Chapitre 25
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Chapitre 25
— Bichette, c’est nous !
Mes yeux sont ronds comme des billes. Mes parents sont devant le portail et ma mère fait des grands signes avec ses bras pour être sûre que je la vois.
— Oh non, je chuchote en fermant les yeux.
— Bichette, ouvre-nous, on ne va pas attendre là jusqu’à demain.
J’appuie sur le bouton de l’interphone et ils entrent dans la cour qui mène jusqu’à mon appartement.
— Enfin. Tu en as mis du temps.
— Qu’est-ce que vous faites là, je demande à voix basse.
— Quelle question. Nous venons rencontrer Surimi voyons.
— Maman, je fais en serrant toujours plus fort l’éponge dans ma main.
Elle me pousse doucement et retire ses chaussures pour aller dans le salon. Mon père lui est déjà plus discret. Il retire juste ses baskets en me faisant un sourire mal à l’aise.
— Ohhh, mais tu n’es pas seule.
Je les rejoins dans le salon où Rick a cessé de pomper l’eau et qu’il revient de la cuisine avec le seau vide à la main.
— Bonjour, leur lance-t-il surpris.
— Bonjour Monsieur. Je suis la maman de Liloo.
Ma mère insiste bien et lui tend une main. Je fais rouler mes yeux, agacée par son numéro. Mon père lui serre la main aussi, alors que ma mère va devant l’aquarium.
— Voilà donc le fameux Surimi. Il n’est pas si grand. Je l’imaginais moins petit.
— Il va grandir, je dis en venant à côté d’eux.
— Tu as vu comme il est mignon ? demande ma mère à mon père qui reste légèrement en retrait. Et quand aura-t-il une amoureuse ?
— Tarama va bientôt arriver. Je ne sais pas quand exactement, mais ça ne serait tarder.
— Tarama, répète ma mère.
— Tu donnes des drôles de prénoms à tes poissons, constate mon père en riant.
— Je trouve aussi que Liloo a beaucoup d’humour, intervient Rick qui sort l’extrémité de la pompe de l’eau.
— Elle tient ça de moi, précise ma mère en redressant les épaules. J’ai un sens de l’humour particulièrement affuté.
— C’est ça, je dis pour l’interrompre. C’est très gentil d’être venu, mais je ne veux pas vous retenir, je sais que vous avez des choses à faire.
— Mais nous ne sommes absolument pas pressés.
Tandis que Rick va vider le seau pour la troisième fois, j’attrape ma mère par le bras et lui chuchote à l’oreille.
— Si tu me gâches mon après-midi, je te vole tes chaussons Mickey et les mets à la poubelle !
Ma mère prend ma menace très au sérieux et me fait ses yeux de cocker. Mon père qui sent l’électricité dans l’air, se met entre nous quand Rick revient.
— Nous allons vous laisser. Nous ignorions que tu avais de la visite, lance-t-il.
— Oh, il est vrai que je n’étais pas censé venir. Je ne t’ai même pas demandé si tu avais quelque chose de prévu, réagit Rick en me regardant.
— En vérité, je n’avais pas compris que vous veniez aujourd’hui, je dis en insistant bien sur les derniers mots. Nous n’avions pas fixé de jour si je me souviens bien.
— Ah bon ? J’étais pourtant sûre de t’avoir précisé que nous passions voir Surimi aujourd’hui. A moins que je ne me trompe de jour…
— Ca doit être ça, je réponds en faisant un sourire forcé.
Par politesse et pour ne pas que ma mère me fasse une scène le soir au téléphone, je leur propose quand même de boire un café. Rick me dit alors qu’il a rapporté l’autre moitié de tarte que j’avais aussi oubliée chez lui.
— Nous pouvons la partager en quatre.
Je retiens un soupir. Ce n’est pas avec ce genre de proposition qu’il va m’aider à faire partir mes parents…
A presque quinze heures, nous sommes dans le salon autour de la table. Je coupe les parts et les sert dans les assiettes à dessert. Je mets la cafetière en route et amène trois tasses.
— Alors comme ça, vous vous y connaissez en poisson, demande ma mère à Rick.
— Si on veut, s’amuse-t-il. Je suis un peu passionné. Enfin, beaucoup en réalité.
