Chapitre 5
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Chapitre 5
Jeudi 4 Avril 2022
La sonnerie du réveil me tire du lit. Il est neuf heures. Et je n’ai pas le temps de trainer. En glissant mes pieds dans mes chaussons, j’appelle déjà Surimi en prenant les escaliers.
— Salut mon p’tit mec. Alors comment tu te sens aujourd’hui ? Prêt à découvrir ta grande villa ?
Je lui donne quelques paillettes qu’il s’empresse d’ingurgiter.
— Dès que je suis revenue de mon rendez-vous, je m’occupe de toi. Je vais te consacrer toute ma journée. Mais avant je dois aller voir le docteur… quelle plaie.
Dans la salle de bain, je me brosse les dents en même temps que je me rince sous la douche. Mes cheveux sont on ne peut plus ternes et secs. Avant je prenais soin de ma couleur flamboyante. Puis il y a eu novembre. La rupture… Le roux lumineux a viré au poil de carotte. Et encore, une carotte mal en point, même très mal en point. Une carotte que personne ne devrait courir le risque de consommer. Puis mes racines blondes ont poussée sur quelques centimètres et ajoutent une touche supplémentaire de mocheté à ma coiffure déjà sans nom.
J’enfile un jean et le même sweet que je porte depuis trois jours. Dans mon sac il y a tous les documents dont j’ai besoin, même mon chéquier. J’attache mes cheveux trempés en chignon sur ma tête et le maintient avec des petites pinces.
— Maman revient vite mon petit chat. Je vais juste voir le docteur et après je reste avec toi toute la journée.
Une basket, puis une deuxième et j’ouvre la porte en disant à Surimi que je me dépêche et d’être sage durant mon absence.
Le docteur Tortilini est en retard. Comme d’habitude. Pourtant je ne suis que la deuxième patiente de la journée. La salle d’attente est à mon image et me rassure. Je m’y sens comme dans un petit cocon de sécurité. Seulement une étagère peinte en blanc sur laquelle est posée un aloé vera bien entretenue. Une table basse transparente avec quelques magazines et des chaises confortables. Niveau simplicité et minimalisme, il est rude de faire mieux.
— Mme Laurent, m’appelle-t-elle en ouvrant sa porte.
Avec mon tote bag à fleurs dans les mains, j’entre dans son cabinet que je commence à connaître par cœur.
— Alors comment allons-nous ? Je vous trouve une meilleure mine que la dernière fois.
— Merci, je réponds en prenant ça pour un compliment. Je viens pour renouveler mon ordonnance.
— Bien-sûr. Sentez-vous un bénéfice depuis que nous avons augmenté le dosage ? Nous avons également ajouté un anxiolytique le mois dernier.
— Je suis dans les nuages et je dors beaucoup.
— Hmm, marmonne-t-elle en tapant sur son clavier.
— Je pense que je suis sédaté par les médicaments et que ce n’est pas plus mal.
— Vous arrivez à ressortir ? Quel est votre niveau d’énergie actuellement ? Si vous comparez votre état émotionnel avec celui dans lequel vous étiez il y a quatre mois. Quel est votre sentiment ?
— Je suis soulagée de ne plus voir le psy. Il m’angoissait plus qu’autre chose. Sinon je sors, un petit peu. Je me suis acheté un poisson. Il s’appelle Surimi. Comme le surimi, vous savez les bâtonnets de crabes qui ne contiennent absolument pas de crabe et sont colorés avec les carapaces d’insectes.
— Un poisson, c’est formidable. J’aime aussi beaucoup les poissons, ils sont reposants, ne trouvez-vous pas ?
J’épargne à ma généraliste mon impression que Surimi me pompe toute mon énergie depuis qu’il est chez moi. Non ce n’est pas du tout reposant. J’ai dû acheter un aquarium, déménager mon salon et il me reste encore beaucoup à faire pour mettre mon p’tit mec dans sa nouvelle maison.
