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Une Terre de Métissage part.3 : la Départementalisation

Une Terre de Métissage part.3 : la Départementalisation

Published Mar 2, 2024 Updated Mar 2, 2024 Travel
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Une Terre de Métissage part.3 : la Départementalisation

Troisième (et dernière) partie sur l'Histoire de cette île de l'Océan Indien, qui a façonné le visage de la Réunion actuelle !

Je vous avais laissé avec les nombreux engagés, succédant aux esclaves après l'abolition de 1848, et venant d'Inde, de Chine et d'Asie, de Madagascar, des Comores ou d'Afrique, pour travailler dans les plantations de canne à sucre, monoculture dominant toute l'économie de l'île. 

Cependant, vers 1870, l'âge d'or de la canne à sucre touche à sa fin, concurrencé de plus en plus par l'essor de la betterave à sucre européenne et cubaine, qui offre un sucre parfaitement blanc et calibré à moindre coût. Les planteurs doivent alors revoir leur copie et se tournent vers la production des essences de plantes et d'épices, dont le Géranium, le Tabac, la Vanille ou le Curcuma, qui deviennent de nouveaux fers de lance et marque de fabrique de l'île. 

                                                                                       Plantation de tabac

                                                         Brioche au Géranium, spécialité locale... Mmmm ! Un délice..

Le 17 novembre 1869 également, le Canal de Suez est inauguré, amenant peu à peu l'ensemble du trafic maritime entre l'Asie et l'Europe (mais aussi entre le Moyen-Orient et les Etats-Unis !) à se détourner de sa trajectoire originelle passant par le Cap de Bonne Espérance, court-circuitant ainsi le passage par la Réunion du flux de bateaux et embarcations. 

L'engagisme, provenant essentiellement de territoires dominés par l'Empire Britannique et prenant des formes déguisées d'esclavage moderne, decroît fortement quand la Grande-Bretagne met un terme en 1882 à l'afflux massif d'indiens vers Maurice ou la Réunion. Les planteurs se tournent alors vers des engagés asiatiques ou africains, mais la mécanisation de l'agriculture et l'effondrement du monopole de la canne à sucre dans l'économie sucrière y met un terme dans les années 1930. Reste une société très métissée, mais encore bien marquée par la pensée coloniale et fortement inégalitaire, entre les gros propriétaires terriens (les gros blancs), les petits blancs des hauts (les yabs), les indiens, qu'ils soient hindous (les malbars) ou musulmans ( les zarabes), les asiatiques (les chinois), les malgaches ou les africains, descendants d'esclaves ou engagés (les caffres)

Cet état d'esprit colonial n'empêchera pas pour autant l'énorme brassage de ces nombreuses origines différentes, contrairement à ce qui fut le cas dans la plupart des autres colonies fortement hiérarchisées ; mais il continuera d'imprégner les rapports entretenus avec la Métropole, pour qui ces colonies sont des territoires d'exploitation qui doivent rapporter plus qu'ils ne coûtent à l'Etat Français. L'île reste ainsi dans une économie très agricole et peu industrialisée, loin derrière l'essor connu en Europe avec la Révolution Industrielle. 

Avec l'envoi de près de 14.000 hommes venus combattre dans les tranchées de Verdun durant la première guerre mondiale, l'île paye son tribu. Puis à partir de 1939, elle connaît un gouverneur qui reste fidèle à Vichy, ce qui occasionnera un blocus britannique éprouvant pour l'île jusqu'en 1942. Elle ressort ainsi de la seconde guerre mondiale exsangue, peu développée économiquement, fortement analphabète, terrassée par une famine, alors qu'elle est en pleine transition démographique, avec un taux de natalité qui explose et qu'elle ne peut nourrir toutes ces nouvelles bouches.

C'est dans ce contexte que Raymond Vergès (le père de Jacques) et Léon de Lepervanche sont élus députés à la Constituante de 1945, et qu'ils militent pour la Départementalisation de l'île, qui deviendra ainsi département français d'outre-mer (DOM) en 1946, en même temps que la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane Française, quittant ainsi son ancien statut de colonie. Ce tournant majeur permet à l'île de sortir peu à peu du marasme dans lequelle elle était plongée, renforcé encore si besoin était par le terrible cyclone de 1948, l'un des plus violents jamais recensés (165 morts), où l'on estime que les vents ont pu dépasser les 300km/h (un cyclone tropical est dit très intense quand les vents dépassent les 212 km/h ; c'est dire !).

