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Bobre, roulèr et kayamb : les instruments du maloya

Bobre, roulèr et kayamb : les instruments du maloya

Pubblicato 17 feb 2022 Aggiornato 17 feb 2022 Musica
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Bobre, roulèr et kayamb : les instruments du maloya

Le temps des métamorphoses (19)

 

 

Confondre le son et celui qui le fait

L'histoire des instruments des musiques du monde et un vaste champ d'exploration fascinant, aussi étrange et varié que celui des musiques du monde elles-mêmes. Ceux-ci sont d'ailleurs très souvent l'identité de celle-là. Une simple sonorité peut définir un genre musical et servir à en déterminer très précisément l'origine. Bien sûr on retrouve les grandes familles : les vents, les percussions et les cordes mais avec des variations infinies de matériaux et d'assemblage. Un bidon d'huile en métal peut ainsi servir de caisse de résonance à une sorte de ukulélé rudimentaire, par exemple. Toutefois les idiophones occupent une place prépondérante. Les idiophones sont des instruments qui produisent du son par eux-mêmes, dans leur simple matière, sans amplification ni résonance. Ils sont de la famille des percussions mais dans leur forme la plus élémentaire. Ce sont des objets sur lesquels on tape. Aussi, le son change du tout au tout selon que l'instrument est fabriqué en bambou, en fer, en verre ou en bois, vide ou rempli de pois secs, creux ou plein : castagnettes, maracas, balafon, xylophone, triangle ou, pour la part qui nous concerne, kayamb. Les idiophones nous prouvent bien souvent que la musique est produite avec les moyens du bord : le musicien attrape la première chose que lui passe sous la main pour faire jaillir hors de lui la musique. C'est comme un cri primal, l'expression de la liberté ultime et première. Le son est produit gratuitement, dans son essence, pour soi. D'ailleurs la racine grecque « idios » signifie « soi-même », ou « propre », et « phonè » le son.

Il suffit d'ouvrir un des très nombreux livres parus sur le sujet pour voir surgir des noms étranges : cithare kayagum, sistre, vièle erhu, quena, cuillères, lyre tânbura, racleur, trompe, tambour bora, bouzouki, saron. Même la cuillère se pare d'une aura étrange et presque magique. Soudain le quotidien se charge de mystère.

 

Roulèr

Le maloya, comme tous les autres courants de musique du monde, se joue sur des instruments qui lui sont propres, au premier rang desquels vient le tambour roulèr, ou rouleur. Cet instrument est né avec le maloya au 18ème siècle. Il a été conçu par les esclaves africains à partir des tonneaux transportés dans les cales des mêmes navires qu'eux. C'est de là qu'il tient son nom d'ailleurs, de ces tonneaux que l'on poussait pour les faire rouler. Mais le maloya est aussi par analogie une danse qui se pratique en roulant les hanches. Tout roule alors ici : le tambour, le tonneau, le bateau, les danseurs, jusqu'à la musique elle-même. On dit qu'on roule le maloya.

Il existe bien des tambours roulèr taillés dans des troncs d'arbres évidés, mais la forme la plus courante reste celle du tonneau coupé aux deux extrémités et couvert d'un côté d'une peau de bœuf ou de cabri. Le percussionniste est assis à cheval sur son tambour de soixante-dix centimètres de long et cinquante centimètres de diamètre couché à même le sol, ce qui lui permet d'en modifier le timbre à l'aide de son pied en modulant les vibrations de la peau tendue. Le roulèr est véritablement le cœur du maloya, celui qui donne la cadence et fait pulser le sang.

 

Kayamb

L'autre instrument représentatif du maloya est le kayamb. Il est plus ancien que le roulèr dans sa conception et vient de l'Afrique de l'Est. Ce sont les esclaves arrachés à leur terre d'origine, de la Somalie à l'Afrique du Sud, et déportés dans les petites plantations de La Réunion qui l'ont emmené avec eux. Ou tout du moins ils en ont emmené l'idée, la réalisation formelle ayant été modifiée par des contraintes matérielles. Ainsi, s'il est africain dans sa conception et son origine géographique, le kayamb est réunionnais dans sa fabrication, puisque construit avec les matériaux présents sur place : hampe de canne à sucre et graines de cascavelle.

