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Chapitre 2

Chapitre 2

Published Feb 25, 2024 Updated Feb 25, 2024 Offbeat
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Chapitre 2

Mardi 2 avril 2022

Le réveil sonne à 9h pour m'alerter que je dois prendre mes premiers cachets de la journée. En baillant, je m'assois dans le lit et attrape ma bouteille d'eau. Je gobe les petits comprimés qui me laissent toujours un goût amer dans la bouche. Par habitude, je reglisse sous les draps et m'apprête à redormir un petit peu, quand je me souviens que je ne suis plus seule. J'ai une bouche à nourrir.

— Ohhh, je râle en réalisant que je dois me lever.

Histoire de ne pas faire durer le supplice, je sors du lit et enfile mes chaussons pour descendre jusqu'au salon. Tous les rideaux sont fermés et je ne fais pas l'effort de les ouvrir. Mais peut-être mon nouveau colocataire a-t-il besoin de lumière ? Dans le salon, je pousse un rideau et me tourne vers le buffet pour regarder le bocal posé dessus.

— Hey, salut.

Je tapote doucement sur la vitre mais le poisson reste posé au fond sans bouger.

— Hey oh, t'es pas en train de mourir au moins ?

De nouveau je fais taper mon doigt mais il ne réagit toujours pas.

— Génial, même pas vingt-quatre heures que tu es là et tu fais déjà le mort... On ne va pas s'entendre si tu commences comme ça. Moi je propose qu'on fasse chacun des efforts. Après tout, tu n'es peut-être pas content d'être là. Alors je t'avertis tout de suite, sache que je ne tenais pas du tout à ce que tu viennes vivre avec moi.

Le poisson rouge est toujours immobile et je commence à craindre qu'il soit vraiment mort. Dans ce que j'ai acheté la veille, il y a une petite épuisette. Je l'attrape et la plonge dans l'eau. Instantanément le poisson bouge pour remuer dans tous les sens.

— Ah ben voilà ! Je préfère ça. Me fais pas une crise cardiaque si vite, je risquerais d'avoir ta mort sur la conscience.

Je retire l'épuisette et prend le flacon qui contient de la nourriture sous forme de paillettes.

— Le monsieur a dit un petit peu. Alors inutile de me faire croire que tu es affamé, tu en auras quand même « qu'un tout petit peu. »

Le poisson monte doucement à la surface pour récupérer la nourriture que je viens de lui donner.

— Tu as intérêt à tout manger. J'ai horreur du gaspillage. Si tu n'as plus faim, tu n'as qu'à penser à tous les poissons qui n'ont rien à manger et tu te forces.

Je lui parle comme s'il allait m'entendre et me répondre. Il reste à la surface pour engloutir un maximum de paillettes puis nage doucement dans le bocal. Debout à le regarder, je me dis que le bocal est vraiment petit. Est-ce qu'il a assez de place pour nager dans ce tout petit espace ? Certes les poissons rouges sont réputés pour ne pas avoir de bonne mémoire, mais quand même. Est-ce qu'il se rend compte qu'il tourne en rond ? Combien de fois par jour fera-t-il le tour du bocal ? En pinçant les lèvres, je recule pour le regarder de loin.

— Monsieur le poisson rouge dans son bocal, je crois que je vous ai trouvé un petit nom, dis-je en posant mes mains sur mes hanches. Surimi. Ca vous plait ?

 

Dès que j'ai terminé de le nourrir, je retourne dans ma chambre et retrouve mon lit et mes draps. Il faut que j'appelle Aurélie. Que je lui annonce la nouvelle. J'espère que ça la calmera et qu'elle va me féliciter. Pendant que ça sonne, une autre idée me vient pour lui présenter mon nouveau colocataire.

— Ma Loulou ! Il est tôt pour papoter, tu es encore en plein sommeil d'habitude à cette heure-ci. Tu fais une crise de somnambulisme ?

— Haha très drôle. J'avais un truc à te dire.

— Et c'est tellement important que ça t'empêche de dormir ?

— Haha, je répète en levant les yeux. Tu vas être contente.

— Tu as prévu de faire la cuisine ? Oh non, tu vas sortir ? Attends, tu veux bien aller boire un chocolat avec moi ?

— Non, rien de tout ça.

— J'en étais sûre... Quelle déception.

— J'ai suivi ton conseil. Tu sais, celui de l'autre jour. Je ne sais plus quand. En rapport avec ta voisine qui s'est suicidée deux fois.

— Elle a juste essayé et c'est loupé, rectifie Aurélie.

