Évaporation
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Évaporation
Dans mon dos, je sens les bras d’Agnès m’enlacer, sa tête se pose délicatement sur mon omoplate, son souffle est court. Je n’ai pas assisté à l’enterrement d’Édouard, je l’ai accompagné de loin, à l’arrière de ce taxi qui me mènera d’ici peu à l’aéroport. J’ai attendu qu’il soit en terre, que tout le monde soit parti pour venir le saluer une dernière fois, lui dire qu’il va me manquer, que je ne reviendrais plus dans cette ville, que je ne me recueillerai plus sur sa tombe.
Agnès m’étreint, je serre ses mains sur ma poitrine, je crois qu’elle a compris, nous vivons nos derniers instants, dès lors, nous ne pouvons plus envisager demain, elle le sait, je le sais… Je me retourne et cette fois, c’est moi qui la presse dans mes bras, mon visage s’enfuit dans son cou, une dernière fois mes lèvres cherchent sa bouche, notre baiser nous unis hors du temps, nous suspend un instant dans ce cosmos lointain où rien ne nous atteint. Mais, la réalité est bien là, de vivre, nous devons continuer. Nous nous rencontrerons sans doute dans une autre vie, mais, est-ce que nous nous reconnaitrons ? il s’agira alors de ne pas se rater, je suis confiant, je sais que nos corps seront là, s’aimanteront à nouveau, car eux seuls ignorent la raison et sont sourds aux brouhahas que nous sommes capables d’émettre pour se brouiller les sentiments.
Elle ne me questionne pas sur ma destination, qu’importe le lieu, seule ma découverte est le moteur, le carburant de ma vie, de ma liberté au grand jour. Rien ne pourra plus l’enchaîner, ni les contingences sociales, ni les éléments de langages si propices à se dédouaner de toutes responsabilités. Oui, la liberté est une histoire de responsabilité, de choix assumés, tout le reste n’est que bla bla pour les lâches, les anguilles à la peau lisse, les fades insaisissables se terrant derrière la fatalité. Nos mains se séparent, nos regards s’accrochent une dernière fois à cet espoir fou, d’un jour se retrouver dans cet univers de gaz et d'émanation où après notre mort, nous errerons, et où, comme promis, nous nous retrouverons puis enfin, ne formerons plus qu’un.
C’est fini, c’est la fin, je te laisse tout ceci en héritage, je ne reviendrai plus en arrière, d’ailleurs, j'ai perdu le chemin du retour. La tombe d’Édouard sera le point final, le générique d’un mauvais film au scénario écrit sur un coin de table, désormais, je vais goûter à l’ailleurs.
Sur le trottoir d’en face, le chauffeur de taxi m’attend. C’est celui-là même par qui toute cette histoire débuta, l’amant de Paquita et que, par méprise, j’ai cru être celui de ma femme. À ma vue, il ouvre la portière arrière, je me faufile et m’assois sur la banquette. Quelques secondes s’écoulent avant qu’il ne se glisse dans le flux de véhicules. Je suis particule, à ma traîne, tout n’est plus que vapeur, brume et évaporation.
[À suivre : l’épilogue]
Initialement publié sur Medium le 20 février 2023 [ici]