

Chapitre 49
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Chapitre 49
Le matin s’est levé lentement sur la maison, comme s’il craignait d’interrompre quelque chose. Une paix fragile, peut-être. Ou ce silence suspendu qui précède les séismes. La lumière, douce et dorée, se glissait à travers les rideaux clairs, traçant des ombres mouvantes sur le parquet et le linge froissé du lit. Allongée sur le dos, les yeux ouverts depuis longtemps, je regardais cette lumière évoluer, changer d’angle, se déposer sur le visage de Samuel comme une caresse discrète.
Il dormait encore. Profondément, à en juger par la lenteur de son souffle. Il s’était tourné vers moi dans la nuit, et sa main avait trouvé la mienne dans l’obscurité sans la serrer, comme un contact instinctif, ancien. Depuis que nous étions arrivés ici, nous partagions ce lit. Non pas par choix sentimental ou par envie. Mais parce que la maison n’offrait pas d’autre possibilité. Une seule chambre. Un seul matelas. Deux corps un peu cabossés, cherchant à se reposer sans envahir. Mais la frontière entre nous s’était amenuisée avec les jours. À présent, il dormait proche. Pas tout contre moi, mais pas loin. Comme s’il ne savait pas encore ce que cela signifiait, mais qu’il avait cessé d’avoir peur de le découvrir.
Je me suis levée doucement, tâchant de ne pas faire grincer le lit. Je l’ai laissé à son sommeil, à ce temps précieux où son visage semblait libéré de tout ce qu’il portait en lui. Il avait l’air plus jeune. Non, pas jeune. Avant. Avant la rage rentrée. Avant les silences du père. Avant le cynisme et les mots coupants.
J’ai descendu les marches pieds nus, guidée par l’odeur discrète du café qui flottait dans l’air, familière et rassurante. Marianne était déjà dans la cuisine. Une chemise ample, les cheveux relevés à la va-vite, une cuillère en bois à la main. Elle touillait quelque chose dans une casserole, sans se presser. Quand elle m’a entendue entrer, elle n’a pas levé les yeux.
— Il ne va pas parler tout de suite, a-t-elle dit doucement. Il va descendre, faire semblant d’avoir faim, s’asseoir dans un coin, et attendre qu’on l’aide à respirer.
Je n’ai pas répondu tout de suite. J’ai simplement pris place dans ce décor où tout semblait prêt pour accueillir la parole, mais sans jamais la forcer.
— Je sais, ai-je soufflé. Il faut juste… rester là.
Marianne s’est retournée vers moi, les mains toujours occupées. Son regard avait la couleur de l’épuisement digne. Celui de ceux qui ont tout vu, tout encaissé, et qui sont encore là malgré tout. Elle a souri, un sourire sans éclat mais plein de tendresse.
— Merci, Paule. Parce qu’aujourd’hui, moi je ne peux pas être cette personne-là pour lui. Je suis encore trop dedans. Trop imbriquée dans la blessure. Il a besoin de toi. De quelqu’un qui ne l’a pas vu tomber, mais qui le regarde se relever.
Elle a sorti deux tasses, versé le café en silence, puis glissé une goutte de lait dans la mienne, sans me poser de question. Ce geste-là, sans paroles, m’a touchée plus que je ne saurais le dire. Elle avait compris. Sans me demander.
Nous nous sommes installées autour de la petite table ronde, dans la lumière bleutée du matin. Pas de mots de trop. Juste des gestes simples, faits mille fois. Un pain frais. Des œufs encore chauds. Un pot de confiture d’abricot. Chaque chose était posée avec une intention tranquille. Comme si, malgré la tempête à venir, Marianne avait voulu créer un cocon autour de lui. Une parenthèse nourricière. Et elle m’avait invitée à en faire partie.
Quand Samuel est apparu dans l’encadrement de la porte, il portait un jean sobre, une chemise claire, les cheveux encore humides. Il avait l’air… prêt. Ou du moins décidé à ne pas fuir. Son visage était fermé, mais pas hostile. Juste concentré. Une tension nouée dans les épaules, dans les mâchoires. Une tension qui cherchait encore comment sortir sans exploser.
