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Rencontre avec la Plante

Rencontre avec la Plante

Published Feb 12, 2021 Updated Feb 15, 2021 Travel
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Rencontre avec la Plante

 

Un soir d'août au Pérou, dans la jungle proche de Cuzco, ancienne capitale mythique de l'empire Inca où prospèrent encore les savoirs ancestraux d'une médecine traditionnelle encore vivante, mystique, intrigante. Ce soir, c'est mon soir. Celui de la rencontre avec les tréfonds de mon âme. Les saveurs d'un voyage psychique et purgatoire dans les nimbes brumeuses de l'Ayahuasca. L'aventure peut commencer. Suivez le guide.

 

Freddie me fait signe d'y aller. J'entre dans la pièce ; ça sent fort le tabac. Deux femmes assises m'invitent à m'asseoir en face d'elles. L'une me fixe de son regard lumineux. L'autre, assise de côté sur ses jambes, ne me prête guère attention. Elle a le regard dur et mystérieux. Elle fume du tabac frais, cigarette sur cigarette, qui embaume toute la pièce. Ce sont mes maîtresses de cérémonie. Je m'installe face à elles, en tailleur, sur un coussin bien épais. A ma gauche, un ensemble d'oreillers et un sac de couchage entrouvert. En face de moi, une bassine, une bouteille d'eau, un rouleau de papier. Je prends possession des lieux, puis lève les yeux vers elles. Édith la bienveillante commence à m'expliquer le déroulement de la cérémonie. Tout va bien se passer. L'Ayahuasca est là pour m'aider à me purifier. Il ne faut pas aller contre lui. Je n'ai qu'à suivre ce qu'il me dicte. Boire m'aidera à me nettoyer. Surtout ne pas forcer. Je peux disposer de ma couchette comme je le souhaite. Et mieux vaut ne pas parler, il faut essayer de se contrôler. Les présentations sont faites, la cérémonie peut commencer.

La nuit tombée, seul demeure la faible luminosité des bougies. Édith prend une bouteille remplie d'une substance noirâtre. Dévisse avec soin le bouchon. La porte à sa bouche, et commence à souffler dedans. Une mélodie s'en dégage, lente, envoûtante. Je me laisse absorber par son rythme, m'enfonce dans mon coussin en position méditative. Je fais le calme en moi, et concentre toutes mes énergies. La mélodie s'arrête. Repose la bouteille. Allume une cigarette. Tire trois grosses bouffées pour en faire rougir l'extrémité. La repose dans le cendrier. Reprend la bouteille et remplit un verre. Évalue minutieusement la dose versée, en m'observant du haut de son regard abaissé. Reprend la cigarette. Puis tire trois grandes bouffées qu'elle expire à la surface du liquide versé, et me tend le verre.

Je me penche en avant, récolte avec précaution la précieuse potion. J'observe quelques secondes le contenu du verre, puis le boit d'un trait. Saveur amère. Dix à quinze minutes s'écoulent. Je sens une chaleur venir gagner mon estomac. Je suis happé vers un autre univers. Mon corps est bien là, mais mon esprit commence à flotter. Ma salive se fait épaisse, je ressens le besoin de la cracher. Ma tête tourne dans un tourbillon de plus en plus rapide. Je me glisse dans le sac et m'effondre sur le côté. Voici donc l'entrée juste là, devant moi. J’y pénètre dans un certain degré d'étourdissement.

 

Quelques minutes passent. La nausée commence à me gagner. Je me redresse sur un bras et rapproche le seau à mes côtés. Ma salive est de plus en plus pâteuse. Je me mets à genoux, le seau bien en face de moi entre mes deux mains. J'essaie une première fois, ça ne vient pas. Une deuxième puis une troisième fois. On m'invite à boire. Mon cœur commence à palpiter. J'ai chaud. Je prends la bouteille, dévisse son bouchon, penche la tête en arrière, et bois d'un trait. Comme jaillissant de la gueule d'une créature diabolique, mi-homme, mi-dragon, c'est un jet puissant et nauséabond que je vomis par salves, qui vient brûler le fond de ma gorge de sa saveur acre. Je suis à genoux, le front collé au rebord de la bassine, tandis que chaque effort de vomissement vient cambrer mon corps, le fouetter, le faire décoller du sol, puis retomber dans l'attente du prochain spasme.

La crise passe. Une sensation de froid et de fatigue intenses me gagnent. Je retombe épuisé sur ma couche, m'enfile au plus profond de mon sac, la tête posée sur le doux coussin rouge. Une sensation de bien être m'envahit. Je sens mon cœur léger, débarrassé d'un poids trop lourd à porter. Des voix se mettent à chanter ; ce sont mes maîtresses qui entament une mélodie pour m'accompagner. Doucement, je commence à me sentir flotter dans les airs. Je me sens bien, extraordinairement bien. Une douce lumière envahit le champ de ma vision. Je suis bercée par cette musique qui me donne le sentiment de voler.

Mais comme les vagues qui vont et viennent sur le sable, ce petit paradis s'estompe peu à peu. Je le vois s'éloigner au loin et me sens happé, ramené sur terre malgré moi. Les voix grésillent. Au delà de leur envoûtement apparaît désormais un serpent aux yeux hypnotisants qui m’attire à lui. La douce lumière disparaît pour m'entraîner vers un abîme froid et obscur. Le mal-être me regagne en même temps qu'une lourdeur s'affaisse sur ma poitrine. Les palpitations reprennent en même temps que la nausée. Me voici retourné aux enfers.

