CHAPITRE 1: HISTOIRES DE VIE
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CHAPITRE 1: HISTOIRES DE VIE
Faites quelque chose de votre vie, quelqu'en soit la taille et la couleur, la forme ou le parfum du moment qu'elle soit douce. Soignez la, couvez la, embrassez la de toutes les façons que vous voudrez, cultivez la, cuisinez la, dévorez la, regardez la les yeux dans les yeux, soyez attentif. Surtout ne gâchez rien. Pour vous, pour eux, et les vôtres.
Cette histoire n'en est pas une. Elle est singulière et plurielle. Elle appartient à ceux qui l'écoutent malgré les ombrages, à ceux qui l'entendent malgré les silences. C'est une traversée en solitaire, des chemins de vie croisés, le temps d'un unique voyage.
Ceci est une invitation au partage tout simplement.
Il était une fois une petite-fille qui s’appelait Rima. Rima était très belle. Rima était une petite fille faite femme. Parce qu’elle avait perdu son insouciance, parce qu’elle savait mieux que personne ce qu’elle traversait, parce qu’elle avait 8 ans et dormait sur un lit anti-escarres dans une chambre rose-pisseux d’un grand hôpital.
Sur sa table de nuit, il y avait une photo. Je m’en souviens très bien car sur cette photo, elle avait les cheveux longs. La petite fille que j’avais en face de moi n’en avait plus bien sûr et j’ai réalisé alors qu’il y avait un passé où tout avait été autrement, que la maladie n’avait pas toujours été là.
La 1ère fois que je l’ai vue, je me suis présentée comme je le faisais à chaque fois que je rencontrais un enfant ou un ado. Elle m’a écoutée, elle m’a regardée droit dans les yeux, puis, comme un défi m’a rétorqué : «- Je suis ici parce-que j’ai le cancer !». Je sentais le poids de cette phrase, mes pensées se sont bousculées car il me fallait répondre mais je restais ahurie et ne sachant quoi inventer, j’ai juste su dire :«-Je sais». Cet aveu m’a ouvert une porte. Nous sommes toujours nus face aux enfants. J’avais un peu honte de ma réponse car je la trouvais sans réconfort mais Rima semblait soulagée. Nous sommes restées tout un après-midi ensemble avec son frère et sa cousine. Elle m’a fait découvrir les derniers bracelets mode petite-fille qui se tatouent sur la peau. Depuis, chaque fois que j’en vois dans les boutiques de bord de mer, je pense à elle. C’est un peu comme si elle était devenue cet objet ou qu’il ne puisse prendre un sens qu'à travers elle.
Je ne savais pas que Rima arrivait imperceptiblement au bout.
Elle ne voulait pas écrire ni faire de collage, elle voulait me montrer ses bracelets, me faire écouter la musique qu’elle aimait et surtout parler.
La princesse s’est éteinte la première. La première c’est comme toutes les premières fois, ça laisse une marque -INDELEBILE- gravée au plus profond de vous-même, de votre jardin secret.
Je n’ai pas assisté à ses derniers moments. Je ne sais même plus comment j’ai su qu’elle était morte mais j’ai senti une ombre planer quand j’ai vu toute la famille rassemblée dans la salle des parents, le jour où j’ai surpris une infirmière pleurant dans un coin avouer : «- Je suis inquiète pour Rima, je ne crois pas qu’elle va résister ». Mes oreilles bourdonnèrent, je ne voulais pas entendre cela, j’ai tout de suite pensé : « Ce n’est pas d’elle dont elle parle, pas la Rima que je connais, c’en est une autre, une que je ne connais pas ». Je me suis rattachée à cette pensée si violemment que j’y ai cru jusqu’à l’inéluctable réalité.
Bien sûr, tout le monde sait que le cancer tue, bien sûr quand vous travaillez dans un service d’oncologie pendant une année, vous vous doutez bien que vous serez confronté à l’échec de la toute puissance médicale, à l’implacable destinée, à votre propre échec. Oui, mais…
Je n’ai pris conscience de cette réalité qu’assez tardivement, à peine 2 ou 3 jours avant de commencer les ateliers, en pleine période de trac, l’avant-première en quelque sorte alors qu’il m’avait fallu des mois et des mois pour exposer mon projet à toute l’équipe médicale, pour rencontrer toutes les personnes nécessaires à l’acceptation de ma venue au sein du service.