Il ne nous a pas saluées avec chaleur. Il n’a pas souri. Mais il nous a regardées. Vraiment. Et j’ai compris, dans ce regard qui a croisé le mien, qu’il me disait merci. Pas pour hier. Pour aujourd’hui. Pour être là. Juste là.
Marianne, sans s’émouvoir, lui a dit :
— Le café est encore chaud.
Il a hoché la tête, s’est avancé lentement. Il a versé une tasse, s’est assis à ma droite, sans me toucher. Il a soufflé sur le liquide noir avec une concentration presque rituelle.
Nous avons mangé peu. Lentement. Le pain était encore tiède. Le beurre s’étalait doucement sur les tartines. Mais je crois que personne ne goûtait vraiment ce qu’il avait en bouche. Les gestes suffisaient à donner une illusion de normalité. Les bouchées se faisaient rares. Le silence, lui, prenait toute la place. Mais c’était un silence juste. Un silence plein.
Samuel a bu son café sans un mot. Il regardait le bois de la table comme s’il y cherchait des réponses. Ou peut-être qu’il cherchait le souvenir de ce qu’il avait été ici. Avant. Avant que tout se fige.
Puis, quand sa tasse a été vide, il l’a posée. Très doucement. Comme s’il posait autre chose que du céramique. Comme s’il déposait enfin un poids.
Il s’est levé.
A pris une veste, l’a passée sans un mot. Il s’est arrêté près de la porte. Un instant. Puis il a dit :
— Je vais marcher un peu. Me mettre en place.
Marianne n’a rien dit d’autre que :
— Tu sais où me trouver si besoin.
Il a hoché la tête. Puis, dans un mouvement presque imperceptible, il s’est tourné vers moi. Et ses yeux… Ses yeux me disaient tout. L’effort. La peur. Le choix. Il n’avait pas besoin d’ajouter quoi que ce soit.
Je lui ai souri, juste un peu, juste assez. Pour dire : je t’attends.
Et il est sorti.
La porte à peine refermée, Marianne est restée debout un moment, le regard dans le vague. Puis elle s’est assise lentement, en face de moi. Elle a pris une gorgée de son café devenu tiède.
— Il n’a jamais vraiment parlé de son père, a-t-elle soufflé. Pas à moi, en tout cas. Juste… des silences. Des regards trop sombres pour un enfant de cet âge.
Je n’ai rien dit. J’ai laissé venir ce qu’elle semblait enfin prête à déposer.
— Il était exigeant. Pas violent. Pas dans les gestes. Mais exigeant d’une manière… froide. Implacable. Il fallait qu’il soit parfait. Silencieux. Fort. Toujours fort.
Elle a marqué une pause. Ses doigts tremblaient légèrement autour de la tasse.
— Quand Samuel s’est mis à parler de pâtisserie, il lui a dit que c’était un passe-temps. Qu’il ferait mieux de viser plus haut. Il l’a humilié. Plusieurs fois. Devant moi. Et j’ai laissé faire. Parce qu’à l’époque, je croyais encore que ce n’était pas si grave. Que ça passerait.
Elle a baissé les yeux.
— Mais ça n’est jamais passé.
Je l’ai écoutée sans l’interrompre. Et j’ai compris, dans son murmure, dans ses silences, que tout ce qu’elle disait aujourd’hui… c’était aussi une demande de pardon. Pas adressée à moi. Mais à lui. À l’enfant qu’elle n’avait pas su protéger.
— Il vous a laissée, ai-je dit doucement.
— Oui. Et quand il est parti, il a emmené avec lui ce qui restait de lumière chez Samuel.
Elle a fermé les yeux un instant, puis les a rouverts, brillants de larmes qu’elle refusait de verser.
— Alors merci. Pour être là maintenant. Parce que moi, j’ai trop attendu. Toi, tu es arrivée à temps.
Nous sommes restées ainsi longtemps. Deux femmes à une table. Reliées par l’homme qui portait en lui encore tant de nuit. Et ce jour-là, dans cette maison de lumière douce et de silences denses, nous avons attendu.
Qu’il revienne.
Et qu’il parle.

