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Chapitre 14

Chapitre 14

Published Apr 7, 2024 Updated Apr 7, 2024 Humor
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Chapitre 14

Ma main serre l’anse de mon sac et je regarde furtivement à droite puis à gauche. Rick n’est pas encore arrivé. Je suis la première à faire le pied de grue devant l’entrée du Palais de la Porte Dorée. Nerveuse, je tiens l’anse fermement comme si elle risquait de s’envoler. Ma robe rouge n’est-elle pas trop longue ? Est-ce que mon bandeau est bien en place ? Mes racines blondes ne risquent-elles pas d’être dévoilées au grand jour ? Mon sac à main est lourd sur mon épaule, est-ce que j’ai emporté trop de choses avec moi ? Je serre les lèvres en regardant mes pieds. J’aurais peut-être dû cirer mes chaussures. Elles commencent à avoir une sale tête et me donnent sûrement un aspect négligé. Mon gloss colle sur ma bouche et c’est plutôt désagréable. Quelle idée de mettre du gloss aussi. Je n’en mets jamais, mais celui-ci m’a été offert par une collègue de travail et aujourd’hui j’ai pensé « et si je l’utilisais ? » Mauvaise idée…

— Bonjour Liloo, dit-il en me sortant de mes pensées.

Il est là et je ne l’ai même pas vu arriver, tellement j’étais absorbée dans mes réflexions.

— Salut Rick, je réponds avec un grand sourire. Je peux continuer à dire Rick ? Ou tu préfères…

— Rick c’est très bien. Plus court et plus simple.

Nous échangeons une bise rapide.

— Prête à rencontrer la famille éloignée de Surimi ?

— Prête et impatiente. Je crois que je suis en train de tomber amoureuse des poissons.

— Des poissons et plus seulement du tient ? Tu ne crains pas que ton p’tit chat soit jaloux ?

— Je lui ai juste dit que j’allais voir ses amis, mais qu’il resterait le plus beau à mes yeux. Je n’aimerais pas qu’il retombe en dépression par ma faute.

Dès l’entrée de l’aquarium il y a un bassin avec des raies. Je les regarde et attend que l’une se déplace. C’est si gracieux, si doux. On dirait presque qu’elle vole.

— Que c’est majestueux. Ca donne l’impression qu’elle danse.

— La raie réticulée fait partie des poissons cartilagineux, comme les requins. Ils vivent dans les eaux douces.

— Incroyable, je m’exclame en continuant de l’observer.

Devant chaque espèce, Rick me donne des informations que je trouve chaque fois fascinantes. Comment peut-il savoir tout ça ? Sa passion l’a doté de connaissances impressionnantes.

Je reconnais les poissons clowns et les poissons chirurgiens.

— Tu connais le prénom du père de Némo ? j’interroge mon nouvel ami.

— Alors… je l’ai su mais là, je t’avoue…

— Rah, tu connais tout des poissons, mais pas le prénom du père de Némo. Je suis très déçue.

— Désolée, fait Rick en souriant.

— Il s’appelle Marin.

— Je vais tâcher de m’en souvenir. Marin, Némo et Dory.

— Il y a aussi Bruce, le requin végétarien. M. Raie, Squiz et Gil le maître de l’évasion.

— Je crois que j’ai besoin de revoir ce film…

— J’ai le dvd. On pourra le regarder ensemble si tu veux ? Et tu as vu la suite, le monde de Dory ?

— Heu… commence ce Rick en me faisant un autre sourire, mais plus crispé celui-ci.

 

Nous prenons notre temps pour faire le tour de l’aquarium. Devant chaque nouvelle espèce je pose des questions à Rick qui a toujours des informations intéressantes à me révéler.

Il est presque dix-huit heures trente lorsque nous ressortons du palais.

— Tu es déjà allé au zoo de Vincennes ?

— Jamais, m’apprend-t-il.

— Il faudra que je t’y emmène. Il n’y a pas de raisons que ce soit toujours toi qui joues le guide. Tu serais libre en fin de semaine ?

Rick rit devant mon enthousiasme.

— N’oublie pas que tu dois aussi me montrer le monde de Némo et ensuite le monde de Dory.

— Exact, j’avais déjà oublié. Un jour on fait cinéma dans mon salon et un autre on part à la découverte des animaux du zoo, je lui propose.

— Ca me va. En tout cas je remarque qu’inconsciemment tu étais déjà attaché aux poissons. Tout le monde n’évoque pas Némo et Dory aussi facilement.

