CHAPITRE 6: MARION ET ISABELLE
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CHAPITRE 6: MARION ET ISABELLE
Parmi les guéris, il y a avait Marion 14 ans et sa maman Isabelle. Marion était assez souvent malade quand je venais la voir ou endormie. J’avais entendu parler d’elle avant de la rencontrer par son professeur de français qui était très enthousiaste, qui me la décrivait comme une ado merveilleuse pleine de vie et par-dessus tout aimant le français. J’ai cru alors que la tâche serait facile. Mais au départ, Marion ne correspondait pas à ce portrait ni à ce que mon imagination avait ajouté. Elle me semblait observatrice, plutôt méfiante à l’inverse de sa mère qui m’a tout de suite accueillie avec ses enthousiasmes et ses énergies. Je passais beaucoup de temps avec Isabelle à discuter de tout un tas de choses: de Dieu, de la maladie, du passé, des cigarettes qu’elle ne cessait d’allumer les unes après les autres, de la danse, de la vie, de la mort, de la ventoline puisque nous étions toutes deux asthmatiques. Petit à petit, la complicité que j’avais acquise avec l’une m’a donné accès à l’univers de l’autre et je me souviens de moments de rires, de pas de danse esquissés dans la chambre, de dessins échangés, de parties du fameux puissance quatre. Puis Marion a fait sa guérison : «- Aujourd’hui c’est un grand jour, c’est fini, c’est la dernière fois ».
Une dernière opération : enlever le cathéter et reprendre le cours de la vie. Nouveau passage. J’étais éblouie par sa force et son courage mais aussi par la profonde croyance et foi d’Isabelle alors que pour moi cette expérience avait ébranlé mes fondements et remettait foncièrement en question ma propre existence, mon regard sur le monde. Tout s’écroulait et les ruines étaient encore fumantes. Rien n’y faisait pour percer ce rideau de fumée, cette brume opaque, piège de l’égarement.
L’amour entre toutes les deux était plus que fusionnel, il était absolu et cela dérangeait certaines personnes dans le service car il n’y avait plus de place selon eux pour que l’adolescence se fasse, plus de place pour les autres, plus d’intimité pour la jeune fille qui devait grandir.
Marion et Isabelle étaient toutes deux engagées dans un combat aux issues incertaines, et je pense très sincèrement qu’elles n’auraient jamais pu survivre l’une sans l’autre dans cette aventure. À tour de rôle elles étaient l’épaule et le cœur. Leur rapport n’était pas si exclusif que cela puisque j’avais ma part d’existence auprès de chacune d’elle et indépendamment. En vérité, chaque cas est unique. Vouloir tout « psychologiser » en se basant sur certaines doctrines modernes ou concepts théorisés n’est pas toujours un bien en soi car c’est oublier aussi le caractère unique de chaque individu. Il faut savoir prendre du recul, être intuitif et attentif, être à l’écoute aussi. Il est important de ne pas se fier aux idées reçues mais également de ne pas tomber dans le piège du jugement des relations d’autrui à travers le prisme de nos propres expériences personnelles, (ce qui bien sûr n’est pas une mince affaire).
Cette relation fusionnelle ne m’a pas choquée, je n’y voyais que de l’amour, les éclats dans leurs yeux, j’entendais leurs rires. Marion me semblait être une adolescente pleine de caractère et suffisamment armée pour se battre et non pas une éternelle enfant arriérée et dépendante. Marion a guéri quelques temps avant la première représentation de « Tétrapodie » à laquelle elle a assisté. Elle a même accepté de témoigner à la télévision de sa maladie et de notre rencontre alors que ce n’est vraiment pas facile de s’exposer comme ça si vite, de se donner à voir quand on vient tout juste de sortir d’un cauchemar. Je me souviens qu’à ce moment là, des petits cheveux tout neufs ont refait leur apparition mais elle s’est mise alors à les cacher avec des
bonnets et des bandanas. Isabelle la taquinait à ce sujet et tenait absolument à ce que je vois ses cheveux renaissants et Marion a fini par me montrer toute rougissante ce retour de bataillon capillaire. Je réalisais alors que la guérison n’était pas l’achèvement de la maladie. Qu’ il y avait une suite à surmonter : la vie ne pouvait pas reprendre son cours comme avant, il fallait faire son deuil et relâcher la pression. Réapprendre à exister. Chaque passage est une fin de chrysalide.