L'île accède ainsi à de nouveaux droits politiques et sociaux et à une égalité, en tout cas de papier, avec les autres départements de France. Mais les 20 plus grosses familles continuent de tenir les clefs de l'économie de l'île, et les autres réunionnais de souffrir de disette, de maladies tropicales comme le paludisme ou la toxicose, et de vivre dans des cases précaires faites de bois et de tôle, si fragiles face à la chaleur et aux intempéries (encore une fois, les cyclones, c'est vraiment l'histoire des 3 p'tits cochons). Jenny, en 1962, sera là pour le rappeler, avec 16.000 sinistrés, et les 3/4 de la production agricole dévastés.

Les promesses de la départementalisation déçues, les revendications autonomistes émergent, et un certain nombre de Réunionnais émigrent vers Madagascar (encore colonie française jusqu'en 1960).

 

C'est dans ce contexte que la Réunion vit une page sombre de son histoire, qui marque encore les esprits aujourd'hui : l'histoire dite des enfants de la Creuse. Faisant face à un grand boom des natalités (32% vs 6,5% en métropole), peu développée et affrontant disette sur disette en raison des ressources limitées (et parfois dévastées) de l'île,  Michel Debré, alors Préfet de la Réunion, met en place un vaste programme visant à contrôler l'explosion démographique insulaire, en même temps qu'à soutenir les territoires dépeuplés de la Métropole comme la Creuse, la Corrèze, le Cantal, la Lozère, ou le Gers.

Par le biais du Bumidom, le bureau pour le développement des migrations dans les DOM, et de la DDASS, il organise entre 1962 et 1984 l'exode d'au moins 2150 enfants réunionnais, parfois orphelins, parfois simplement issus de familles pauvres jugées peu enclines à assurer une éducation satisfaisante à leurs (trop) nombreux enfants. Ceux-ci sont donc placés par la DDASS, pour être ensuite déplacés dans les campagnes et fermes françaises dépeuplées, sans toujours trop s'assurer des conditions satisfaisantes dans lesquels ils seront accueillis là bas.

C'est pourtant sous la promesse (et probablement la bonne intention, encore empreinte de paternalisme colonial ?) de leur offrir la possibilité d'une vie meilleure sous le soleil métropolitain, que ce programme est monté ; mais pour un certain nombre de ces enfants, cet exil forcé sera plutôt un calvaire, un arrachement à leur terre natale, une exploitation par les fermiers non formés à recevoir ces enfants, un racisme affiché envers ces enfants à l'aspect bazané, qui parlent une sorte de français petit nègre qu'il  faudra sévèrement réprimer.

Il faut attendre 2014 pour que la France reconnaisse le manquement à sa responsabilité morale envers ses ex-pupilles, dans un vote quasi unanime à l'Assemblée qui découvre en même temps cette histoire. Certains évoquent même le mot de déportation pour qualifier cette page douloureuse de notre histoire commune, et intentent même un procès contre l'Etat Français pour crime contre l'humanité qui n'aura pas de suites.

Une très belle BD pour parler de tout ça : Piments Zoizos de Tehem ; ou un roman, Un soleil en exil de J.F Samlong.

 

La deuxième partie du XXème siècle voit toutefois l'essor et la modernisation de l'île apparaître, avec le développement des infrastructures, routes et bâtiments, la construction de cases en dur, l'attrait des avantages salariaux pour les fonctionnaires des DOM (notamment de l'Education Nationale, de l'Administration territoriale, ou de la Santé), permettant par là d'améliorer les conditions sanitaires et éducatives, le basculement vers une économie du tertiaire où l'essor du tourisme prend une part de plus en plus considérable. 