— Je n’ai pas pu voir le premier film au cinéma. J’étais trop petite, à peine trois ans. Mais le monde de Dory j’y suis allée avec des copines. J’adore aussi la petite sirène.

— Je te le dis, un poisson sommeille à l’intérieur de toi ! s’amuse Rick.

— Un poisson qui ne sait pas nager, je dis en riant.

— Tu ne sais pas nager ? Pour de vrai ?

— J’ai la phobie de l’eau…

— C’est marrant. Enfin marrant, je me comprends, se rattrape Rick.

— C’est vrai que c’est marrant, dans le sens où j’aime bien l’eau. Par exemple j’adore aller à la mer. Du moment que je la vois au loin et que je ne suis pas sur la plage…

— Tu ne vas jamais à la piscine non plus ?

— JA-MAIS, j’articule. Je fais trempette dans ma douche et ça me convient parfaitement.

— Même pas de baignoire ?

— Certainement pas, oh que non. Tu veux me tuer ?

J’arrive facilement à le faire rire et je considère que c’est un bon point.

— Et venir visiter un aquarium ça ne t’a pas provoqué de crise de panique ? Tu n’as pas fait une insomnie ?

— Te moque pas, je dis en plissant les yeux. Et non, je n’ai pas fait d’insomnie ni de crise de panique. Comme je ne suis pas dans l’eau, je gère sans difficulté. Et puis au pire, ils doivent bien avoir des bouées…

— Je crois surtout que seuls les poissons ont accès aux aquariums. Les risques que tu t’y retrouves sont quasi-nuls.

— C’est précisément ce que j’ai pensé, je lui dis en souriant. Et puis les chances que tu saches nager sont grandes. Tu serais venu me sauver de la noyade au cas où.

— Ah ? Et qu’est-ce qui te fait croire que je sais nager ?

— Aucune idée. Tu ne sais pas nager ?

Rick sourit largement sans me répondre tout de suite.

— Je vais laisser planer le doute, juste pour m’amuser.

Oh ! je pense intérieurement.

Nous remontons tranquillement l’avenue Daumesnil en rigolant. Comment Rick fait pour être si naturel et sympathique ? Et comment arrive-t-il à me mettre aussi à l’aise ? J’ai presque l’impression de le connaître depuis longtemps et que nous sommes sur la même longueur d’onde alors que nous nous connaissons depuis seulement une poignée de jours.

Après encore quelques mètres, nous bifurquons dans un restaurant. La terrasse est presque vide mais je trouve l’endroit accueillant. Nous nous installons à une table décorée d’un petit vase avec des roses en plastiques.

— Tu crois que celles-ci aussi tu pourrais les faire faner ?

Je ne comprends pas tout de suite pourquoi il me dit ça, puis me souvient lorsque j’ai acheté la plante pour Surimi, avoir dit que j’avais si peu la main verte que même les fleurs artificielles ne me résistaient pas.

— Je ne tenterais pas de les ramener chez moi. Pour leur sécurité.

Assis, nous prenons un apéritif pour ne pas commander nos plats tout de suite. Je demande un virgin mojito et Rick me suit.

— Pas d’alcool ? je m’amuse à remarquer.

— Je ne préfère pas, je suis en voiture.

— Ca me paraît être une très bonne raison.

— Tu es aussi en voiture où tu as pris les transports ?

— Voiture. J’ai horreur du tramway, il y a trop de monde à mon goût. Comme dans tous les transports de la capitale d’ailleurs. Mais je ne tiens pas l’alcool de toute façon.

— Alors on est deux. Mais ça passe mieux de dire que je ne bois pas si je conduis. Ca m’évite certains regards ou des commentaires du genre « mais juste un verre. »

Encore un point commun. Je ne lui dis pas, mais j’allonge la liste à chaque fois dans ma tête.

— Tu es en vacances jusqu’à quand ? je lui demande pour changer de sujet.

— Vendredi de la semaine prochaine, je reprends le travail le lundi qui suit.

— On a largement le temps de faire notre ciné-salon et d’aller au zoo.

— Carrément. Tu es en vacances aussi ?

— Heu… pas exactement, je réponds en baissant légèrement les yeux.

— Mince. Chômage ?

— Non, non, je travaille. Enfin pas en ce-moment. Je suis en arrêt de maladie.

— Ah… Excuse-moi, j’ai été indiscret.

— Pas du tout. Je suis arrêtée depuis plusieurs mois, à cause d’une dépression.

— Aïe. J’ai connu. Et certaines périodes restent difficiles.

— Oh… Et tu as fini par aller mieux ?