Puis un jour, il n’y a en fait pas très longtemps de cela, je reçois une lettre de toutes deux dans laquelle j’apprends qu’elle fait une rechute. Une rechute. Mon cœur a bondi, j’ai relu la lettre comme s’il y avait une erreur, même sensation qu’avec Rima. Je ne pouvais pas croire cette nouvelle réalité. Seulement cette fois, je connaissais l’inutile tentative de vouloir dissimuler les choses. Une rechute : une falaise, un abîme, un trou noir. Une rechute. Impossible. Un an de guérison, puis tout à recommencer, un second combat peut-être plus éprouvant encore. Et, comme par un hasard malvenu, j’apprends cette nouvelle 2 semaines avant la reprise de «Tétrapodie ». Je suis donc retournée à l’ascenseur, j’ai appuyé sur le bouton 5, j’ai traversé le couloir et j’ai retrouvé La Miss dans la salle de jeu plus rayonnante que jamais, comme à son habitude en train de peinturlurer sur du plâtre. Je savais bien sûr, qu’elle ne serait ni effondrée, ni abattue. Je l‘espérais égale à elle même avec son courage, sa force, et ses enthousiasmes mais là, je dois admettre que la réalité a dépassé toutes mes espérances. Marion souriait et quand elle ne souriait pas, elle riait à pleins poumons. Ce rire m’a traversé toute entière. Aujourd’hui encore, je l’entends résonner à chaque fois que je traverse les ombres.
Extraits de la lettre d’Isabelle et de Marion du 27 novembre 2003 :
« Coucou petit clair de lune,
Enfin je prends ma plume. Je constate que tu es toujours en questionnement, fais moi plaisir, arrête et accepte que ça puisse parfois rester sans réponse. La vie ne dévoilera pas son mystère car elle n’est pas un long fleuve tranquille. Alors profitons de tous les petits cadeaux tout simples qu’elle nous offre comme : admirer dame nature, la richesse des gens, les sourires reçus, les mains tendues, la liste est longue cherche la… Il est normal d’avoir des périodes de désert où on ne peut ni avancer, ni reculer mais c’est à ces moments précis qu’il faut patienter dans le silence de son être, à l’écoute de sa propre transformation, le désert stérile que nous sommes peut se changer en oasis. […] La vie est mystérieuse ne cherchons pas à le percer car de toute façon, elle ne nous révélera rien car elle nous a été offerte en cadeau mais elle n’appartient qu’à Dieu seul. Il est le chemin de vie, des petites et des grosses pierres y sont posées. Je termine cette première partie dans la foi et l’espérance car c’est notre force dans l’épreuve qui a refrappé dans la chair de Marion. Verdict reçu la semaine dernière suite à de multiples examens, récidive de l’ostéosarcome : côte droite avec métastases au poumon. Traitement envisagé : chimio, chirurgie, greffe de moelle si la chimio ne répond pas. Voilà c’est dur et ça ne sera pas facile nous le savons. Mais sur le tableau noir du malheur, nous y mettrons des couleurs. Rien d’autre à dire sinon que Marion se fait placer le cite mercredi 3 décembre (rendons grâce un an de répit). Nous allons donc reprendre les rames de cette galère et nous ramerons jusqu’où ? Je ne sais pas mais nous avons un super capitaine, il s’appelle Dieu car lui seul connaît le port d’attache. Nous t’embrassons très fort avec toute notre affection. Nous te souhaitons le meilleur ainsi qu’à tous ceux qui te sont chers. Gros bisous et à++++++ J’espère
Isabelle et Marion
(Silence)