Chapitre 11 - Le secret
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Chapitre 11 - Le secret
Dans la brume du matin, Hildegarde aperçoit le monastère de Disibodenberg. L’imposant édifice se dresse sur une haute colline, entouré de vignes et de forêts. Elle est impressionnée par les murs épais et les fenêtres étroites.
— Voilà ma geôle… se murmure-t-elle.
Du haut d’une tour, les cloches résonnent. le son lui paraît lugubre. Elle frissonne. Elle qui est si éprise de nature et d’espace, comment peut-elle survivre dans cet endroit où doit régner la solitude et la servitude ? Les portes s’ouvrent, Une sœur guide l’enfant et son père vers la chapelle. À l’intérieur, le soleil encore timide peine à éclairer les lieux. Hildegarde découvre une femme en position de pénitence. Grande et mince, elle porte une robe noire et une ceinture de fer. À leur arrivée, elle se lève et vient à leur rencontre.
— Est-ce la Mère Supérieure ? se demande Hildegarde. Elle a l’air plus jeune que je ne l’imaginais.
La religieuse observe l’enfant. Bien que le père ait versé une forte somme à l’abbaye, elle doit savoir si la petite aura la capacité de vivre cloîtrée loin du monde. Aura-t-elle également l’intelligence nécessaire pour suivre les préceptes inculqués aux sœurs ?
— Je suis la Révérende Mère Jutta von Sponheim. Pour vous, jeune fille, je serai Mère Supérieure. Je vais vous poser quelques questions. Selon vos réponses, je pourrais juger si vous êtes dignes de prendre place parmi nous. Je vous demande donc d’être aussi honnête que possible.
Hildegarde la regarde en silence. À peine arrivée et elle est déjà soumise à un interrogatoire !
— Quel est le premier livre de la bible ? demande la mère supérieure.
— C’est la Genèse, répond Hildegarde, c’est le livre qui raconte la création du monde et des hommes, par Dieu.
— Bien. Et quel est le dernier livre de la bible ?
— C’est l’Apocalypse. Il raconte la fin du monde et le jugement des hommes, par le Christ.
— Et sais-tu qui a écrit ces livres ?
— La Genèse a été écrite par Moïse. L’Apocalypse a été écrite par Jean, le disciple bien-aimé du Christ.
La Révérende Mère sourit. Ces premières réponses suffiraient à valider son entrée. Elle décide cependant de pousser plus ses questions :
— Sais-tu lire et écrire en latin ?
— Oui, répond Hildegarde. Mon frère Hugo, qui est moine dans une abbaye en France, m’a appris la langue de la Bible.
— Prouve-le-moi.
— Dominus illuminatio mea et salus mea, quem timebo ? répond Hildegarde, en citant le psaume 26 selon saint Jérôme. Cela signifie : Le Seigneur est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je peur ?
— Très bien, dit la mère supérieure, impressionnée par sa mémoire et sa prononciation.
Maintenant qu’elle n’a plus de doute sur son intelligence, il lui reste à s’assurer qu’elle s’adaptera à l’austérité de la vie monacale.
— As-tu beaucoup d’amis ? demande-t-elle.
Cette fois, c’est son père qui répond :
— Il faut que vous sachiez que Hildegarde a longtemps été souffrante, aussi, elle n’a eu que peu d’occasions de sortir du château. Ses amies sont ses préceptrices et, peut-être, Gerde, la fille de notre cuisinière. Je peux vous assurer qu’elle aime être seule pour lire et prier. Dieu est la meilleure compagnie qui soit, n’est-ce pas Hilde ?
— Père a raison. Je suis souvent seule dans ma chambre et cela ne me dérange pas. Mon frère, Hugo, m’amène régulièrement des manuscrits quand il vient rendre visite à la famille et, surtout, j’ai Nunael. Elle m’apprend beaucoup de choses !
— Nunael, quel étrange nom… Est-ce une amie de ton âge ? demande la mère supérieure, intriguée.
— Non, répond Hildegarde. Mon amie n’a pas d’âge. Elle est aussi ancienne que le monde. Elle est la source de toute vie, la mère de l’univers, la lumière vivante.
— Elle se prend pour Dieu ? demande la mère supérieure, choquée.
— Non, répond Hildegarde. Certainement pas, puisque Dieu est sa création. Mais elle me dit que si c’est plus simple pour moi, je peux continuer à prier Dieu, elle m’entendra. C’est donc ce que je fais.
— Je ne comprends pas. Est-ce une personne réelle ?
Hildegarde se rend compte que la Mère Supérieure fronce les sourcils. Elle a trop parlé. Il est trop tard maintenant, sa seule chance est de la convaincre de sa sincérité.
— Non, elle me parle souvent dans mes rêves, la nuit… Quelques fois le jour aussi, quand je ferme les yeux.
— Et de quoi parlez-vous ?
— La première fois que je l’ai vue, j’ai cru que c’était un ange. Elle m’a alors expliqué que les anges étaient son œuvre, tout comme Dieu, tout comme nous. Elle m’a parlé du cycle de la vie et de la mort.
La Mère Supérieure hésite à poursuivre cet échange qui frôle l’hérésie. Elle pose une dernière question :
— Cette Nunael vous a-t-elle livré des secrets ? Des informations qui pourraient me prouver tout ce qu’elle dit.
Hildegarde ne sait que répondre. Un long silence règne dans la chapelle. Hildebert est extrêmement gêné. Sa folie vient d’être percée à jour. Soudain, l’enfant prend la parole, sur un ton assuré qu’il ne lui connaissait pas :
— Révérende Mère, Ce que je vais vous dire, vous seule en avez connaissance… Vous et Nunael. Vous avez aimé. Cet homme s’appelait Conrad. Il était le fils du Comte de Sponheim, votre cousin. Mais vous étiez face à un dilemme, car vous étiez également attirée par Dieu. Finalement, vous avez choisi la voie du Christ et vous avez fondé cette paroisse. Peu à peu, l’amour de votre enfance est devenu un vague souvenir. Mais, lui, par contre, ne vous a jamais oubliée. Savez-vous qu’il est mort il y a trois ans dans une bataille contre les Saxons ? Dans son dernier soupir, il a prononcé votre nom. Allez vous recueillir sur sa tombe. Il est enterré à Sponheim, là où vous avez été baptisée.
La Mère Supérieure se détourne de l’enfant pour cacher ses émotions. Le doux visage de Conrad, ses paroles tendres lui reviennent en mémoire. Elle ne peut s’empêcher de pleurer. La jeune fille a tort sur un point, un seul : elle n’a jamais oublié son fiancé. Elle sèche ses larmes et retrouve ses esprits.
— Hildegarde de Bingen, je ne sais si c’est Dieu ou le Diable qui vous a livré ces secrets, mais vous faites preuve d’une grande intelligence, aussi, j’accepte que vous nous rejoignez. Je vais vous surveiller de près, cependant. Je vous promets que je percerai à jour ce mystère ! En attendant, je vous ordonne de ne plus jamais parler de la sorte. Que personne ne découvre ce qui nous lie tous les trois, sinon ce sera le bûcher qui vous attendra. Je prie qu’au contact de Dieu, la vérité s’établira ou que cette voix disparaîtra d’elle-même.
Le père est soulagé. Sa fille va vivre, ici, loin du château et lui retrouvera sa sérénité. Il remercie la Révérende Mère et quitte le Monastère sans un regard pour sa fille.
Eric Raissac hace 6 meses
J'aime beaucoup la remise en question de la mère supérieure et d'en garder le secret nous promet une belle suite...