— Avec du temps et une psychothérapie, me confie Rick.

— Ah quand même. J’ai vu un psychopathe mais il m’a fait peur alors je n’y suis pas retournée.

— Sans blague, se moque Rick. Il était comment ?

— Bah… tu vois la tête d’un psychopathe ? Celui qui torture ses victimes avant de les tuer et de les découper pour mettre tous les bouts dans le congélateur ? Il lui ressemblait un peu.

Il rit encore plus avec ma description du psy parfait.

— Ils ne sont pas tous comme ça. J’en ai vu un qui était très louche mais le deuxième m’a rassuré et j’ai accepté de lui faire confiance. Ca fait plus d’un an que je vais le voir et il m’a nettement aidé.

— Moi c’est Surimi qui m’aide, je dis en souriant. Même que je recommence à sortir. La preuve, je suis là.

— Bravo, me félicite Rick. Sortir de son lit demande un tel effort parfois. On n’imagine pas l’enfer de la dépression avant d’y avoir été confronté.

— J’ai acheté Surimi pour être moins seule, sous les recommandations d’Aurélie. Ma meilleure amie. Elle m’a raconté l’histoire de sa voisine qui a adopté un chiot et ne pense plus à se suicider depuis.

— C’est original. Et ça fonctionne ? Tu te sens moins seule ?

— Je crois que c’est assez efficace. Je passe mon temps à lui parler. Et lui il m’écoute.

— Je suis certain qu’il n’est pas contrariant et qu’il ne te contredit jamais.

— Exact. Et c’est un net avantage. Je lui mets aussi de la musique. En partant j’ai lancé une playlist de chant de baleine. Je ne sais pas s’il entend mais je suis sûre que ça l’apaise.

— Bonne idée. Et oui, les poissons entendent. Leurs oreilles ne sont pas visibles. Mais ils ressentent les vibrations et les ondes sonores. En revanche, je doute que ton Surimi t’entende lorsque tu lui parles.

— Oh, tu crois ? Zut… Je lui raconte pourtant des choses passionnantes.

Le serveur nous apporte nos apéritifs dans des jolis verres avec une rondelle de citron et une paille.

— Et tu as dû arrêter de travailler quand tu as fait ta dépression ? je l’interroge.

— Plutôt oui. J’ai fait un burn-out. Donc arrêter de travailler un temps était primordial dans mon cas.

— Un burn-out. Ca peut-être grave.

— J’ai eu du mal à m’en remettre, m’avoue Rick en prenant son verre.

— Tout se passait bien à la bibliothèque. J’ai la chance d’adorer mon emploi et de bien m’entendre avec mes collègues. Mais j’étais tellement à côté de la plaque, fatiguée et incapable de me concentrer. Alors j’ai été arrêté quelques jours. Puis deux semaines. Et maintenant ça fait plusieurs mois.

— Tu n’aimerais pas tenter une reprise ?

— Y a encore un mois j’aurais dit non, que j’étais trop fatiguée. Et que la vie n’ayant aucun sens, je ne voyais plus l’utilité de travailler. Mais je me demande si je ne devrais pas y repenser. Juste pour retrouver un rythme.

— Tu peux reprendre à mi-temps. Il y a des aménagements possibles pour que ça se passe bien. J’ai passé trois mois en mi-temps thérapeutique, puis j’ai repris à temps complet.

— Et ça va ?

— Ca va, dit Rick en haussant les épaules. Y a des jours où j’ai envie de mourir et de m’étouffer avec ma couette, puis d’autres où je suis content d’être en vie.

— Je comprends…

— Tu sais ce qui est à l’origine de ta dépression ? Moi j’étais en surmenage à cause de mon travail. Y avait du harcèlement avec un collègue et mon patron ne se montrait pas compréhensif. Je n’étais pas soutenu et n’arrivais plus à suivre le rythme. Je me suis mis une pression de fou, jusqu’à craquer. J’ai changé de boite et trouvé cette petite maison d’édition. Je m’y plais beaucoup, les conditions de travail et l’ambiance y sont nettement plus saines.

— De mon côté ça n’a rien à voir avec mon travail. Mon copain m’a quitté subitement. Je n’ai pas réussi à m’en remettre.

En même temps que je dis, je me demande si c’est une bonne idée d’aborder ce sujet avec Rick. Même si c’est lui qui m’a posé la question et que je ne fais que lui répondre.

— Ce sont des moments difficiles, me dit-il simplement.

— Oui. Et je ne m’y attendais pas du tout. Je me suis pris une sacrée gifle. Ca m’a retournée comme une crêpe.

