09.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IV - 2
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09.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IV - 2
Ygrem réserva un accueil extraordinaire à son ami Santem, lorsque celui-ci débarqua. Ce fut la fête, trois jours et trois nuits durant, au pays des Nassugs. Santem y partagea avec Ygrem des plaisirs auxquels il n’avait jamais goûté auparavant. Le quatrième jour, Ygrem et Santem se reposèrent et, le cinquième jour, ils engagèrent les conversations sérieuses. Chacun était intéressé à comprendre l’organisation politique de la contrée de l’autre. Le pays des Nassugs est une royauté, mais cette royauté n’est pas héréditaire. Le roi doit être élu par les conseils des villages, eux-mêmes formés par les chefs de famille, eux-mêmes désignés par les conseils des familles. Cette organisation est d’ailleurs proche de celle de Mérode, à ceci près que l’archipel n’a jamais connu la royauté : clans et villages s’organisent en toute autonomie, et c’est aussi en parfaite indépendance qu’ils forment ou non, à leur gré, alliance avec d’autres familles ou villages. L’organisation est entièrement réticulaire, non hiérarchique. Cette différence entre le système politique de Mérode et celui des Terres bleues s’explique sans doute par le fait que les peuples Nassugs vivaient depuis bien longtemps sous la menace des Aspalans, tandis que les gens de Mérode se sentaient jusqu’à peu, dans leur archipel, largement à l’abri d’invasions massives et subites. En revanche, les Nassugs avaient toujours ressenti le besoin d’un roi afin de coordonner les opérations en temps de guerre. Ygrem avait ainsi, à trois reprises, permis aux Nassugs de repousser les Aspalans à l’intérieur des Terres noires. C’est pourquoi son peuple lui avait pardonné la défaite récente après l’invasion surprise. Cependant, Ygrem ne se faisait pas d’illusion : il savait que deux défaites successives ne passeraient pas. C’est aussi une raison pour laquelle il tenait à développer les meilleures relations avec celui qu’il regardait comme le représentant de Mérode : Santem qu’il reçut sincèrement en ami cher.
Il faut dire qu’Ygrem et Santem étaient rapprochés par le mariage entre Almira, l’une des filles de Santem, et Ols, le fils unique d’Ygrem. Santem avait d’ailleurs profité de ce court séjour en Terres bleues pour aller rendre visite au jeune couple. Il comptait sur ses enfants pour nouer et conforter ce genre de liens avec les étrangers, y compris avec les Aspalans eux-mêmes. Ce fut un beau moment. Santem fit mieux connaissance avec son beau-fils. Il le traita avec affection et respect, s’informa sans être indiscret de l’existence qu’ils menaient ensemble, de leurs activités sociales, de leurs relations. Puis il en vint à évoquer l’avenir des Terres bleues ainsi que les rapports des Nassugs avec les gens de Mérode, rapports généralement excellents, mais également ceux, plus préoccupants, qu’ils entretenaient avec les Aspalans. Enfin, il aborda le sujet qui lui tenait à cœur, et s’adressa au jeune couple, comme si Almira et Ols étaient les futurs responsables des Nassugs :
— J’ai appris à connaître les Nassugs et à reconnaître leurs qualités. Ils sont intelligents, industrieux, durs à la tâche, capables de vastes desseins et dignes de confiance. Ils possèdent les vertus d’un grand peuple. Je vois en eux une civilisation d’avenir. Leurs potentialités méritent d’être pleinement réalisées. Vous deux pouvez tenir à cet égard un rôle d’éveil et d’impulsion. Davantage encore, si vous encouragez de toutes vos forces le développement des métiers du métal. Ygrem y sera favorable et vous aidera dans cette tâche. N’hésitez pas à l’inciter à agir lui-même dans ce sens en lançant des chantiers dans l’intérêt de ses peuples et pour la prospérité générale. Cependant, la richesse matérielle n’est rien sans l’esprit. C’est l’esprit qui recèle l’énergie dont une civilisation a besoin. L’artisanat et l’industrie doivent être tirés en avant par les sciences et, parmi les sciences, celles qui visent d’abord à comprendre l’univers. Tu sais, Almira, combien, au pays de Mérode, les écoles et la grande Académie ont pu être importantes pour notre essor dans tous les domaines. C’est là le secret de la prospérité et de la puissance.