— C’est formidable. Et très aimable à vous d’aider notre Liloo à s’occuper de son poisson. Vous savez qu’elle n’y connait rien ?
Sous la table, je donne un coup de pied à ma mère qui se redresse immédiatement en me regardant.
— Elle apprend vite. Bientôt elle sera une aquariophile digne de ce nom. Je ne m’inquiète pas pour elle.
Presque intimidée par ses gentils mots, je file dans la cuisine voir si le café a fini de couler. J’attends encore quelques minutes et tends une oreille pour écouter ce qu’ils disent. Ils rient et je soupçonne ma mère de lui faire une démonstration de son sens de l’humour.
Je reviens avec le café et les sert.
— Nous allons devoir reprendre le changement d’eau. Je suppose qu’il ne faut pas laisser l’aquarium débranché trop longtemps.
— En effet. Même si nous ne sommes pas à cinq minutes.
Encore loupé. Rick trouverait-il agréable la présence de mes parents ? En tout cas ma mère le fait bien rigoler et même mon père engage la conversation avec lui. Je me rassois et mange mon morceau de tarte en me demandant combien de temps ils vont encore rester.
A force d’insister sur le fait que nous devons mettre la nouvelle eau dans le bac pour le remettre en route, mes parents finissent par se lever.
— Je vous raccompagne, je lance en les poussant doucement vers l’entrée.
— Au plaisir de vous revoir Monsieur, se sent obligée d’ajouter ma mère en bougeant la tête pour le voir.
— Allez, c’était très gentil de venir, Surimi est heureux de vous avoir rencontré. Mais nous avons du travail, je répète.
— Oui, on a compris on s’en va, râle ma mère en remettant ses chaussures.
Mon père est presque amusé de nous voir toutes les deux.
— Au revoir, à bientôt, je dis en leur faisant signe de la main.
— Je t’appelle Bichette !
— Oui Maman… quand tu veux.
Je referme la porte et ferme encore les yeux en y appuyant l’arrière de mon crâne.
— Ils sont sympathiques.
Je rouvre les yeux et vois Rick qui me regarde avec sa tasse de café dans les mains.
— C’est ça, sympathiques. On se remet au travail ? je demande pour changer de sujet.
— C’est reparti.
Il repose sa tasse sur la table que je m’occuperais de débarrasser plus tard.
— Tu as deux bouteilles ?
— Heu… Je dois avoir ça.
Dans la cuisine, je cherche dans la poubelle où je jette ce qui se recycle et y trouve trois petites bouteilles de cinquante centilitres. Rick me voit et sourit pour ne pas rire.
— Tu n’as pas des bouteilles plus grandes ?
— Si, bien sûr. Elles doivent être au fond. Attends…
Je vide presque toute ma poubelle au milieu de la cuisine et trouve finalement une bouteille d’un litre et demi et une autre d’un litre vingt-cinq.
— Ca conviendra ?
— On va s’en débrouiller, se moque Rick. Ta cuisine n’est pas si loin du salon, pour tous les allers retours.
Dans un coin de ma tête, je note d’acheter deux bouteilles d’eau au format deux litres. Heureusement Rick est coopératif et s’amuse de mon manque d’organisation plus qu’autre chose.
— Si je ne dois pas mettre d’eau froide, il faut qu’elle soit chaude ?
— A peine tiède, ce serait l’idéal.
Je rempli la première bouteille et Rick me montre comment la verser. Pas n’importe où ni n’importe comment. Il vaut mieux privilégier un bord et faire couler doucement contre la vitre. Pendant que je fais les premiers-retours, Rick a prélevé quelques millilitres d’eau pour la tester avec les kits. Quand je reviens avec les deux bouteilles pleines il me dit qu’il n’y a plus qu’à patienter trois minutes. Les bandelettes n’ont rien montré d’inquiétant, mais il trouve plus prudent que je prenne l’habitude de tester mon eau toutes les semaines. Selon lui, ça doit devenir comme un réflexe. Négliger les tests mettrait la vie de Surimi en danger.
Quand il y a assez d’eau, j’ajoute les conditionneurs et nous refermons le couvercle.
— Et voilà, tu es tranquille pour une semaine.
— Génial. Et dimanche je recommence, puis le dimanche d’après et celui qui suit.