Il sourit devant ma façon de décrire mon ressenti. Mais pas un sourire moqueur ou malveillant, au contraire.

— Mais maintenant tu as un nouvel homme dans ta vie. Le grand Surimi.

— Surimi premier du nom, j’ajoute en riant. Le premier d’une future grande lignée.

— Vraiment ? Tu comptes faire un élevage ?

— Pourquoi pas ? je m’amuse. Ca me ferait du monde à m’occuper et j’aurais un nouveau but dans ma vie.

— Y a autre chose qui aide énormément quand on est mal. Lorsqu’on voit tout en noir qu’on n’arrive plus à sortir de cette spirale infernale.

— Si tu parles des médicaments, j’en prends déjà.

— Je ne pensais pas à ça non, rit Rick. Ecrire ça fait du bien.

Et le voilà qui recommence. Je souris en le fixant un instant.

— Je dis ça pour toi, se justifie Rick. Et ça pourrait aussi être l’occasion d’écrire sur Surimi. Mais c’est juste une idée comme ça.

— Tu es du genre têtu et à avoir de la suite dans les idées toi.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, me lance-t-il avec un air innocent.

 

Nous poursuivons la soirée en commandant deux pizzas.

— Une pizza végétarienne ? Tiens-donc…

— Une quatre fromages pour toi. Tu es végétarienne ?

— Presque, je réponds en riant. J’avoue que je ne mange plus de viande et que le poisson a dû mal à passer depuis peu. Mais j’aime trop le fromage pour devenir végan.

— Le fromage, ça fait si longtemps, fait Rick en fermant les yeux. Non je plaisante. Je ne suis pas végan non plus. Juste végétarien. Je consomme du lait, beurre, fromage. Je n’ai pas de mal à me priver d’œuf puisque je n’aime pas ça. On peut dire que je suis un demi végan.

— Intéressant. Et les gâteaux, tu aimes ? Pour le goûter de notre après-midi ciné-salon.

— J’adore les gâteaux, je suis accro au sucre, m’avoue-t-il. Et surtout au chocolat. C’est tellement bon pour le moral.

— Le meilleur pour le moral ce sont les kiris. Rien ne vaut les kiris.

— Et les p’tits louis ?

— Ohhhh, les p’tits louis, un régal ! Ca y est, je vais avoir envie d’en manger…

— Et les babybels !

Je salive presque. Il va falloir que je retourne au SuperU pour dévaliser le rayon fromage.

— J’ai presque oublié, mais je t’ai apporté quelque chose.

— Oh, je lâche très étonnée.

Il regarde dans son sac et je me sens toute chamboulée de voir qu’il a quelque chose pour moi. Il pose un petit paquet en papier au milieu de la table.

— Surprise.

Le rouge me monte aux joues. Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il m’offre quelque chose.

— Heu... merci.

— Tu ne sais même pas ce que c’est, se moque Rick. Tu vas peut-être détester.

— Je suis sûre que non. Et rien que l’intention me fait plaisir.

J’attrape le paquet avec précaution et l’ouvre tout en douceur pour découvrir ce qu’il contient. Mes yeux s’agrandissent lorsque je vois à l’intérieur.

— Non ? Tu as fait ça ?

Rick rit, tout en ne semblant pas si à l’aise que ça. Je sors le petit pot avec le cactus et le tient dans mes deux mains en le détaillant.

— Il est magnifique, je dis enfin. Merci beaucoup.

— J’avais besoin de terreau et en allant au magasin je suis tombé sur un étalage de mini cactus. J’ai immédiatement pensé à toi et il m’était impossible de sortir de l’enseigne sans en avoir acheté un.

— Ca me touche beaucoup. Surtout que j’ai complètement oublié de retourner m’en prendre un. Et celui-ci est magnifique.

— On est d’accord que tu ne vas pas le laisser mourir comme les fleurs en plastique ? Tu vas t’en occuper comme de ton p’tit chat ?

— Bien-sûr. Je n’y connais rien en cactus, mais je vais m’informer. Ca ne doit pas être plus compliqué que d’avoir un poisson.

Rick rit encore et je ris avec lui. Nos pizzas arrivent et nous nous souhaitons un bon appétit en prenant nos couverts.

C’est spécial ce qui se passe entre nous. Inattendu. Presque inespéré. Tellement différent de tout ce que j’ai pu ressentir auparavant envers les gens devenus importants pour moi. Quelque chose se crée tranquillement. Et je ne sais pas lui, mais moi j’adore les sensations que ça me procure.

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