Du cancer, je connaissais des mots, très peu, surtout le plus effrayant de tous : « Tumeur » mot troublant en lui-même et qui porte le sceau de la fatalité.
De l’hôpital, rien, sinon l’omniprésence du blanc, et le fer froid des lits mécaniques, et l’odeur aussi si particulière qui donne la nausée.
Je savais de la chimio que c’était un traitement lourd qui faisait perdre les cheveux. C’est tout. Un jour, un petit garçon avec lequel je faisais des collages me dit : « - Ça a dû vous faire bizarre la première fois, quand vous avez vu tous ces enfants sans cheveux, ça vous a fait quoi ? » Non ça ne m’avait pas fait bizarre, je savais qu’il allait en être ainsi. C’était peut-être la seule chose à laquelle j’étais préparée, les enfants sans cheveux. Ça ne m’avait rien fait sauf quand j’ai vu la photo de Rima sur sa table de nuit. C’est cette image que j’ai choisi de garder plus tard lorsqu’il a été question de créer un spectacle sur cette expérience partagée.
En fait, ce qui m’a frappée particulièrement, ce sont les machines autour, les perfusions, j’avais peur de la douleur aussi. C’est impressionnant de voir un petit corps percé par des tubes dans lesquels coulent toutes sortes de liquides, et puis il y a ces sacoches qui pendent remplies de mystérieux breuvages. On a peur d’arracher un tuyau par maladresse et au début on est un peu focalisé sur tout ce matériel, on veille à ce que tout ce passe bien, à ce que la goutte tombe régulièrement, à ce que l’enfant ne s’accroche pas quelque part par accident. On vérifie que la machine fonctionne.
Et le cathéter qui reste posé là comme une issue de secours ou le porche d’une église. Ça non plus je ne connaissais pas. Le cathéter ! Encore un mot aux sonorités dures et tranchantes. Je me souviens de l’importance que revêtait cette chose car quand on l’enlevait, c’était le symbole de la guérison : «- demain on lui enlève son cathéter ! », demain est un autre jour. La joie de la délivrance, le bout du tunnel, la concrétisation de l’utilité de tous les efforts. Toutes les souffrances, les angoisses, les inconnus, les douleurs balayés. La nécessité de vite oublier pour passer à autre chose, cette urgence de la vie comme si la mort était encore là, tapie dans l’ombre et qu’elle pouvait encore une fois, une dernière, revenir et abattre tous les espoirs. Fuir ce quotidien qui nous renvoie à nous-mêmes.
Il n’y a pas de partie de « quidditch » dans la cour de l’hôpital, ni de « polynectar », ni d’infirmière chat ou de poisson volant. Il n’y a pas de marmite bouillonnante de potion magique. Il n’y a plus ni certitude, ni toute puissance. Mais il y a des rêves, des sourires, des clowns, des conteurs, des salles de jeux, des salles de classe, des dessins au mur, des espérances, des leçons de vie et beaucoup, beaucoup de courage.
(Silence)
J’ai 29 ans, il y a 5 ans maintenant que j’ai quitté le service. Je m’appelle Marie-Lune, je suis comédienne, metteur en scène, danseuse et chanteuse et j’ai eu la chance de mener à bien des ateliers d’écriture et de poésie au 5ième, dans un service d’oncologie pédiatrique d’un grand hôpital d’enfant. Ces ateliers étaient des moments de rencontre avec l’enfant ou l’ado dans sa chambre. Des instants privilégiés. Rencontre avec les parents aussi : rires, confidences, puissance 4, Art Picasso, silences. Une danse, une chanson, un dessin, un texte, un poème, une plume. Mille soleils pour une lune. Il y avait : Marie-Noëlle, Marie-jo, Fanny, Laura, Julien, Amel, Jordan, Norandjema, Rima, Julien, Mohamed, Tiffany, Kevin, Tristan, Marion, Isabelle, Guillaume, Anthony, Steve, il y avait tout le personnel hospitalier et tous les autres encore, les femmes de ménage, les aide-soignantes, les dames en rose, les bénévoles, le baby-foot. Il y avait du temps à perdre ou à gagner, la salle des parents, les télévisions, les discuts, les complicités. Il y avait toute une vie, des petits battements à n’en plus finir, des cœurs tendus et des yeux grands ouverts, des lumières invisibles, des recueils de mot, quelques délivrances, de précieux rêves et de tendres réalités. Des éclats de rires et l’amour tout autour, inépuisable. Ce que j’ai reçu est au-delà des mots. Au-delà justement !
(Silence)