 

Pour prêcher pour ma paroisse, le CH de la Réunion est passé CHU (Centre Hospitalier Universitaire) depuis 2010, les étudiants en Médecine pouvant désormais effectuer l'ensemble de leur cursus ici, sans être obligés de passer plusieurs années à Bordeaux !

La Réunion, jusque là ignorée ou méprisée pour son indolence créole, devient un territoire de plus en plus prisé et attractif pour les zoreilles (expatriés métropolitains) qui veulent voir un autre pays que l'Hexagone, le temps de 15 jours de vacances ou pour s'y installer plus durablement. C'est en quelque sorte la dernière vague migratoire, toujours en cours actuellement, dont je fais maintenant partie ! et dont je vous apporte mon modeste témoignage, en passant parfois par les médias locaux, Réunion la 1ere en tête ! ;-) 

                         en interview avec Delphine au Maido, à la réouverture des sentiers de randonnée post Belal

 

A noter toutefois qu'en 2005-2006, la crise du Chikungunya met un grand coup de frein au développement du tourisme (visant les 700.000 touristes/an), suivie ensuite de la crise des Requins à partir de 2011 : de nombreuses attaques ont alors été recensées envers les surfeurs, les bodyboarders et les nageurs, obligeant la Préfecture à réduire drastiquement l'accès aux plages aux seules bandes de lagons, soit à peine 20km de côte à l'ouest et au sud de l'île. Le tourisme balnéaire, c'est plus trop ici !

Et enfin récemment, la crise du Covid qui a fortement touché l'ensemble des destinations touristiques exotiques (cf mon article également à propos de la Polynésie Française https://panodyssey.com/fr/article/voyage/une-breve-presentation-de-la-societe-polynesienne-89cf57rw43pb).

En contre-balancement malgré tout, l'inscription en 2009 du Maloya (cette fameuse musique/danse héritage des esclaves) sur la liste du  patrimoine immatériel de l'Humanité, suivi en 2010 des Pitons, Cirques et Remparts de l'île de la Réunion, au titre de ses paysages spectaculaires, sur la Liste du Patrimoine Mondial de l'UNESCO. Près de 40% de l'île se retrouve ainsi désormais protégé et mis en valeur. C'est pas rien ! Et quand je vous dis qu'ici c'est une terre de randonnée magnifique et d'excellence !!!

 

Reste désormais aujourd'hui une société réunionnaise bien modernisée, multi et interculturelle par excellence, jeune et dynamique, nouant un lien privilégié avec la Métropole (la plupart des familles que je reçois à l'hôpital ont très souvent des enfants vivant en Métropole et la Réunion), et sans revendication particulière d'autonomie ou d'indépendance (contrairement au cas en Polynésie ou en Nouvelle Calédonie, voire dans les Antilles. idem : https://panodyssey.com/fr/article/voyage/une-breve-presentation-de-la-societe-polynesienne-89cf57rw43pb).

 

Mais une société néanmoins marquée par un taux de chômage très élevé (seuls 46% des réunionnais en âge de travailler ont un emploi, vs 64% en métropole) et des inégalités très importantes : certains y vivent effectivement très bien, avec de belles maisons, de beaux domaines et un culte de la belle voiture, les prix de l'immobilier ayant vraiment grimpé et pouvant se rapprocher de ceux de Paris sur certaines communes comme Saint Denis, Saint Gilles ou Saint Pierre. En parallèle, 40% de la population vit toujours en dessous du seuil de pauvreté métropolitain, dans des cases parfois encore construites de bric et de broc, mêlant beton, bois et tôle (je fais parfois des visites dans ces cases), le coût d'une vie " à l'européenne" étant bien plus cher qu'en métropole pour les nombreux produits importés. 

Ainsi va la vie à la Réunion ! Fruit de son histoire, si riche et ...intense, à l'image de son surnom, d'île Intense.

NB : retour pour moi ce samedi sur le continent pour 4 semaines, soit tout le mois de mars, histoire de revoir un peu vos petites frimousses et de préparer un déménagement plus conséquent, car ça y est ! L'hôpital a validé ma prolongation pour un an !! 

Le blog sera donc probablement en stand-by pendant 1 mois...A moins que d'autres articles apparaissent dans d'autres créative rooms ? ;-)

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