Du plat de la main, j’essuie la buée sur la glace qui surplombe le lavabo de la salle de bain. Mon visage m’apparait, la coupure au-dessus de mon arcade sourcilière est cicatrisée et comme me l’avait suggéré Agnès, j’aurais dû me faire suturer, désormais une ligne blanche marque mon front. Qu’importe, elle s’atténuera avec le temps. J’observe mon visage, je ne me reconnais plus, encore quelques semaines en arrière, je me rasais tous les matins, je prenais soin de ma peau, j’usais de crème en tout genre, contre les cernes de fatigue, les rides naissantes autour de mes yeux, le relâchement de la chair dans mon cou, sous le menton. Je m’entretenais, je courrais, presque tous les matins avant d’aller bosser, le midi, je profitais de la pause pour aller à la salle de sport, je levais de la fonte, travaillais mes abdos, je sculptais mon corps et encore, plusieurs fois par semaine, avant de rentrer chez moi, j’alignais des longueurs à la piscine. Je pense n’avoir jamais pris de plaisir à faire du sport, comme tous les compétiteurs, seule la performance compte, afin d’être prêt au combat, de tenir la distance, en tête de préférence et pour garder cette place, l’entrainement est nécessaire, pour ne pas dire vital.

Mes cheveux rasés ont poussé et je remarque que par endroit leur couleur vire au gris, ce n’est pas encore flagrant, seules quelques touches par-ci, par là, mais je dois le reconnaître, le temps passe. Mon âge s’affiche au grand jour, toutes les potions du monde, les régimes drastiques ou encore les exercices de gymnastiques ne me rendront pas ma jeunesse. Elle s’est envolée, emportant sous son bras mon insouciance, ma désinvolture, ma rage de vivre. La vie semble débuter par une longue ascension, le pic atteint, la descente est vertigineuse et c’est d’autant plus vrai si tu as placé le sommet haut, très haut, bien au-delà des nuages, bien au-delà de la raison.

Je n’ai pas oublié mes rêves d’enfants, je me voyais écrivain ou journaliste, vivant dans une maison sur pilotis en bord de plage, au bout du monde. Ce n’était pas l’écriture qui m’intéressait, gamin, tu te contentes de créer des histoires, pour toi ou ton frère, pour passer le temps, car l’ennui est le maître mot de l’enfance. C’est un contretemps, une période suspendue, un séjour interminable dans une salle d’attente avec comme seule perspective le spectacle, parfois lamentable, des adultes. Ce songe éveillé semble durer une éternité, ne jamais arriver, puis le jour venu, tu t’y lances avec frénésie, enfin, pour les plus vaillants, avec anxiété pour les plus craintifs. La vie coule, elle bouillonne, rugit, mais le temps file, s’effiloche, ne s’arrête plus. Le retenir est peine perdue, il est une locomotive incontrôlable, vaillante, arcbouté sur les rails qui mènent à destination, au prochain arrêt, à ton terminus. Voilà, tout est dit.

Pour mon plus grand plaisir, je me suis mis hors du monde, mon corps se transforme en vapeur, mon évasion est évaporation, enfin, je retrouve l’ennui.

[À suivre…]

Publié initialement le 31 janvier 2023 sur Medium [ici]

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