— Hier je suis sortie. Et je ne suis pas rentrée toute seule.

— QUOI ? hurle ma meilleure amie dans le téléphone. Tu as ramené un homme chez toi ? Mais c'est génial !

Je soupire en levant encore les yeux au plafond.

— Tu vas encore être déçue, mais non, ce n'est pas un homme.

— Oh ? Attends que je réfléchisse...

— Je suis passée à Jardiland. Et là-bas ils vendent des animaux.

— NON ! hurle encore Lili.

— Arrête de crier comme ça.

— Tu as acheté un petit chien !

— Non. Pas un chien. Mais je voudrais bien te le présenter convenablement. Tu crois que tu pourrais passer dans la journée ?

— Oui, je viens. Attends, il est quelle heure ? Bon pas là, je suis au travail. Mais tout à l'heure. Pendant ma coupure tient. Je viens à midi trente. Et je passe acheter chinois pour fêter ça. J'ai trop hâte de le rencontrer !

 

Après avoir passé plus d'une heure et demie allongée dans mon lit à somnoler, je me lève pour passer dans la salle de bain. J'attache grossièrement ma crinière rousse sur ma tête avec un élastique. Avant c'était ma coiffure du dimanche. Depuis plusieurs mois c'est devenu ma coiffure quotidienne. Je fais l'effort de brosser mes dents et de passer un coup d'eau fraiche sur mon visage. Là que je prends le temps de me regarder, je vois qu'effectivement ma figure manque de couleur. Je me fais une toilette de chat et choisi un pantalon de sport avec un sweet.

 

Il est bientôt midi, Aurélie doit être en train de courir chez le chinois pour récupérer sa commande. Histoire de passer le temps, je prends mon téléphone et décide d'appeler ma mère. Ca fait longtemps que je ne lui ai pas parlé en direct, en plus aujourd'hui j'ai quelque chose d'important à lui dire.

— Allô bichette.

— Coucou Maman, je dis en m'asseyant en tailleur sur mon canapé. Comment ça va ?

— Bien bichette. Et toi ?

— J'ai quelque chose à t'annoncer.

Je devine sa surprise de ne pas m'entendre lui répondre directement que « ça ne va pas, j'ai envie de mourir. »

— Ce n'est pas une mauvaise nouvelle au moins ?

— Non. Hier je suis allée faire les courses et j'en ai profité pour acheter un poisson.

— Tu as raison bichette, c'est tellement bon le poisson. Bien meilleur que la viande.

— Mais non pas du poisson à manger ! Un poisson vivant, je réplique.

— Tu l'as acheté vivant ? Ils les vendent en vie maintenant ?

— J'ai adopté un poisson ! je précise en haussant le ton.

— Ah ! Attends, tu veux dire que tu as adopté un poisson ?

— Oui, c'est exactement ce que je viens de dire.

— Mais pourquoi faire ? Tu ne vas pas le manger au moins ? m'interroge-t-elle.

— Bien sûr que si, je vais le faire griller. Maman, ça t'arrive de réfléchir avant de parler ?

— D'accord, tu as adopté un poisson. Quelle drôle d'idée. Puis ces choses là prennent de la place.

— Pas du tout. Il est dans un petit bocal sur le buffet, dans le salon. Il ne fait même pas de bruit, j'ironise.

— Un bocal ? Ce n'est pas un peu petit ?

— Je me pose justement la question.

— Et qu'est-ce qui t'as pris de t'acheter un poisson ?

— C'est la faute d'Aurélie. Elle n'arrêtait pas de me dire de me prendre un animal pour me tenir compagnie. Elle m'a même reparlé de sa voisine qui s'est suicidée deux fois et qui va mieux depuis qu'elle a adopté un chien.

— Et il est de quel couleur ?

— C'est un poisson rouge, il est orange.

— Un poisson rouge, orange ? Il n'est pas censé être rouge ?

— Il a peut-être déteint à force d'être dans l'eau. En tout cas il est plus orangé que rouge. Mais le vendeur m'a assuré que c'était un poisson rouge. Attends, il m'a même donné une fiche, dis-je en me levant pour regarder dans mon sac à main. Alors il s'agit d'un poisson rouge commun et l'espèce s'appelle carassius auratus. Il devrait vivre trois ou quatre ans maximum et faire jusqu'à sept centimètres une fois adulte d'après le vendeur. Mais j'avoue que je n'y connais rien en poisson. Cet après-midi j'irais surfer sur internet pour en savoir plus. Aurélie doit passer pour déjeuner avec moi. Je vais lui présenter Surimi.