Le kayamb est un genre de hochet géant constitué d'un grand cadre en bois dans lequel sont montées côte à côte des tiges de canne à sucre sur deux rangées parallèles, entre lesquelles on a glissé des graines séchées. En bougeant l'instrument à l'horizontale, on produit un son qui rappelle celui des vagues. Il doit pour cela être fermement tenu à deux mains et secoué énergiquement. Le kayamb primitif n'avait même pas de cadre, les tiges étaient simplement maintenues par des lanières de cuir ou de la corde.

Le roulèr et le kayamb constituent l'âme du maloya, sa sonorité propre. Durant la longue période d'interdiction de le jouer, seuls ces deux instruments étaient prohibés, les autres étaient simplement mal vus.

 

Bobre

Le bobre, ou bob, est un instrument très particulier, c'est un arc musical, proche du berimbau brésilien. Tous deux ont probablement la même origine géographique : l'Afrique de l'Est encore une fois. Il est constitué d'un arc en bambou auquel est attachée une corde, posé contre une calebasse vide qui sert de caisse de résonance. Les vibrations s'en échappent par le bas et le musicien, qui tient l'ouverture de la calebasse contre lui, peut en maîtriser le volume. Il frappe la corde de l'arc avec une petite baguette, le batavék (bat avec), à laquelle est fixée une bourse contenant des graines. Il peut ainsi jouer sur deux niveaux à la fois : le rythme est donné par le cliquetis des graines dans le petit sac, qui rappelle le son des maracas, et la mélodie est produite par les vibrations de la corde, plus ou moins amplifiées, selon le degré d'ouverture choisi.

 

Pikèr

Le pikèr, ou bambou, est un instrument à percussion très rudimentaire : il s'agit simplement d'un cylindre en bambou posé à même le sol, parfois surélevé, sur lequel on frappe avec deux baguettes. Rien de plus facile à dissimuler en cas de descente de police.

 

Sati

Le sati l'est encore plus : il s'agit d'un simple bidon en fer blanc, qu'on appelle aussi quelquefois fèrblan, un seau de peinture retourné sur lequel on frappe avec des baguettes. De par sa « fabrication » même, on sait que c'est un instrument récent. Ce qui était vrai pour le pikèr l'est encore plus en ce qui concerne le sati : on imagine mal les policiers jeter en prison tous les réunionnais qui ont un vieux seau de peinture au fond de leur jardin, ce serait comme chercher le mouton à quatre pattes ou le trèfle à trois feuilles. Il y en a beaucoup trop, ça ne vaut pas la peine de se baisser.

Voilà donc pour l'ossature rythmique du maloya traditionnel : roulèr, kayamb, bobre et pikèr, auxquels viennent s'ajouter au fil du temps et des inventions de chacun d'autres instruments plus ou moins anecdotiques : triangle, takamba (sous l'impulsion du seul Alain Péters parce que, rappelons-le, en art une seule personne suffit à tout changer), guitare, basse, consoles, ordinateurs. Selon le son que l'on cherche à produire, on met l'accent sur un instrument en particulier. Ainsi, il n'y a pas de bobre ni d'ordinateurs chez Caméléon, mais de la basse et de la guitare électrique. Il n'empêche que l'esprit est respecté, même si le maloya que l'on entend aujourd'hui, plutôt chanson que musique folklorique, est très différent de celui qui était joué pendant les services kabaré. Il faut aller chercher du côté d'artistes comme Firmin Viry ou Granmoune Lélé pour entendre ce maloya ancestral, plus incantatoire dans sa forme. On peut aussi entendre un maloya digital, principalement composé à l'ordinateur aujourd'hui. C'est une bonne chose que toutes ces tendances puissent être représentées et cohabiter, c'est signe que la musique se porte bien. L'un n'empêche pas l'autre en somme, mais l'encourage, et il y a assez de place pour tout le monde.

 

Reprise du cours de l'histoire

À présent que ce point est éclairci, nous pouvons reprendre le cours de notre récit. Nous nous étions arrêtés à l'arrivée de Jean Albany au Royal. Le 45 tours La Rosée si feuille songe a été mis en boîte. Alain et Patricia se sont installées à Langevin, au bord de la rivière, et tout va bien. Patricia attend même un heureux événement.

Merci à Eric Ausseil pour sa participation et sa confiance.

 

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