Alors que les premiers flocons recouvrent l’illustre université de Bâle d’un doux manteau de neige, la plupart des étudiants se hâtent de regagner la chaleur de leurs chambres, tandis que d’autres se dirigent résolument vers un amphithéâtre.

En cet hiver 1520, Phlippus est considéré comme un prodige en devenir par sa génération ou comme un fou par ses professeurs. Bien qu’il bénéficie de la bienveillance de l’administration grâce aux relations de son père, il est indéniable que cela ne durera pas. Lorsqu’il décide d’organiser une conférence pour exposer ses nouvelles théories, les étudiants en médecine se précipitent pour le voir, se doutant qu’ils vont probablement assister à l’une de ses dernières digressions. L’amphithéâtre est presque complet quand il fait son apparition :

— Mes amis, dit-il,nous sommes à un tournant. L’heure est venue de regarder au-delà des limites de nos enseignements.

Certains étudiants tapent du pied sur les escaliers en bois, signe de leur approbation. Phlippus attend le silence avant de reprendre :

— La pratique médicale que nous étudions n’a que très peu progressé depuis l’Antiquité. On nous répète sans cesse des extraits de “De Medecina ” comme si son auteur, Celse, avait tout écrit, tout prédit. Pourtant, ni lui, ni même Galien ou le vénérable Hippocrate n’auraient pu imaginer ce que je vais vous révéler ce soir.Ne m’appelez plus Philippus, je suis maintenant Paracelse, celui qui va au-delà de Celse !

Un tel aplomb attire autant d’applaudissements que de sifflets. Cela ne semble pas décontenancer l’orateur :

— Celse a été un pionnier de la médecine classique, mais il est grand temps d’aller plus loin. La guerre, les maladies évoluent sans cesse, et il est crucial que la médecine évolue également ! Je suis profondément respectueux de l’héritage de Celse, mais je suis aussi déterminé à construire ma propre voie. Je dois tirer la sagesse du passé pour façonner la médecine de demain. Bientôt, je vous le promets, je vous montrerai de manière concrète l’avenir en marche. En attendant, adieu !

Et voilà Paracelse qui s’éclipse aussi brutalement qu’il est apparu.

Les étudiants échangent des regards, certains avec admiration, d’autres avec scepticisme. Dans les jours et les semaines qui suivent, Paracelse commence à propager ses idées révolutionnaires. Il parle des propriétés des minéraux, de la nécessité d’une approche holistique de la médecine, et de l’importance de l’observation et de l’expérimentation. Qu’un homme de moins de trente ans vienne ainsi piétiner une science considérée comme intouchable n’est cependant pas du goût des enseignants les plus vénérables. Ces derniers décident de se réunir pour monter un plan contre l’arrogant.

— Cet étudiant va trop loin, murmure l’un d’eux, un homme aux cheveux grisonnants et au regard sévère. Il remet en question des siècles de savoir médical. C’est dangereux, et cela ne peut mener qu’à la confusion et à l’erreur.

Un autre, les bras croisés, ajoute avec un soupçon de dédain :

— Il se prend pour un nouveau maître, mais qu’a-t-il vraiment prouvé ? Ses théories sont des spéculations, des fantaisies. Il faut qu’il apprenne l’humilité et le respect des fondements de notre art.

L’organisateur annonce sur un ton ferme :

— Nous devons le discréditer avant qu’il ne sème trop de doutes parmi les étudiants, Que diriez-vous de le mettre au défi de prouver ses théories ? Quelque chose qu’il ne pourra pas surmonter.

Cette suggestion est partagée de tous :

— Oui, mettons sa médecine des minéraux à l’épreuve. Exposons au grand jour son hérésie ! Ainsi, nous pourrons montrer à tous que ses idées ne sont que des illusions.

Les complotistes vont devoir attendre plusieurs années avant que leur vœu se réalise, car le voyage en Hongrie a donné des ailes à Paracelse et il va parcourir toute l’Europe en quête de nouvelles expériences sur l’alchimie.