"Nous sommes de ceux qui ne sont pas passés de loin à côté"
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"Nous sommes de ceux qui ne sont pas passés de loin à côté"
Les Rescapés de Christophe Miossec, sorti le 28 septembre 2018.
Il s'agit du onzième album studio de Miossec qui, avec une régularité quasi métronomique, nous livre depuis 1995 un nouveau disque tous les deux ans. Cette régularité est à la fois rassurante et paradoxale chez un homme qu'on devine, au gré des messages qu'il laisse poindre dans ses chansons, sauvage et imprévisible.
Miossec reste pour moi l’un des derniers rescapés d'une lignée de chanteurs qui ne cesse de s'éteindre : Renaud, Thiéfaine, Higelin, Dominique A. Tous ceux-là se sont épuisés, ils ont raté une étape, sacrifié quelque chose, ou se sont éloignés de leurs fondamentaux en cours de route. Je les apprécie toujours, mais je m'en méfie. Miossec est le seul artiste dont je peux acheter les disques les yeux fermés. Dans ce monde de hits, de clics, c’est un artiste rare qui prend la peine de façonner un ensemble cohérent plutôt qu'une accumulation sans âme. Jusqu'à présent je n'ai jamais été déçu. Il y a bien eu quelques disques qui m'ont parus ratés sur le moment, mais je me suis rendu compte qu'à la longue il en restait toujours quelque chose. Certains albums sont ainsi : ils ne se donnent pas à la première écoute. Il faut les mériter. Insister.
Les Rescapés ont d'emblée emporté mon enthousiasme. J'y ai retrouvé un chanteur fidèle à lui-même, nageant toujours dans les mêmes eaux. Certains le lui reprocheront sans doute. Je ne suis pas de ceux-là. J'aime l'entendre décliner encore et encore les mêmes thèmes : les échecs, les grands sentiments, le retour au point de départ, tout casser. Ce sont non seulement les mêmes thèmes qu'il reprend d'un album à l'autre, mais aussi les mêmes rimes, parfois les mêmes phrases (« Je suis devenu ce que je ne voulais pas » revient souvent, par exemple). Ce que l'on pourrait considérer comme une faiblesse, un manque de créativité, fait pour moi la grande force de son discours : la répétition donne de l'épaisseur. C'est comme si chaque chanson s'inscrivait dans une longue suite et venait prendre sa place dans un ensemble plus vaste, une grande symphonie, une œuvre tout simplement.
Miossec s'échine à construire brique par brique une œuvre uniforme traversée par des forces souterraines. Le retour au point de départ qu'on avait entendu dans Au haut du mât :
« C'est vrai que de revenir sur la ligne de départ
Quand on a couru c'est fatiguant » ( À prendre, 2008)
devient :
« C'était pas écrit dans l'Évangile
Qu'il reviendrait sur ses pas »
dans La Ville blanche, vingt ans plus tard. L'amour était bête et méchant dans L'Étreinte (2006) :
« L'amour c'est plus lourd que l'air
Pas forcément nécessaire
Et parfois même ça rend idiot
On peut même y laisser sa peau » (L'Amour et l'air)
puis il était intégré aux grands sentiments dans Mamifères (2016)
« Il sait qu'il est désormais capable
De survivre aux grandes émotions » (Cascadeur)
qui deviennent dans ce nouvel album La Vie sentimentale :
« C'est la vie sentimentale
Celle qui rend idiot ».
on avance comme ça petit à petit, avec parfois quelques fulgurances :
« Je me suis fait tout seul
Et je me suis raté » (Je suis devenu).
Aussi, il ne ressort pas vraiment de tubes dans l'ensemble de son œuvre, même si quelques chansons se démarquent : Non, non, non, non (je ne suis plus saoul), Je m'en vais, La Facture d'électricité ou encore Brest, surtout grâce à la reprise de Nolwenn Leroy. Miossec raconte d'ailleurs avec un peu d'amusement que cette reprise lui a rapporté plus d'argent que l'ensemble de l'album (1964) dont la chanson est tirée.
Miossec, c'est aussi cette lucidité par rapport à l'argent et au succès. Pendant des années, il a été l'un des paroliers attitrés de Johnny, ce qui lui a permis de toujours bien gagner sa vie et de pouvoir faire en parallèle les albums qu'il voulait, sans pression aucune, peu importe la réussite commerciale, et de rester ainsi fidèle à lui-même et à ses démons.
Il a donc pu se renouveler musicalement à chaque album et explorer d'autres horizons, d'autres univers, au risque de dérouter les fans de la première heure. D'une formation rock très basique sur ses trois premiers disques (guitare, basse, batterie), il est passé à l'accompagnement par un orchestre philharmonique (1964), à la formule épurée (Finistériens, produit par le comparse breton Yann Tiersen), avant de revenir à un gros son rock plus ambitieux (Chansons ordinaires) pour finir par tenter une échappée tzigane (accordéon et violon sur le précédent album, Mamifères).
Avec Les Rescapés, il combine ce son rock qui lui tient tant à cœur à des instruments électroniques, produisant des sonorités plus complexes, élargissant encore le spectre. La manière est nouvelle, non la matière. Il nage peut-être encore dans le même océan au niveau des paroles mais musicalement, il a franchi un cap de plus.