sans la toucher. Je savais qu’un seul geste trop rapide pourrait tout refermer.
Puis je l’ai regardée. Et j’ai dit, simplement :
— Je ne partirai pas.
Elle m’a regardé. Enfin. Et j’ai vu ses yeux. Lourds. Fatigués. Vides d’arrogance. Pleins de douleur.
— Tu n’as rien abîmé. Rien. C’est lui, ce frère que je n’ai jamais su aimer. Lui qui a fait ça. Pas toi. Toi, tu portes. Tu construis. Tu tiens debout alors que tu as failli tomber. Et je suis fier de toi.
Elle a cligné des yeux. Une fois. Puis une larme est tombée. Puis deux. Pas un sanglot. Un effondrement lent.
Alors j’ai tendu la main. Et elle l’a prise.
Paule
Je n’ai pas crié. Je n’ai pas hurlé. J’ai juste pleuré doucement. Longtemps. Et il est resté là, sans bouger. Sa main dans la mienne. Il n’a rien dit de plus. Il n’en a pas eu besoin.
Je me suis adossée aux coussins. J’ai fermé les yeux. Il m’a bordée comme on borde une enfant. Puis il a éteint la lumière.
Je n’ai pas dit bonne nuit. Mais dans mon ventre, quelque chose avait changé. Ce n’était pas un grand soulagement. Pas une délivrance. C’était un souffle. Le premier depuis cinq jours.
Et ce souffle-là, je l’ai reconnu.
C’était le mien.
Le vrai.
Celui que je croyais perdu.