Almira, qui connait bien son père, comprit qu’à elle et son époux incombait un programme politique tout à la fois économique, social et culturel. Les indications de Santem n’avaient pas été données sur le ton de directives : seulement des conseils émanant d’un homme d’expérience qui ne souhaite que le bien général. Elle se promit de traduire cette exhortation en pratique : créer des écoles, les coiffer d’instituts supérieurs sans craindre les orientations spéculatives, relier entre eux ces instituts au sein d’universités chargées de réaliser l’unité du savoir ; passer des commandes d’État à la société, favoriser le développement des métiers du métal et développer les contrats d’achat de cuivre et d’argent avec les Aspalans.
Almira avait bien compris le message, et Santem le savait. Voici ce qu’il déclara tout d’abord en substance à Ygrem :
— J’ai apporté avec moi deux cubes d’argent massif ainsi que des pièces d’argent et des pièces de cuivre : six pièces d’argent et cent-vingt pièces de cuivre. Les voici.
Et Santem ouvrit un coffre dont il sortit les deux cubes ainsi que les pièces. Il exposa le tout sur une table basse, sous les yeux d’Ygrem qui cherchait à comprendre. Santem lui en donna la signification :
— Un cube d’argent ou Méryg égale un Nurâm, billet bleu à une seule estampille, égale douze mesures de blé dur. Quant aux pièces métalliques, elles devraient servir à payer vos achats aux fournisseurs, d’où qu’ils viennent, y compris à moi-même. En voici les modèles : six pièces d’argent, ou encore, cent-vingt pièces de cuivre pour douze mesures de blé dur.
Sans donner à Ygrem le temps de poser des questions, Santem continua l’explication :
— Mon cher Ygrem, les Aspalans ne devront surtout pas savoir que ces pièces viennent de Mérode. Ils ne doivent pas savoir que je les ai conçues dans l’intention qu’elles servent de monnaie, tout comme les billets bleus. Je te suggère de leur passer maintenant et d’un coup une énorme commande de cuivre et d’argent. Autant qu’il est possible. Ne te soucie pas du paiement. Je tiens à ta disposition tout le blé dur dont tu auras besoin pour les tractations avec les Aspalans. Tâche cependant d’obtenir l’argent et le cuivre au meilleur troc. Je t’ai apporté ces pièces, afin que tu en fasses confectionner à l’identique en très grand nombre, même taille, même poids, même forme, même frappe. C’est seulement une fois que cette transformation aura été effectuée, que ces pièces pourront être distribuées aux populations, tandis qu’on expliquera à tous contre quelle quantité de blé ils peuvent les échanger. Tu présenteras cela, si tu veux bien, comme ta propre invention. Les Aspalans manquent de blé. Ils n’en cultivent pas eux-mêmes et doivent passer par mes concurrents pour s’en procurer. Ils n’auront pas de réticence, au contraire, à accepter ces pièces en paiement. Mais encore une fois, Ygrem, il est important que le plan reste secret, que rien ne soit dévoilé avant que les pièces métalliques aient été mises en service.
Ainsi fut fait. Ygrem ne demandait pas mieux que d’aller dans le sens souhaité par Santem. Les Nassugs allaient développer les échanges avec les Aspalans. Ils utiliseraient leur métal pour fabriquer des pièces conformément aux standards voulus par Santem. Ensuite de quoi ils feraient valoir que ces pièces sont d’autant plus recevables qu’elles seules permettent d’acquérir le blé dur, détenu par Santem. Ygrem ne voyait pas comment les Aspalans, finalement, ne donneraient pas la préférence aux pièces des Nassugs sur celles des commerçants de Mérode.
De son côté, Santem voyait dans le développement des échanges entre Nassugs et Aspalans l’occasion de contrecarrer la concurrence venue de Mérode. Il se réjouissait d’avoir obtenu du roi un partenariat dans lequel il pourrait espérer détenir durablement la clé de la création monétaire.
L’entrevue et le séjour se conclurent par un délicieux dîner avec Ygrem, Ols et Almira, ainsi que des amis de son hôte. L’atmosphère était douce, bienveillante, harmonieuse, et Santem en retira un souvenir ébloui. Il retourna chez lui, épanoui et serein.