— Il ne bouge pas beaucoup, j’ai dû investir dans un grand aquarium plus adapté. Ma meilleure amie m’a aidé pour l’installer. Je dois avouer que ça m’a bien occupé. Et ça n’est pas fini…
— Je trouve l’arrivée de ce petit poisson très positive. Vous avez une responsabilité désormais. Un être vivant à vous occuper, à nourrir. Il a besoin de vous.
— Moui, je murmure en pinçant les lèvres.
— Et sinon, vous avez revu d’autres amis ? Vos parents ?
— Pas vraiment, juste Aurélie. Et j’ai appelé ma mère plusieurs fois ces derniers jours.
— Hmm, continue-t-elle.
— Mais je suis retournée deux fois chez Jardiland pour Surimi. Et ça fait au moins deux jours que je me lève dès le matin.
— Félicitations, me félicite la femme en exagérant presque. Vous voyez qu’il y a de l’amélioration.
— Peut-être, je ne me rends pas bien compte.
Elle pianote encore sur son clavier et me propose de réduire l’anxiolytique. J’accepte volontiers et récupère l’ordonnance.
— Ca va aller Madame Laurent. Je crois en vous.
Je lui souris assez peu convaincue. Pourtant au fond de moi je sens qu’un changement commence tout doucement à s’effectuer. Comme si le revirement de situation que je n’espérais plus approchait. Qu’enfin je voyais au loin, très loin, comme un rai de lumière au bout du tunnel.
De retour dans ma bulle, je commence à laver l’aquarium à l’eau claire. Le chant des baleines en fond sonore a l’air de faire du bien à Surimi. Par moment je le vois qui se déplace tout doucement d’un endroit à un autre. J’ai hâte de le voir nager, qu’il soit épanoui et quitte les graviers sur lesquels il passe son temps.
— Docteur Torti a trouvé que c’était très bien que je t’ai avec moi. D’habitude elle me sermonne gentiment. Me reproche de me laisser aller, de me reposer sur les médicaments, mais qu’ils ne font pas tout. Elle est gentille, mais je vois bien qu’elle essayait de me secouer et je n’aimais pas ça. Aujourd’hui elle a particulièrement fait preuve de bienveillance.
Je mets l’éponge dans la petite cuvette posée sur une chaise.
— Elle m’a réduit les anxiolytiques. J’espère que je vais continuer à bien dormir. En même temps Lili est sûre que ce sont ces cachets qui me transforment en zombi, alors…
Sans achever ma phrase, je commence à détailler les différents matériaux fournis avec le bac.
— D’accord, tout ça doit servir à entretenir l’eau. Mais ça se met dans quel ordre ? Il n’y a pas de mode d’emploi.
Evidemment, Surimi ne me répond pas et je suis déjà perdue avec tous les matériaux dans les mains.
A nouveau devant l’écran de mon ordinateur portable, je cherche des explications sur l’installation du filtre. L’étape est primordiale pour avoir une eau bien traitée. De ce que je comprends, j’ai une pompe électrique pour utiliser le filtre. J’ai deux éponges, l’une plus fine que l’autre. De la laine. Un sachet de céramique et du charbon. Voilà l’essentiel pour une bonne filtration de l’eau.
Dans la cuisine, je mets les matériaux dans l’évier pour les nettoyer et reviens les glisser directement dans l’emplacement.
— Tu sais qu’avant ma seule vraie connaissance des poissons était le nombre de calories dans les croustibat’ ? Comme quoi tout arrive, je m’amuse en mettant la laine au-dessus du reste. Bon je crois que c’est tout pour le filtre. Maintenant je dois m’occuper du sable.
Deux paquets de sable m’ont été livré avec l’aquarium. Je le nettoie plusieurs fois dans la cuvette et commence à l’étaler au fond du bac. J’ai les mains dans les grains lorsque ça sone à l’interphone.
— Zut, je râle en me rinçant les mains dans la cuvette.
Je me dépêche de répondre et entend le facteur. Je lui ouvre et récupère le gros colis avec les dernières choses qu’il me manquait.