 

Je suis en enfers, j'y suis véritablement, je les vois et je les vis. D'immenses falaises immenses de roche noire et coupante viennent restreindre ma vue. Des flux de lave rougeoyante en jaillissent de toute part et s'écoulent en torrents. Pourtant, je ressens un froid glacial. Toute sonorité est insupportable. Elle claque dans ma tête comme un son lourd et percutant. La tâche m'attend, épreuve de forçat à laquelle je dois docilement m'exécuter. Vomir, encore et encore. C'est une grande purge. Le nettoyage de toute cette puanteur qui sommeille en moi. J’ai l’impression de devoir sortir un immense dragon du fond de la gorge. Il racle de ses écailles acérées les parois, résiste, et je dois rassembler toutes mes forces pour expulser cette créature hideuse tapie au fond de moi. Parfois je n'y arrive pas. On m'invite alors à boire pour faciliter le travail d'épuration. C'est un combat contre ma propre volonté. Je suis à genoux, enchaîné au sol, la tête affaissée dans mon seau aux excréments, tremblant, pleurant, suppliant, totalement effrayé par ce qui m'arrive.

Allers-retours incessants. Le ballet est épuisant. Les montées au paradis ne me permettent que partiellement de me ressourcer. Je n'en profite pas, tant je ne cherche qu'à retrouver quelques forces. L'endroit est pourtant sublime. Coloré, il révèle les plus belles couleurs de l'arc en ciel. Tout est dans la nuance, l'harmonie, le raffinement. Un petit coin douillet et maternant. Je suis émerveillé, sublimé devant ce spectacle digne des dieux et de l'Olympe. Les chants féeriques de mes sirènes s'écoulent au loin, caressant délicieusement la surface de mes tympans. C'est au delà de toute les espérances de ma condition d'être humain.

Mais cela ne dure pas. Je commence à sentir que la purge ne consiste pas seulement à se vider par le haut. Je m'extirpe de ma couche, me lève péniblement. Tout l'environnement vacille autour de moi. Je ne peux aligner un seul pas sans tituber violemment. Freddie m'accompagne. La porte grince en s'ouvrant. La vision est macabre. Pièce défraichie d'un blanc glacial. Les toilettes sont dans un coin au fond à gauche. Une froide pénombre y règne. Freddie me laisse là, seul avec moi-même. Je me dirige péniblement jusqu'aux toilettes et pose mes fesses sur le rebord froid de la lunette. L'urine s'évacue en abondance en même temps qu'une diarrhée profuse. Je me vide littéralement par le bas. Je tente de me relever pour me rasseoir aussitôt. La nausée me reprend. Je tire un seau à moi. Je rassemble mon courage, amène le seau entre mes jambes, et me remet à vomir, mu par des spasmes gastriques et coliques.

 

Les chants reprennent, m'invitant à regagner ma couchette. Je me lève et rejoins la porte comme je peux. Freddie est rapidement à mes côtés pour me raccompagner. Je m'insère fébrilement dans mon sac de couchage et retrouve la chaleur réconfortante dont j'ai tellement besoin. Ereinté, je ferme les yeux et me laisse à nouveau emporter. Les chants s'arrêtent. Je rouvre les yeux. Je distingue l'ombre floutée de mes maîtresses dans la pénombre enfumée. J'ai déjà vécu cette scène. Je revois des chefs indiens partageant le calumet de la paix dans un tipi. Atmosphère vertigineuse que le tabac aux vertus hallucinatoires ramène vers le monde mystérieux des chamans d'Amérique du nord. Et moi je suis le gringo à qui l'on fait l'honneur d'en ouvrir les portes.

Le cauchemar dure plusieurs heures. Puis le temps s'espace entre les crises. Je trouve de plus en plus de temps de profiter. Le paradis est somptueux. C'est un spectacle de lumière, du cristal et de l'or, le scintillement d'un kaléidoscope que l'on fait tourner pour que se mélange l’éclat des différents verres colorés. Un état de bien être absolu. L’air est pur et frais, je le respire à pleins poumons. Je suis allongé sur ma couche, bras croisés sur la poitrine, en train d'admirer le royaume qui s'étend devant moi. Une blanche lumière envahit l'espace. La clarté se fait de partout. J'ai le sourire jusqu'aux oreilles. Sans la moindre retenue. Des visions me gagnent. Une licorne passe. C'est beau, c'est magnifique, c'est à couper le souffle ! J'ose à peine respirer de peur de perturber cet instant d'une quiétude parfaite. Et j’admire le spectacle.

L'état hallucinatoire s’estompe. L'éveil est là. Un état de conscience libre et éclairé. Je profite de cet instant pour regarder le monde et ma vie d'un œil nouveau. Retrouver mes esprits et réaliser l'expérience que je viens de traverser. On m'invite à regagner mon lit. Je ne dors quasiment pas. Mon esprit est grand ouvert ; les pensées s'y agitent malgré la fatigue. Je suis dans un état spirituel supérieur sans pour autant être halluciné. C'est ici que je peux commencer à chercher les réponses à mes questions. Que je peux percevoir et comprendre mon potentiel. J’explore cette conscience aiguisée toute la nuit. Puis doucement, au petit matin, je m'assoupis.

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