Passe ton bac d'abord
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Passe ton bac d'abord
Le temps des métamorphoses (6)
Choisir c'est renoncer
En classe de seconde, Alain Péters abandonne le lycée, renonçant au confort des ambitions raisonnables qui relégueraient la musique au second plan. Ses parents s'inquiètent d'un tel choix, bien entendu, même si son père doit aussi secrètement être fier de le voir se lancer dans une voie que lui n'a pas osé prendre. On ne peut qu'éprouver de la tendresse pour Édouard le pondéré dans son rôle de garde-fou.
Le père se tient devant son fils et tente de le dissuader d'abandonner l'école tout en étant fier de cette décision dans le même temps. Il s'agace, mais admire cette détermination. Tempête, et finalement capitule :
« Passe ton bac d'abord !
-Pas question !
-Nous verrons bien.
-C'est tout vu
-Bon alors peut-être pas le bac, mais apprend au moins un métier, j'allais dire un vrai métier, comme s'il y en avait de faux... Ou suis une formation. »
Alain Peters refuse. Il tient tête à son père. C'est bien. Il faut tenir bon sur ses positions, garder la tête droite même si c'est difficile en face d'un père qui semble toujours savoir ce qui est le mieux. En plus, il connaît son affaire, il est lui-même musicien. Est-ce qu'on en vit ? Est-ce que cela suffit ? Est-ce qu'à seize ans on sait la vie qu'on veut mener ?
« Passe le concours d'entrée aux PTT au moins, tu seras fonctionnaire, ça te laissera du temps libre pour la musique »
-D'accord ».
Finalement, il laissera sa place. S'est-il seulement présenté au concours ?
Vivre de la musique ou rien
Alors c'est décidé, Alain Péters ne sera jamais bachelier. Il arrête le lycée. Il sera musicien. De toute façon ça ne coûte rien d'essayer. On avisera si ça foire. Mais je crois bien que déjà dans sa tête à ce moment-là, au tournant, face à son père, il n'en est pas question. Il n'y a pas d'autre option, pas de filet de sécurité. Ce sera vivre de la musique ou rien. Pas d'autre alternative. Il prend son élan et se jette dans le vide.
La légèreté
Prendre une telle décision est très facile tant cela coule de source. C'est même un soulagement. J'arrête tout pour me consacrer à la musique. Il ne faudra rien oublier plus tard de cette légèreté, quand viendront les moments de galère, car il y en aura, c'est sûr. Il faudra toujours s'accrocher à cet espoir fou, cette légèreté, pour supporter la pauvreté, les concerts à l'autre bout de l'île, brinquebalé dans un camion inconfortable, la promiscuité constante avec le groupe et les tensions qui en découlent, les salles pourries, le mauvais temps, les hôtels miteux ou pas d’hôtel du tout, le public parfois froid ou absent, les cachets misérables, les producteurs qui t'arnaquent, les distributeurs qui t'arnaquent, l'argent qui semble toujours gagner à la fin. Il n'y a pas que des paillettes et des fans, loin s'en faut, mais plutôt des années entières à tirer la vache maigre par la queue en essayant de rester droit, une vraie mission en somme, un sacerdoce.
Merci à Eric Ausseil pour la déco.