Je, tu, il, elle (Chantal Akerman, 1974)
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Je, tu, il, elle (Chantal Akerman, 1974)
"Je tu il elle" est le premier film de Chantal AKERMAN réalisé juste avant "Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce 1080, Bruxelles" (1975). Je le précise parce que les liens entre les deux films sautent aux yeux: les longs plans fixes, la solitude et l'enfermement dans un appartement, la routine des gestes filmés en temps réel, la centralité marginale à l'époque d'une femme dont on entend les pensées, dont on voit se matérialiser les désirs de façon radicale. Une radicalité qui se marie avec une mise en scène travaillée. "Je tu il elle" se décompose en trois parties bien distinctes. Dans la première ("je tu"), on voit une jeune femme (Chantal AKERMAN elle-même alors âgée de 24 ans) essayer d'écrire une lettre après une rupture amoureuse dans une pièce qu'elle dépouille de ses meubles avant de se mettre à nu. Une façon imagée de "faire le vide". L'aspect expérimental (que l'on retrouvera sur "Jeanne Dielman") passe notamment par un décalage entre l'image et la narration: soit elle annonce que que nous allons voir, soit c'est l'inverse ce qui m'a fait penser au court-métrage de Jean EUSTACHE, "Les Photos d'Alix" (1980) dans lequel image et commentaires finissaient par se désynchroniser. Elle travaille le temps de la même façon que dans "Jeanne Dielman" avec beaucoup de répétitions obsessionnelles qui fait ressentir que cette claustration dure plusieurs semaines. Dans la deuxième partie ("il") qui est une transition, Julie a renoncé à écrire au profit de l'action directe. Elle s'échappe de la cellule et le film se transforme alors en road-movie sous influence américaine avec l'apparition d'un Marlon BRANDO français: Niels ARESTRUP alors âgé de 25 ans! Il joue en effet le rôle d'un camionneur qui prend Julie en stop. Mais la relation s'avère être elle aussi pleine de vide quand elle n'est pas à sens unique: masturbation et confidences crues aussi gênantes que désespérantes à la fois sur la vie de couple et de famille. Enfin dans la troisième partie (elle"), Julie retrouve l'amie à qui elle essayait d'écrire au début du film et les deux femmes se livrent à une longue étreinte rageuse et intense de quinze minutes filmée comme une chorégraphie ou une installation. Cette scène d'homosexualité féminine avait valu au film une interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie et fait figure de manifeste pionnier, près de 40 ans avant "La Vie d'Adele - chapitre 1 et 2 -" (2013). Au final, "Je tu il elle" ressemble à la confession en images d'une jeune fille (Chantal AKERMAN) qui se heurte davantage à l'autre qu'elle n'entre en contact avec lui.