CHAPITRE 11: LA PEUR
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CHAPITRE 11: LA PEUR
Durant l’année là-bas, je n’ai quasiment rien écrit, 2 pages tout au plus sur le gros cahier bleu qui était destiné à cela. Le journal est donc resté vide de moi, mais, éparpillés sur les pages, sont griffonnés tous les noms des enfants avec leur numéros de chambre correspondants ainsi que leurs âges et autres informations complémentaires. Il y a aussi une page pour chacun individuellement avec un récapitulatif de leurs réponses au questionnaire et, parmi tout cela, des dessins très précieux. Un cahier incongru, surréaliste, parsemé de pages repères où l’on trouve toutes sortes de mots : découpage, collage, anesthésie, personnage imaginaire, génial, dort, questionnaire, soin, chambre stérile, Titanic, peinture sur plâtre, Titeuf, 2 p’tits frères, journal intime, éclair au chocolat, crépuscule, hip hop, fatigué….
Le questionnaire servait à mieux connaître les enfants, connaître leurs goûts et leurs couleurs, leurs centres d’intérêt. Par exemple, ils devaient choisir dans une liste de mots leur mot préféré et expliquer pourquoi ils l’aimaient, de même avec des images avec lesquelles ils devaient écrire une histoire. C’étaient des jeux auquels ils aimaient bien se prêter. Je disais toujours aux enfants qu’ils étaient totalement libres de répondre ou pas, qu’ils avaient le choix.
Parmi toutes ces questions, il y en avait une qui n’était pas anodine et que j’ai choisi de ne pas censurer. Elle est venue tout naturellement sans arrière-pensée car c’est une question classique pour un enfant. Je rajouterai qu’il ne faut jamais s’imaginer que l’on peut épargner un enfant en l’empêchant de s’exprimer. Ce questionnaire que je leur remettais était suivi de mes propres réponses, leur permettant ainsi de mieux me connaître avant ma prochaine venue. Une façon de se dévoiler au travers de l’écriture.
La question en question était : « De quoi as-tu le plus peur ? »
Je suppose que vous devez penser que cette question était déplacée dans un tel endroit, je ne le pense pas. Ou bien, vous dites-vous que la réponse était évidente. Pas si sûr. Vous seriez surpris par la multiplicité des réponses. Elles sont chacune un éclairage sur la diversité humaine et toutes sont magnifiques et touchantes.
« Peur d’être ridicule quand je parle et des requins dans la mer »
« Peur de ce qui se passe en ce moment »
« Peur des « lyons » et les requins dans la mer »
« Peur qu’on me fasse peur en sortant du noir »
« Peur de rien »
« Peur de la mort »
« Peur des meurtriers, des voleurs, et de tout ce monde là »
« Peur des histoires de fantômes »
« Aujourd’hui j’ai peur de l’eau et des orques qui sont dedans »
« Peur du noir »
« Peur d’être nulle »
« Il faudra que je me pose la question »
Imaginez ce que j’ai pu ressentir en les relisant un an plus tard ces quelques phrases au détour du gros cahier bleu. Chaque phrase a un visage. Chaque phrase a un parcours de vie. Chaque phrase sa propre voix.
Toutes les considérations pseudo philosophiques qui jonchent ce livre, je le sais, n’apprennent rien à personne. Rien de neuf, je ne fais que décrire le cheminement intérieur que ces enfants m’ont amenés à faire.
Ainsi j’ai appris à me recentrer sur les véritables fondements de mon existence. Cela a l’air si simple. Bien sûr, cela ne l’est pas.