— Surimi, se moque ma mère. Ce poisson a du souci à se faire, je sens qu'il va bientôt croquer sous tes dents.

— Certainement pas. En plus je n'aurais rien à manger. Il ne ferait même pas office d'encas.

 

Nous discutons encore un peu, jusqu'à ce que l'interphone sonne. J'ouvre à Aurélie et préviens ma mère que je dois raccrocher. Le temps que j'étais au téléphone, j'ai observé Surimi. Il est resté sans arrêt au fond du bocal à ne pas bouger. Ce poisson est-il aussi dépressif que moi ?

Aurélie sonne et je lui ouvre à peine qu'elle me saute dessus pour me donner le sac qui contient notre déjeuner.

— Alooors où est-il ? Tu aurais pu m'accueillir avec lui dans les bras.

— Il est dans le salon, sur le buffet.

— Sur le buffet ?

Elle ne comprend pas bien et retire ses chaussures à toute vitesse pour piétiner jusqu'au salon.

— Alors où est... Heu... Loulou ? C'est quoi ça ?

— Je te présente Surimi, dis-je en passant pour déposer le sac dans la cuisine.

— Surimi, répète Aurélie en ouvrant grands ses yeux. Tu t'es acheté un poisson ?

— Oui et je crois qu'il est en pleine dépression lui aussi. Ce matin j'ai même cru qu'il n'avait pas survécu à sa première nuit.

Aurélie n'en revient pas et vient me rejoindre dans la cuisine en croisant les bras.

— Je t'avais dit un animal de compagnie.

— Oui, un poisson s'en est un.

— Je ne pensais pas à ce genre d'animal de compagnie, précise ma meilleure amie. Plutôt à une boule de poils à laquelle tu aurais fait des câlins et des bisous.

— Surimi fera très bien l'affaire. Il est dans son bocal, fait sa petite vie, je le nourris matin et soir et on en parle plus. En plus il a l'air aussi triste que moi. Ce poisson était destiné à finir ici, c'est certain.

 

Assises parterre sur des coussins nous commençons à manger nos rouleaux de printemps à la table basse du salon.

Je raconte tout à Aurélie en prenant soin de n'oublier aucun détail. Comment j'ai réussi à me motiver pour aller faire les courses la veille. Ma déception en arrivant dans le rayon des fromages en découvrant qu'ils n'avaient plus de kiri. Ma décision de remonter en voiture pour aller dans un autre magasin, juste pour avoir mon fromage favori. Profiter d'être dehors pour me rendre à la pharmacie et renouveler mes médicaments. Aller dans le deuxième magasin plus loin et y trouver une boite de kiri en format familial. Ma décision d'en prendre deux boites, pour être tranquille au moins toute la semaine. Puis arrive le moment où je sors avec mes boites de kiris dans les mains et que je vois le Jardiland sur le trottoir d'en face. Ma visite que je voulais rapide dans la boutique. Je voulais juste voir s'ils avaient des petits cactus. J'aime bien les cactus. Mais me perdant dans les rayons, je suis arrivée dans le secteur des animaux et je n'ai pas pu m'empêcher d'aller les regarder. Pourtant j'ai horreur des animaleries. De la façon dont ils les traitent, ou plutôt les maltraitent. Agglutinés, les uns sur les autres dans des petits box. Et alors que je passais à côté des hamsters et des souris, je vois un grand panneau. Il y avait marqué « offre exceptionnelle. Pour le 1er avril. 1 poisson rouge acheté = 1 bocal offert. » Stoïque devant l'affiche, un vendeur a dû me croire intéressée et est venu me faire son pitch.

— Le poisson ne demande pas beaucoup de soin ni de temps et il ne prendra pas de place. De plus c'est une très belle décoration. Il lui suffit d'être dans de l'eau froide, dans son bocal. Vous le nourrissez deux fois par jour, un petit peu. Et il vivra environ quatre ans en nageant dans le bonheur.

Et voilà qu'il m'emmène devant les bacs à poissons et qu'il me montre les poissons rouges en me décrivant tous les bons côtés de cette espèce.

— Et là, tu as acheté le poisson et tu as eu le bocal gratuit.

— Exactement. Il m'a mis Surimi dans un sachet en plastique avec un peu d'eau et m'a précisé de ne pas trop le secouer.

— Incroyable, dit seulement Aurélie.

— Hmm, mais je trouvais qu'il lui fallait un petit décor, donc je lui acheté ce petit pont. Et le vendeur était aux petits soins, je crois qu'il m'avait à la bonne. Il m'a fait cadeau des graviers à mettre au fond.

