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CHAPITRE 15: LA CICATRICE

CHAPITRE 15: LA CICATRICE

Published Mar 19, 2023 Updated Mar 19, 2023 Culture
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CHAPITRE 15: LA CICATRICE

Je n’ai pas fini de dire. Je sens encore des choses tenues, des choses qui hésitent, des passés sous silence. Je m’interroge aussi, est-ce que cela a un sens ? Est-ce qu’écrire mon expérience est légitime ? Ai-je le droit de la partager ? Pour qui ? Pourquoi ?

Il n’y a pas de plus obscures moissons que celles qui s’ouvrent à la racine. Et si l’aube éclot sur tes paupières, faut-il pour autant te réveiller ? Faut-il lever le rideau de fer et jeter l’œil en coulisse ? Existe t-il de plus sinueux déversements que ta bouche en placarde les retraits ? As-tu peur du voile ? Du morceau d’ombre qui soupire sous ton voile ? As-tu peur des aspérités profondes qui s’immergent et s’immolent, là où… Là où il n’y a pas lieu d’être.

Parfois je me souviens et je sens mon cœur pris dans l’étau. Les lieux gardent les marques intimes et muettes. Les visages sont toujours souriants dans mes souvenirs et les yeux saillants percent d’éclats multiples les résistances adverses. L’étincelle semble inépuisable, il n’y a pas de place pour le mensonge. La vérité mise à nue est si simple. Reste le meilleur !

Même si les douleurs sont là, il y a une sorte de verticalité, transcendance inexpliquée et un sentiment très rassurant de plénitude. Le lien n’est pas coupé, le dialogue continue sa chevauchée. Au-delà on entend les bruissements du bal, la tiédeur d’une fête abreuve le jaillissement des couleurs. Là-bas, l’air est subtil, il délie les âmes souples et légères presque félines emportées par l’absolu d’une musique sourde, intérieure, insoupçonnable. On ne peut que deviner et peut-être même que l’on ne devine que ce que l’on veut.

Les apparitions seraient elles l’évanescence de nos désirs ? Ne peuvent-elles se faire toutes seules comme des grandes ? Mais qu’importe, ce qui compte n’est finalement pas la vérité ni sa quête mais la possibilité de tout imaginer, pour survivre. L’univers est tellement grand qu’il nous échappe et par peur de finir par nous échapper nous même de nous même, nous nous inventons et réinventons, nous ancrons ensuite nos croyances dans nos coeurs histoire de les mettre à l’abri. Tant mieux si cela nous maintient droit. Un homme droit ce n’est pas rien. Il a fallu son temps à notre espèce pour pouvoir enfin pointer sereinement son nez vers les étoiles sans plier les épaules. Alors, ne fermons pas les yeux.

Le Temps encore une fois achève son travail et les traces s’effilochent, ce qui a disparu semble n’avoir jamais existé, comme un rêve. C’est un peu comme lorsqu’on regarde sa vie, le passé est dans notre mémoire friable et ce qui nous reste semble avoir été repeint, comme factice, c’est une marionnette en bois dont les fils ont été coupés et dont la peinture écaillée tombe en plaques pour finir en poussière, c’est un étrange film monté en carton-pâte et qui défile des scènes en moins. Sous ce regard, notre vie semble être comme un simple dessin animé. Notre enfance n’existe qu’à travers nos souvenirs. Ce qui fût ne sera plus. De nouveau nous sommes confrontés à la relativité de tout ce qui est, de notre existence même.

Le plus étrange, c’est que cela me parait rassurant à présent alors qu’auparavant cela été terriblement angoissant pour la simple et bonne raison que cela signifiait pour moi que rien n’avait de sens, que rien ne pouvait s’inscrire réellement et éternellement dans ce monde encore moins de façon absolument véridique. Car il est évident qu’il n’y a pas de vérité absolue. Savoir que ce que nous sommes, ce que nous vivons s’écoulera avec nous à l’heure du grand départ, que nous qui sommes souvent un grand mystère pour nous-mêmes resteront notre secret intime jusqu’à notre dernier jour tant il est vrai qu’il existe des choses indescriptibles, qu’il manque des mots pour dire, que les expériences sont intransmissibles.

Il est essentiel alors de comprendre qu’il est vain de courir après l’immortalité, qu’elle est un mythe fantasmé, une sorte de sphinx. Laisser s’échapper la pression, ralentir sa fuite en avant, se poser au bord de quelque chose, ne s’attacher durant quelques secondes qu'à s’écouter respirer. S’inscrire dans sa propre vie.

Reprendre le fil du temps pour vivre à nouveau au présent, au jour le jour est  notre seul salut pour que les pièges se referment et que les démons s’immolent. Ce fil que l’on tient dans notre main, qui constitue notre seul secours dans ces obscures ténèbres. Ce fil qui nous fait et nous conduit trouve t-il vraiment l’issue ? Les Parques ont elles les doigts si longs qu’elles s’égarent entre les toiles ? N’ont elles jamais eu de visages, n’ont-elles jamais été mères ou femmes ? Sont-elles de chair, ne serait-ce qu’un tout petit peu ? Ont-elles des yeux ? La poitrine qui ondule? Pourquoi sont-elles trois ? Sont-elles habitées ? Ont-elles des rêves ? Mon Dieu oui, j’aimerais le croire, des rêves… d’affranchissement …une fois au moins ne pas obéir ! Ne pas couper le fil !

Il y a un peu de sang sur la neige.

Quelque part, c’est le silence abrupt.

Quelque part, on ose pas ouvrir les yeux.

Croire…

Croire pour ne pas devenir fou, c’est tout ce qu’il nous reste !

La cendre aime le vent qui la caresse, c’est bien connu.

L’être de lumière est redevenu poussière,

Flotte désormais loin des miracles, loin des cabanes, des cerises, des enfances perdues.

Les cailloux se sont dérobés sous ses pieds, sa tête a effleuré le vide, succombée aux perles de givre.

Flotte désormais loin, très loin des siens,

Là où il n’y a pas lieu d’être !

Entre vignes et vagues, entre rêve et réalité, entre rires et larmes.

La neige a disparue.

Et alors ?

Que reste t-il ?

Le ciel , la terre, les nuages pour soutenir les illusions, pour la douceur du site.

La mer en face offerte, offrande.

La mer qui a nourri nos yeux de petites têtes blondes.

Je reste seule à la contempler.

Ma tête à moi est pleine, pleine de sang, pleine de nous, pleine de vie.

A l’avenir, je devrais être pour 2, pour 3.

Mes yeux auront le devoir de savourer les jours naissants et la beauté tout autour :

Les voiles au large, les transparences de l’air, les perles de givre et les asperges sauvages,

Tout autour, toi, pour toi et avec toi.

Les oiseaux sont les compagnons de l’infortune, c’est bien connu.

Pour moi il y en a trois furtifs, aussi salvateurs que vagabonds.

 

 

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