— Et tu peux prévoir de remplir tes bouteilles la veille. Le chlore aura le temps de s’évaporer.
Je hoche la tête. J’ai l’impression d’avoir bien retenu tout ce qu’il m’a dit. Dès la semaine prochaine je serais capable de faire mes changements d’eau seule.
— Un autre café ? je propose en emmenant le seau dans la cuisine.
— Je préfère éviter. Je suis en train de me sevrer de la caféine.
— C’est marrant, moi aussi. J’ai remplacé par le chocolat. Je ne sais pas lequel est le mieux… J’ai aussi une bouteille de jus de pomme, si ça te dit ?
— D’accord pour un verre de jus.
Je prends deux verres et y verse le jus frais. Dans le salon, Rick est en train d’amuser Surimi avec son index lorsque je reviens.
— Nous sommes en train de devenir des grands copains.
— Mouais, attention je pourrais mal le prendre. Je suis une personne relativement possessive.
— Je ne vais pas te voler ton Surimi, plaisante Rick.
— Non, mais je n’aime pas l’idée qu’il aime un autre humain que moi. Quand même, il pourrait faire preuve de fidélité.
— Tu sais qu’il risque d’apprécier sa future copine ? Tu ne seras pas jalouse de Tarama au moins ?
— Hmm… Je ne sais pas. Mais j’espère qu’elle ne lui tournera pas autour tout de suite. C’est mon Surimi. A moi toute seule, j’insiste en posant les deux verres.
Rick s’amuse de ma réaction et revient s’asseoir à table.
— Il me reste une dizaine de pages et je commencerais juste une ombre, que tu m’as prêté.
— Cool. J’ai hâte de connaître ton avis. D’ailleurs là que tu parles de livre.
Dans le sac où se trouvait la pompe et la fin de la tarte, il récupère plusieurs objets.
— Je te rends ton bien.
Les trois livres d’Amélie Nothomb et les deux dvd.
— J’ai largement préféré les deux premiers livres au troisième.
— Tu veux que je t’en prête d’autres ? J’ai tous ses livres.
Comme si c’était une évidence, Rick et moi nous retrouvons face à ma bibliothèque. Il imite l’attitude que j’ai eu la veille, chez lui, devant tous ses livres.
— Celui-ci, je décide en prenant cosmétique de l’ennemi dans l’étagère. Et puis également hygiène de l’assassin, son tout premier roman.
— Mireille Calmel, lit Rick sur une autre étagère. Tiens, je n’aurais pas pensé que c’était ton style.
— J’adorais ses livres, je les lisais quand j’étais adolescente. Je les garde pour raison sentimentale. Mais ma série favorite de cette époque reste la florentine de Juliette Benzoni.
— Si je t’avoue ne pas connaître, je mets ma vie en danger ?
— Non.
— Ouf, lâche Rick en passant une main sur son front.
— Juste d’être torturé jusqu’à lâcher ton dernier souffle, j’ajoute avec un air mesquin.
Alors que ça ne faisait nullement parti de l’emploi du temps de mon dimanche, la suite de l’après-midi se transforme en nouveau ciné-salon. D’un commun accord, nous décidons de visionner le monde de Dory. Assis sur mon canapé, nous sommes moins éloignés que la veille pendant que nous regardons la télévision.
Au bout d’une heure et quarante-cinq minutes, lorsque le générique défile sur l’écran, je tente une approche et m’apprête à pencher la tête vers son épaule quand il s’avance au bord du canapé.
— Je crois que je préfère cette suite au premier. Pourtant le monde de Némo est excellent.
Me sentant bête, je fais celle qui n’avait pas prévu un éventuel rapprochement. Moi aussi je trouve que celui-ci encore mieux que le premier. Que Rick soit d’accord avec moi me fait très plaisir.
— Tu souhaites un autre verre de jus ?
— Tu as peur que je me déshydrate ? s’amuse Rick. Je veux bien encore du jus, il est vraiment très bon.
— Je l’achète chez un petit producteur qui fait de l’agriculture biologique.
— Ah, comme ça tu es une adepte du bio.
— Pas tout à fait, je rectifie en allant rechercher la bouteille dans la cuisine. Ce n’est pas parce qu’il est bio que je l’achète chez lui, mais parce que je n’en ai pas trouvé de meilleur. C’est Aurélie qui me l’a fait connaître.