— Le machin jaune fluo ?

— Oui. Il est moche c'est vrai, mais au moins je ne l'ai pas payé. Franchement, j'ai fait beaucoup d'affaires hier grâce à Surimi.

— Quelle radine. Et tu l'as installé ici. Mais elle ne bouge pas beaucoup ton arête.

— Je te dis, il est en dépression. J'en mettrais ma main à couper.

— Tu as essayé de lui parler ? A moins que tu l'emmènes en consultation chez ton psychopathe ?

Aurélie arrive à me faire rire et c'est un exploit. Je suis contente qu'elle soit là, avec moi. Que nous déjeunions toutes les deux. En plus ça fait une éternité que je n'avais pas manger chinois.

— Et toi, qu'est-ce que tu me racontes de beau ?

— J'ai une nouvelle stagiaire et elle est débile.

Je manque de m'étouffer avec ma bouchée. Aurélie est toujours directe et c'est une qualité à mes yeux, mais elle trouve encore le moyen de me surprendre.

— Débile léger ou sévère ?

— Elle est bête comme ses pieds. Hier elle a perdu une heure à chercher comment allumer l'ordinateur, tu imagines ?

— Il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton ?

— Si. Mais nous éteignons la multiprise le soir, tu sais pour les économies d'électricité... Et elle n'a pas pensé à la rallumer. Donc, forcément appuyer sur le bouton de l'unité centrale alors qu'elle n'était pas branchée, ça n'a pas donné grand-chose. Lorsque je suis arrivée, elle était au téléphone avec l'informaticien à lui expliquer que plus rien ne s'allumait. Elle voulait absolument qu'il vienne pour la dépanner.

Je m'imagine facilement la scène et rit encore en devinant la mine désespérée d'Aurélie. Ma meilleure amie ne sait pas faire semblant, ni cacher ses émotions. Son visage naturellement épanoui et détendu devient tout crispé. Ses traits sont tirés et son teint opalescent vire au rouge instantanément.

Nous terminons notre déjeuné en dégustant des mochis au sésame. Un dessert japonais pourtant proposé au chinois. Un pur délice.

— Il va être temps que j'y aille, ou ma patronne va me tirer les oreilles.

— Tu reviens me voir quand ?

Devant mes yeux de merlan frits, Aurélie me tapote doucement l'épaule en souriant.

— Tu peux aussi venir me voir. Il est même possible qu'on se voit à l'extérieur.

— Dans le monde de dehors ? je l'interroge bêtement.

— Oui, là où tu peux prendre le soleil. Tu sais que les plantes bourgeonnent ? Même que des petites fleurs éclosent.

— Hmm... mouais.

— J'aurais tenté, allez tu prends soin de toi et je t'en prie ne te gave plus de kiri. Et veille bien sur ton arête, qu'elle ne passe pas l'arme à gauche tout de suite.

— Tu crois qu'un poisson peut se suicider ? En retenant sa respiration par exemple ? Ou en se laissant mourir de faim ?

— A plus tard, me répond Aurélie qui doit en avoir assez d'entendre mes bêtises.

Elle remet ses escarpins et m'enlace pour me faire une bise sur les deux joues.

— Je t'appelle. Et tu as intérêt à me dire que toi et ton poiscaille vous vous amusez comme des fous.

Je baisse la tête et lui ouvre la porte.

— Et ne fait pas cette tête, j'ai l'impression de voir Surimi !

De ses mains, elle tire sur mes pommettes pour me faire esquisser un sourire forcé.

— Voilà, c'est mieux. Comment veux-tu que ton poisson ne soit pas dépressif si tu le regarde avec ces yeux là ? Fais lui un beau sourire et parle lui joyeusement. Je suis sûre qu'il se sentira mieux et toi aussi.

La porte d'entrée refermée, je reviens devant le buffet. Surimi est toujours posé sur les graviers jaune fluo à ne pas bouger. Est-ce qu'un poisson ça peut pleurer ? Le voir comme ça me fend presque le cœur. Mais presque seulement. Je ne suis pas assez attachée à ceux de son espèce pour être meurtrie. Puis mon cœur souffre déjà tellement...

Les bras tendus, je pose mes mains à plat de chaque côté du bocal en le regardant.

— On était vraiment destiné à finir ensemble, dis-je tristement en le voyant.

 

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Comments (2)

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Luce 8 months ago

et ma mère m’appelle bibiche 🤣🤣

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Luce 8 months ago

moi j’ai deux chiennes et des volailles😉

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