Chapitre 30 - Révélation
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Chapitre 30 - Révélation
Assis à l’ombre d’une taverne, Paracelse savoure une gorgée de vin, laissant son esprit vagabonder. Il replonge dans les méandres de son passé, un passé qui l’a conduit sur la voie de la médecine tout en remettant en question la bonté de Dieu et des hommes.
Les souvenirs affluent, comme des fragments d’un puzzle qui se forme. Les images de son enfance remontent à la surface…
C’est un matin d’hiver. Un froid mordant a transformé la neige en une glace coupante. Le feu dans la cheminée peine à réchauffer la maison. Le petit Philippus n’est encore qu’un enfant, mais il a pleinement conscience que sa mère souffre atrocement. Depuis plusieurs jours, elle ne quitte plus sa chambre et son père lui interdit de la voir. Il lui explique que Mère asouffre d'une maladie qu’il pourrait attraper s’il s’approche trop d’elle. Mais c’est mal connaître sa curiosité et son envie irrépressible de braver les interdits. Alors que Wilhelm s’affaire auprès de son épouse, l’enfant observe la scène par la porte entrouverte qui sépare les deux chambres.
Sa mère est alitée, le visage pâle et luisant de sueur. Son père est près d’elle. Il prépare une infusion en mélangeant des plantes dans un bol d’eau brûlante. Il la force à boire même s’il sait que ce simple geste devient de plus en plus difficile. Elle tousse, elle râle. La porte grince. De peur d’être découvert, il la referme doucement et retourne vers son bureau dans lequel il est censé étudier. Les cris rauques que pousse sa mère la nuit l’empêchent de dormir.
— Dieu, pourquoi infligez-vous cela à Mère ? Elle n’a été que bonté toute sa vie durant !
Alors que son père l’oblige à le suivre à l’église chaque samedi, il ressent de la haine envers ce Jésus qui semble apparemment sourd à ses prières. Il ne mérite pas d’être appelé le Sauveur ! Bien au contraire, cet homme sur sa croix parait prendre du plaisir à voir sa mère dépérir !
Soudain, le calme. Un silence qui n’augure rien de bon. Il entre discrètement dans la chambre maternelle et s’arrête net, surpris par le tissu qui recouvre entièrement son visage. Wilhelm est assis à côté de sa femme. Il est au bord des larmes, mais la présence de son fils lui impose une certaine maitrise.
— Regarde là une dernière fois. Elle n’en a plus pour très longtemps, lui dit-il.
Il retire le voile. Philippus recule brutalement lorsqu’il aperçoit les énormes boutons qui gonflent son cou. Il se cache les yeux tandis que son père perce ces horribles boursouflures avec une aiguille. La pauvre femme réagit à peine.
Un an plus tôt, un moine de l’Abbaye d'Einsiedeln avait offert à son père une superbe croix en argent pour les services rendus à sa communauté. Wilhelm Bombast von Hohenheim était plus que l’infirmier de ce lieu saint, il était un médecin reconnu par ses pairs. Les conférences médicales qu’il donnait étaient suivies de tous les experts du Canton de Schwytz.
L’esprit de Paracelse revient sur l’événement qui avait changé sa vie…
Au cœur de l’été de sa quinzième année, une étrange rumeur se propage parmi les villageois. Une fontaine, située à proximité de l’abbaye, aurait guéri plusieurs personnes. La mère d’une petite fille, atteinte de fièvre et de violents maux de têtes depuis plusieurs jours,va puiser l’eau de la fontaine pour remplir un broc. Elle en donne à son enfant. Quelques jours plus tard, elle est à nouveau en pleine forme. Pour les habitants et les résidents de l’abbaye, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un cadeau de Dieu. Wilhelm est plus circonspect. Il demande à tous les habitants qui ont été guéris grâce à la fontaine de venir le rencontrer. Philippus observe ainsi son père écouter la dizaine de miraculés et prendre des notes. À la fin de la journée, il demande à son fils :
— Alors Philippus, penses-tu que l’eau est magique ?
— Je ne sais vraiment pas, Père. Ces gens semblaient dire la vérité. Ils étaient malades et maintenant, ils sont guéris. Aucun doute, l’eau y est pour quelque chose.
— Je te donne raison, c’est bien l’eau a bien agi comme un remède. Est-elle pour autant une source miraculeuse ?
— Vous avez une autre idée ?
— Oui, mais je veux, mon fils, que vous compreniez par vous-même. J’ai dressé la liste des maux de chacune des personnes. Je vous en donne quelques exemples : fièvre, fatigue, douleurs articulaires, insomnie, perte d’appétit.
- Ils n’ont rien à voir…
- Mon fils, si un jour, vous souhaitez devenir médecin, vous vous abstiendrez de toute conclusion hâtive, mais surtout, vous devrez également lire les écrits des plus grands hommes de ce monde. Surtout, pour commencer, vous éviterez de dormir pendant mes conférences…
Philippus rougit.
— Je vous écoute, Père.
— Bien, ces symptômes ont tous en commun un déséquilibre des humeurs. Vous souvenez-vous du cours que j’ai donné à ce sujet ?
— Oui, très bien.
— Et qu’ai-je proposé comme remède ?
— De l’eau de mer.
— C’est bien cela ! De l’eau de la Méditerranée que j’ai fait chauffer pour retirer les impuretés. Maintenant, nous allons faire une expérience.
Wilhelm verse de l’eau dans un verre.
— Bois-le.
Philippus obéit puis hausse les épaules.
— Cette eau me semble normale.
— Elle l’est, elle provient de la rivière à la sortie du village. À présent, goûte ceci.
Philippus reconnaît le récipient que son père avait utilisé lors de sa conférence.
— Beurk, j’ai l’impression d’avaler une tonne de sel !
— Oui, l’eau de la mer est naturellement salée. À présent, bois ce dernier récipient.
— L’eau a un drôle de goût, presque comme l’eau de la mer, mais moins fort.
— Bravo, mon fils, tu viens de résoudre l’énigme !
Philippus regarde son père, incrédule.
— Cette eau vient de la fontaine. Elle doit posséder des propriétés proches de l’eau de mer, c’est pourquoi elle a la capacité de régler l’équilibre des humeurs et ainsi diminuer les maux que je t’ai indiqués.
Philippus regarde son père avec admiration. Cette manière d’aborder les choses par l’observation, la déduction le fascine. C’est décidé, il se lancera lui aussi dans la médecine et fera de grandes découvertes !
Et voilà que cet homme qu’il considérait comme un génie se retrouve désormais face à la maladie qui ronge sa mère ! Comment est-ce possible ?
Une semaine plus tard, Wilhelm recouvre d’un drap le corps froid de son épouse. Personne ne réchappe à la peste bubonique. Philippus ne pleure pas lorsqu’il doit jeter une fleur sur le cadavre de sa mère. Bien au contraire, ses yeux luisent d’une nouvelle lueur. Son père a échoué face à la maladie. Il se fait la promesse qu’il ne connaîtra jamais cette humiliation !