— Ca y est, Maman a tout pour ta nouvelle maison.
Je mets le carton à côté du bocal sur la table pour l’ouvrir. Le premier accessoire que j’en sors c’est le moulin à vent avec le bulleur.
— Regarde comme c’est mignon, ça te plait ?
Il n’est pas très réceptif, pourtant je tourne l’objet doucement devant le bocal.
— Tu vas adorer, j’en suis sûre.
Je laisse le colis à moitié déballé et termine de mettre le sable en place. Il ne me reste plus qu’à mettre les graviers bleus marine après les avoir nettoyés et je pourrais passer aux décorations. La caverne que j’ai achetée est magnifique, elle me donne presque envie d’être un poisson pour aller m’y cacher. Deux barrières de roches viennent donner un effet d’étage à l’ensemble. Dans un coin, je cale un vase légèrement penché.
— Tout ça m’a l’air pas mal du tout, j’analyse en regardant l’ensemble de loin.
Le soir, je m’écroule presque sur le canapé en soufflant. L’aquarium est rempli d’eau. On n’imagine pas le nombre d’allers retours qu’il faut pour remplir 180 litres d’eau, avec une bouteille de 1 litre depuis l’évier. Ou plutôt si, il faut faire 180 aller retours. J’ai dû faire trois pauses. La première à soixante-dix allers retours, la deuxième à cent vingt et la dernière à cent soixante. Oui, j’ai compté chaque trajet. En regardant chaque fois Surimi qui semblait m’observer à chacun de mes passages devant le bocal.
Pour accélérer le traitement de l’eau, j’avais acheté des produits très bien noté. Une première dose d’un flacon et deux comprimés. L’un dans le filtre et le deuxième directement dans le bac. J’ai abaissé le couvercle, brancher la prise de courant et ai vu mon aquarium se mettre en route. Le bulleur faisait tourner les ailes du moulin et le filtre engendrait un léger bruit le temps de démarrer.
— Victoire ! j’avais crié en levant mes mains en l’air. Ta maison est prête mon petit chat. Demain tu vas aller dans le grand bain. Tu es content hein ? Je suis sûre que tu trépignes d’impatience même si tu ne le montres pas.
Mon poisson ne bouge pas. Par moment il se déplace de quelques centimètres puis s’immobilise de nouveau pendant des très longues minutes voir plus d’une heure. Mais il continue de nager vite jusqu’à la surface dès que je lui donne à manger.
— Bon appétit mon petit chat. Mais mange doucement, tu vas t’étouffer !
Même s’il est en pleine dépression, le fait qu’il mange me rassure. Tout espoir n’est pas perdu.
Arrivée à l’heure d’aller me coucher, j’éteins la lumière du salon en lui souhaitant une bonne nuit. Dans mon lit, je rallume mon ordinateur pour aller sur le forum d’aquariophilie. La veille j’avais vu que plusieurs personnes m’avaient répondue. Une dizaine de membres m’ont souhaité la bienvenue. Et un en particulier m’a précisé qu’il avait deux aquariums chez lui, dont un avec deux poissons rouges. Que je pouvais lui poser des questions si j’avais besoin, qu’il me conseillerait et me donnerait des astuces.
Un certain Rick, avec un poisson à plusieurs couleurs avec des tâches en photo de profil. En allant faire un tour rapide sur la section photos du forum, je vois que le poisson en question s’appelle Bubulle. C’est un poisson rouge shubunkin, de la famille des cyprinidés. Un spécimen bleu et blanc avec une tête rouge et des tâches noires et dorées sur l’ensemble du corps. En voyant les photos je le trouve magnifique. Il est accompagné de Coco, un poisson rouge comète blanc, qui est tout aussi beau.
Je clique sur son profil et décide de lui envoyer un message privé pour lui dire que je suis fascinée par ses poissons. Que leurs couleurs sont magnifiques. J’en profite pour expliquer que Surimi est à une nuit seulement de découvrir sa nouvelle maison.