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08.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IV - La première bataille de la monnaie

08.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IV - La première bataille de la monnaie

Veröffentlicht am 8, März, 2023 Aktualisiert am 8, März, 2023 Kultur
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08.La Légende de Nil - Jean-Marc Ferry - Livre I - Les Diamants de Sarel-Jad - Chapitre IV - La première bataille de la monnaie

 

Santem avait des concurrents en pays de Mérode, sans que ceux-ci puissent toutefois se considérer exactement comme ses rivaux. Ils n’avaient pas sa notoriété, ne pouvaient se comparer à lui sur le terrain du prestige, du pouvoir social et même de la richesse matérielle. Mais ils ne manquaient pas d’esprit d’entreprise et leur commerce avec les Aspalans connaissait une croissance exponentielle. Bien que Santem ait mis fin à son exclusivité commerciale avec les Nassugs, il restait de loin leur principal client. C’est lui qui, en effet, détenait toujours le blé : non seulement les stocks de grain, mais également les terres cultivables, tandis que les Nassugs avaient en réserve de grandes quantités de billets bleus, autrement dit, des droits de tirage sur les stocks de blé, la base de leur alimentation ; et ces « droits de tirage » étaient pour ainsi dire absolus : Santem s’était solennellement engagé à les honorer, quoi qu’il advienne, et les Nassugs avaient toute confiance en lui, tandis que tout autre client était parfaitement libre de refuser les billets en paiement.

C’est bien d’ailleurs ce qu’il se passait de plus en plus souvent. Ceux qui, parmi les gens de Mérode, entendaient créer leur empire économique au-delà de l’archipel, ne pouvaient compter faire beaucoup d’affaires avec les Nassugs, trop liés traditionnellement à Santem et attachés à sa monnaie. Quant aux Aspalans, ils voyaient dans cette monnaie la trace d’une défaite, leur rappelant le séjour forcé sur les Terres volcaniques. Leur principale richesse consistait dans des gisements de minerais, et les concurrents de Santem furent plus prompts que ce dernier à y investir. Les Aspalans leur fournissaient le fer, l’étain, le cuivre et l’argent. Des entrepreneurs des Terres basses de Mérode avaient institué des navettes régulières entre les Terres noires des Aspalans et les Terres volcaniques des forgerons de Mérode. Ces derniers faisaient merveille avec les métaux : armes, outils, objets d’usage multiples, mais également… des pièces de cuivre et des pièces d’argent, que certains gros commerçants faisaient frapper à leur effigie. Cependant, ces pièces supposées « de monnaie » n’étaient pas de monnaie véritable. D’abord, elles n’étaient acceptées que dans les limites de partenariats déterminés. Ainsi, chaque gros commerçant avait son propre fief monétaire, défini par sa zone de clientèle et borné par celle de ses concurrents. Ensuite et surtout, le prix de marché de ces pièces métalliques, s’il se déterminait dans le rapport entre une offre et une demande, n’était toutefois pas indépendant d’une valeur conditionnée par des caractéristiques matérielles : de rareté de la matière première ; de difficulté d’extraction du minerai ; de quantité de travail requise pour tout le processus ultérieur de transformation, jusqu’à la confection des pièces. La valeur de celles-ci ne pouvait être définie au départ comme on crée une règle de jeu par quoi, simplement, on dit que ceci vaut cela. Le prix que l’on accordait aux pièces métalliques ne reposait pas encore sur une convention fondée dans une relation de confiance, mais sur sa valeur de marchandise.

C’est là une différence qui plongea Santem dans un nouvel abîme de réflexion. S’il voulait sauver sa propre monnaie, clé du pouvoir économique, il n’avait d’autre choix que d’en faire la monnaie. Pour cela il devait empêcher que les pièces métalliques frappées par ses concurrents en viennent à circuler sur des bases fiduciaires, rendues par conséquent indépendantes de leur qualité spécifique de marchandise. Il fallait prévenir en ce qui les concerne cette abstraction que réalise le passage d’une marchandise particulière au statut de moyen de paiement universel.

Santem avait su faire reconnaître ses qualités de stratège militaire et de négociateur politique. À présent, le nouveau défi de la monnaie allait lui offrir l’occasion de révéler son génie économique.

 

 

De moi, Nil, de ma mémoire qui éveille et qu’abondent tous les esprits de la planète, apprenez que Santem tint conférence avec ses fils et ses conseillers. Il leur demanda d’établir, chacun de leur côté et sans se communiquer les résultats de leur étude, une échelle des valeurs pour le métal suivant un poids déterminé, en ne retenant que le cuivre et l’argent. Il leur fallait définir ce poids de telle sorte que l’on puisse, au cours actuel, acquérir une quantité X de blé dur, par exemple, douze mesures, suivant qu’il s’agit de cuivre ou d’argent.

On se réunit encore trois fois : d’abord, une fois pour confronter les résultats jusqu’à ce que les fils de Santem et ses conseillers se fussent accordés sur la définition d’une valeur d’argent en blé dur ainsi que sur le rapport de valeur entre l’argent et le cuivre ; une fois, ensuite, pour présenter à Santem un cube parfait en argent massif ; ce que fit en ces termes l’un des conseillers :

— Voici l’étalon qui représente l’unité de compte. Il possède le poids exact d’argent massif que nous avions estimé pour mesurer la valeur de douze mesures de blé dur. Il correspond par conséquent à un billet bleu d’une seule estampille.

Santem demanda alors à ses fils et ses conseillers de faire réaliser dans le plus grand secret sept autres cubes d’argent identiques à celui-ci, et de fabriquer également des pièces d’argent dont le poids serait six fois inférieur à celui de l’étalon ; et puisqu’il fallait vingt fois en cuivre le poids du bloc d’argent pour obtenir en échange douze mesures de blé dur, il commanda en outre cent-vingt pièces de cuivre, de même poids que les pièces d’argent.

Cela fut fait dans le mois. Santem s’en trouva satisfait :

— On nommera Méryg l’étalon d’argent, Nurâm le billet bleu d’une seule estampille, Sol la pièce de cuivre et Miral la pièce d’argent. Cent-vingt Sols ou six Mirals pour un Méryg, ou plutôt pour un Nurâm, car le Méryg n’est pas moyen de paiement mais étalon et unité de compte. Ces valeurs doivent pour le moment rester strictement entre nous. J’irai en faire la proposition au roi des Nassugs. Dès que j’aurai les pièces, j’embarquerai pour les Terres bleues.

 

 

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