— Ah. Donc c’est Aurélie qui consomme du bio.
— Pas spécialement non plus, je rigole. Elle a connu ce producteur grâce à un cousin, je crois. Quelqu’un de sa famille en tout cas. Et comme elle sait que j’aime boire des jus, elle m’a fait goûter. Depuis j’en ai toujours un stock.
— Quelle histoire. Tu devrais vraiment te remettre à écrire, tu racontes bien.
Je nous ressers en souriant.
— Je sais, tu me l’as déjà fait comprendre.
— Et je suis très sérieux lorsque je te dis ça.
— Je sais, je répète en levant les yeux vers lui. Peut-être un jour…
— J’ai même des contacts qui pourraient t’ouvrir les portes de l’édition. Ce serait génial, non ?
Cette fois-ci je ris franchement en refermant la bouteille.
— Tu veux faire de moi une auteure à succès ?
— Pourquoi pas ? Tu as peur de faire de l’ombre à Amélie Nothomb ?
Alors que je commence à boire, je pouffe et suis à deux doigts de recracher le jus que j’ai dans la bouche.
— Mais bien sûr. Et les licornes existent. Elles font même des cacas arc-en-ciel.
— Qu’est-ce qui te parait si absurde ?
— Je n’ai jamais écrit, je lui rappelle. Enfin si, des rédactions du temps de l’école.
— Tu aimes les livres. La littérature. Tu as des choses à raconter. Alors lance-toi.
— Tu ne sais pas si j’écris bien ou non. Peut-être que j’ai autant de talent en écriture qu’un ornithorynque en vol.
Ma comparaison le fait encore rire.
Nous buvons la fin de notre verre et je me décide à poser à Rick la question qui tourne en boucle dans ma tête depuis plusieurs jours.
— Je me demandais… je commence en posant mon verre. Tu n’as rien contre les femmes, petites ?
— Petites ?
— Oui, pas très grandes. Je ne parle pas de femmes souffrant de nanisme, mais juste un peu moins grande que la moyenne.
— Heu… réfléchit Rick qui semble ne jamais s’être posé la question. Je dirais que je n’ai rien contre. Je ne sais pas en fait. Grande ou petite, c’est un détail.
— Ah oui ? Donc, une femme, par exemple, moi… Tu ne me trouves pas trop petite ?
Le revoilà qui sourit et remue doucement la tête en se retenant encore de rire.
— Petite n’est pas le premier mot qui me vient pour te qualifier Liloo.
— Vraiment ? Tu ne me trouves pas trop grande au moins ?
— Non plus, rit franchement Rick. Même si sincèrement je me moque un peu de ta taille.
— Si tu me trouves trop petite, n’attends pas que je m’attache encore plus à toi pour me le dire. Surtout si c’est un critère rédhibitoire. Ok ?
Il comprend que je suis sérieuse et son sourire est moins prononcé.
— Ok. Mais tu n’es pas trop petite Liloo. Ni trop grande.
— Pieds-nus, je mesure un mètre soixante-dix. Ca te parait correct ?
Voyant que je prends la question très au sérieux, il pose son verre lui aussi et se rapproche de moi. Sur le moment je me demande ce qu’il va faire et hésite à reculer. Il lève un bras et pose sa main à plat sur ma tête en faisant semblant de m’analyser dans toute ma hauteur.
— Ca me parait correct. Même si deux ou trois millimètres de moins m’aurait davantage satisfait.
Les couleurs quittent mon visage. Je deviens aussi blême qu’un vampire anémique.
— Je rigole, précise Rick en voyant ma tête.
Je pince les lèvres et fais semblant de lui donner un coup.
— Tu te moques encore de moi.
— Pas du tout. Deux millimètres ne doivent pas être négligés.
Cette fois-ci je lui tape doucement l’avant-bras et le pointe du doigt.
— Alderick-Vince, sachez que je suis une personne susceptible.
— Oups, fait-il en rentrant la tête dans les épaules.
Peu de distance nous sépare. Nous nous sourions de nouveau. Maintenant que le changement d’eau est fait et que nous avons visionné le dvd, je me demande quelle excuse je vais pouvoir trouver pour qu’il reste encore un peu…