Lonnie est le patron du Saxo Lumineux. Il dirige le club avec sa femme, Candice. Le Saxo est une discothèque pour les amateurs de Jazz, qui ouvre ses portes à 22h. Lonnie passe régulièrement au Holly avant l’ouverture, et nous discutons, autour d’un verre, de tout un tas de choses : de l’évolution de Fallentown, de musique, des femmes, de sa femme quand elle ne l’accompagne pas, et, évidemment, du Loop. C’est le truc avec les secrets, moins on en sait, plus on en parle.

Lonnie est un homme de 50 balais au crâne dégarni, pas très grand, bien en chair, à la barbe hirsute et grisonnante. Il porte des lunettes de soleil à toute heure et des chemises à fleurs. C’est un excentrique qui cause fort, rit de ses propres blagues, et parle si vite qu’il est presque impossible de le suivre une fois lancé. Mais c’est le genre de type qu’on ne peut qu’aimer.

Candice, sa femme, bien plus jeune, sans trop en dévoiler, par galanterie, est plus réservée. C’est une dame élégante, discrète, mais qui sait se montrer exigeante et autoritaire lorsque cela s’avère nécessaire. Elle gère la paperasse, les finances et maintient comme elle peut le Saxo hors de l’eau. L’enseigne du flamant rose musicien éclaire les docks depuis une bonne quinzaine d’années. Mais le temps a fini par déplumer l’oiseau mélomane, et la discothèque, aujourd’hui, peine à se remplir.

“C’est à cause de ce foutu rock’n’roll sorti tout droit de l’esprit tordu de je ne sais quel sniffeur de Typhoon ! Ces mecs sous acide inventent tellement de conneries pendant qu’ils planent dans leur monde psyché plein de paillettes et de nuages bariolés. Le rock ! Les jeunes n’écoutent plus que ça ! Le jazz ne plaît plus qu’aux vieux comme nous, et nous sommes les seuls encore debout à cette heure !

— Dans ce cas, Lonnie, pourquoi ne pas ouvrir plus tôt ?

— J’en sais rien, Hopper, je n’ai pas très envie de devenir une guinguette pour Obsolètes sur liste d’attente. Les temps ont changé. La mode évolue, soit on suit le mouvement, soit on reste immobile en attendant d’être acheté par le Loop pour servir de cobayes. Le truc c’est que, tu me connais, je suis trop têtu pour accepter de suivre les foules. Je sais qu’en jouant le jeu, le Saxo serait vu autrement, que les gens se déplaceraient en masse pour y jeter un œil, qu’ils nous aimeraient, nous suivraient, nous soutiendraient et que notre nom rayonnerait comme jamais. Mais je refuse d’oublier qui je suis et ce qu’est le Saxo pour un semblant de gloire. Je ne suis pas le genre à baisser mon froc et me laisser coloniser sans rien dire ! Le rock, ou je ne sais quelle autre couillonade à la mode, n’aura jamais mon club ! Et tant pis si je dois mettre la clé sous la porte par manque de fréquentation. Les néons de mon enseigne resteront allumés jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne pour les voir. Après ça, eh bien, je n’aurais plus qu’à écouter du jazz seul chez moi, ou avec maman, en regardant le soleil éteindre le monde et les lumières éclairer celles et ceux qui finiront par en manquer.”