Quant à Ygrem, il mit sans attendre le plan à exécution. Il entra en contact avec les chefs Aspalans des différentes régions des Terres noires, mais principalement là où il sait exister soit du cuivre soit de l’argent. Jusqu’alors les Nassugs ne pratiquaient guère avec les Aspalans que le troc. Par loyauté à l’endroit de Santem ils évitaient en effet d’utiliser les pièces frappées à l’effigie de ses concurrents. Ainsi Ygrem proposa-t-il la viande de cerf, les peaux de daim, le poisson, le bois, qui constituent les principales denrées locales des Terres bleues ; à quoi il ajouta l’huile, le miel, le vin, les étoffes, les outils et objets d’artisanat divers, principalement importés de Mérode. Enfin, se rappelant l’exhortation de Santem, il n’hésita pas à s’engager sur d’importantes livraisons de blé dur. À vrai dire, c’est cet engagement qui fut décisif, car il détermina l’essentiel de la livraison de métal, cuivre et argent.
Par le truchement d’Oramûn, son fils, d’Almira, sa fille, et de son gendre, Ols, Santem avait assuré une présence active des forgerons des Terres volcaniques en Terres bleues où se développait une industrie du métal sur la base d’un artisanat riche et diversifié, comprenant, outre les forgerons, des chaudronniers, charrons, ferrants, couteliers, armuriers, orfèvres… Les pièces de cuivre et d’argent furent fabriquées en grand nombre. Les modèles remis par Santem étaient parfaitement respectés. Entre temps, celui-ci avait entrepris de reconstituer ses stocks de blé dur, si bien qu’Ygrem put sans inquiétude garantir la contrepartie des pièces métalliques qu’il distribuait en paiement de ses commandes, tout en recommandant à ses fournisseurs de faire de même. Il mit en outre à profit les contacts pris précédemment avec des chefs Aspalans pour les persuader d’accepter ses pièces en paiement. Bien sûr, l’argument principal fut qu’avec ces pièces on pouvait directement acquérir le blé des réserves, sans donc passer par des intermédiaires, lesquels n’étaient d’ailleurs eux-mêmes pas en mesure d’assurer des approvisionnements réguliers. À cela Ygrem ajouta un second argument :
— Sachez que, désormais, nos denrées afficheront un prix. Ce prix sera exprimé dans notre monnaie. En principe, ce sont mes pièces métalliques que nous accepterons en paiement. Ce sera la règle pour commercer sur nos terres. Quant au commerce par mer, vous savez qu’il se règle généralement en billets de Mérode. Eh bien, à présent, mes pièces d’argent auront également cours, et Santem lui-même les acceptera en paiement.
Ygrem avait obtenu des Aspalans de très grandes quantités de cuivre et d’argent au meilleur troc. Il détenait à présent d’importantes réserves en monnaie métallique et il savait qu’il pourrait compter sur Santem pour lui assurer le change en blé dur sans en modifier le taux.
Cette monnaie se diffusait maintenant sur tout l’espace des échanges entre Aspalans, Nassugs et gens de Mérode, et donc sur l’archipel et les deux parties connues des Terres continentales, si bien que les concurrents de Santem n’avaient plus d’autre choix que de s’y soumettre, c’est-à-dire de renoncer à frapper leur propre monnaie. Ou alors il leur fallait confectionner des pièces en qualité, matière, taille et poids identiques aux Sols et aux Mirals, bien que frappées à leur propre marque. C’est ce à quoi certains d’entre eux s’essayèrent, surtout, d’ailleurs, par orgueil, car il n’y allait pas de leur intérêt matériel. Ils durent en effet se procurer le cuivre et l’argent à des prix que la demande de la Couronne avait portés à un niveau beaucoup plus élevé que le cours officiel de la monnaie exprimée en mesures de blé suivant le taux établi par Santem. Les commandes massives, initialement passées par Ygrem aux Aspalans, avaient nécessité de leur part de grands investissements afin de creuser des puits et d’ouvrir de nouvelles mines, de perfectionner l’outillage. Tout cela contribuait à augmenter les prix à court terme du métal. Aussi utilisa-t-on préférentiellement le billet bleu, ou Nurâm, tandis que l’on conserva les pièces d’argent, ou Mirals, par devers soi. Quant aux concurrents de Santem, en mettant de nouvelles pièces en circulation, ils subirent des pertes conséquentes, du fait que le pouvoir d’achat proprement monétaire de ces pièces, tel qu’il avait été fixé et accepté, était devenu bien inférieur à leur prix de revient. C’est pourquoi ils n’ont pas réitéré l’expérience, n’ayant plus qu’à s’incliner devant son monopole monétaire.