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Malheureux, fragile, insatisfait

Malheureux, fragile, insatisfait

Pubblicato 6 set 2022 Aggiornato 6 set 2022 Musica
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Malheureux, fragile, insatisfait

 

Deuxième partie : Mélodie vagabonde (3)

 

Mélodie en sous-sol

Dans les notes de pochette de l'album Vavanguèr, Patricia Deveaux écrit que le groupe Carrousel a été dissous en 1981. En réalité ce n'est pas tout à fait exact. C'est à ce moment qu'Alain Péters s'est exclu du groupe pour de bon, ou l'a été plus probablement, mais ce n'est pas la fin de Carrousel, seulement un remaniement. Cela dit, on ne pourra jamais être sûr d'avoir le bon son de cloche. Carrousel poursuivra donc sur sa lancée sans son chanteur jusqu'à La Vie est un mystère en 1982. Mais l'aventure musicale va aussi continuer de façon plus souterraine et, paradoxalement, plus durable pour Alain Péters. C'est maintenant qu'il se retrouve seul et détaché de toute contrainte qu'il va composer l'essentiel de son œuvre et surtout la produire pour la première fois de la façon dont il l'entend.

Vu de l'extérieur ce n'est pas terrible. Il semble s'enfoncer en lui-même et fait le vide tout autour depuis que son père est mort. C'est comme s'il cherchait à se rendre détestable volontairement. Sa femme s'en va avec leur fille car il ne lui laisse pas le choix. Il se brouille avec presque tous ses amis musiciens. Il s'enlise, pris dans l'alcool comme le bâton dans la colle, comme le dit un proverbe créole. Heureusement pour lui, et heureusement pour nous, d'autres prennent le relais. Se sont désormais ses aînés, au premier rang desquels vient Alain Séraphine, qui veillent au grain et vont l'empêcher de se suicider à petit feu, un verre après l'autre.

 

A petit feu

Nous touchons à présent un point sensible qu'on ne peut pas en toute honnêteté passer sous silence mais qu'il ne faut pas non plus surévaluer. L'alcoolisme d'Alain Péters n'est qu'un symptôme. Il n'est pas un élément constitutif de sa personnalité. C'est difficile d'évoquer ce sujet compliqué sans manquer de délicatesse, sans être trop dur, mais c'est encore plus délicat de le passer sous silence. Cela tient au fait que notre sujet est très proche de nous dans le temps et qu'il n'est pas une figure légendaire déréalisée sur laquelle tout a déjà été dit. Certes il est célèbre, toutes proportions gardées bien entendu, mais il reste un homme avant d'être une icône. On ne peut pas tout se permettre. Alain Péters n'est ni Robert Johnson ni Marvin Gaye. Je ne prends pas ces exemples au hasard. Il partage avec ces deux légendes de la musique des caractéristiques communes. Sur lui comme sur Robert Johnson, les informations font cruellement défaut et le biographe doit se raccrocher aux quelques anecdotes colportées, répétées encore et encore et déformées au fil du temps pour tisser la légende, qui n'est que le pendant rêvé de l'histoire. Comme Marvin Gaye, il a connu une fin tragique et le père a quelque chose à voir dans tout ça. Dans l'histoire de Marvin Gaye, le père empoigne un revolver et tire à plusieurs reprises sur son fils. C'est terrible. Mais la scène a été tellement souvent réécrite qu'elle en perd presque sa réalité. La répétition, si elle n'oblitère pas le drame, l'atténue en tout cas. Marvin Gaye autant que n'importe qui d'autre mérite de la délicatesse, je ne dis pas le contraire, mais du fait de son statut d'icône, on peut se permettre de ne pas prendre de gants et d'aller au front sans détour.

 

Prendre des gants

Alain Péters a choisi d'écrire des chansons, de les signer de son nom, de les chanter en public, de les enregistrer et même de donner des interviews. Il est dès lors légitime de s'intéresser à lui de plus près, de s'approprier son destin et de le raconter. En ce qui me concerne, la démarche est positive. Toutefois, le fait de ne pas être une icône lui confère un statut particulier. Il est plus exposé, plus vulnérable. Il faut donc procéder avec beaucoup de minutie pour ne rien froisser et ne pas contrefaire. Il faut simplement faire avec le peu dont nous disposons : sa musique, quelques images et quelques témoignages spontanés. Mais cela a aussi des avantages certains car la place laissée à l'humain, à ses forces autant qu'à ses faiblesses, est considérable.

On ne peut décemment pas faire l'économie d'un tel épisode qui couvre une grande part de sa vie. Ce sont en tout plus de dix ans pendant lesquels l'alcool est un vrai problème pour Alain Péters, et aussi un danger qui finira par avoir sa peau. Cela touche aux failles les plus profondes d'un être malheureux, fragile, insatisfait qui aspirait à autre chose, qui se berçait de rêves trop grands pour lui, taillés pour un géant.

 

C'est toujours Eric Ausseil aux pinceaux, merci.

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