Emilia Perez (Jacques Audiard, 2024)
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Emilia Perez (Jacques Audiard, 2024)
Après le "je est un autre" de Arthur Rimbaud, le "Je suis deux" prononcé par Manitas del Monte en route pour devenir Emilia Perez est à l'image d'un film à cheval sur plusieurs genres, certains considérés comme virils (le thriller, le film de gangsters, le film de procès) et d'autres, plus féminins ou queer (le mélo, la comédie musicale). L'identité ibérique du film coule de source car situer l'intrigue principalement au Mexique avec des actrices hispanophones participe du brouillage des repères du film et permet de jouer sur le clivage entre deux formes de "culture" nationale opposées: l'univers des cartels de la drogue d'un côté et celui des telenovelas de l'autre. L'actrice trans Karla Sofia GASCON en provient et en la choisissant, Jacques AUDIARD a franchi un Rubicon qui n'avait pas été souvent foulé par les cinéastes ayant pignon sur rue. Combien de polémiques sur des personnages trans joués par des acteurs ou des actrices qui ne l'étaient pas, à l'image des blackfaces d'autrefois. A chaque époque ses tabous à transgresser dans les sociétés occidentales productrices de la culture mondialisée. Pedro ALMODOVAR enfant de la Movida avait montré le chemin. En réalité "Emilia Perez" n'est pas le seul film de Jacques AUDIARD traitant d'un personnage déchiré par deux identités contraires. "De battre mon coeur s'est arrete" (2005) en parlait également, sans caractère transgressif mais avec une polarisation tout aussi extrême: d'un côté la sensibilité artistique, de l'autre le gangstérisme, le yang étant perçue comme la voie rédemptrice du yin. Mais si Cannes a primé toutes les actrices du film, c'est sans doute parce que choisir entre Karla Sofia GASCON (qui crève l'écran tant en Manitas qu'en Emilia et s'avère d'une humanité qui fait passer toutes les pilules) et Zoe SALDANA était impossible (les deux autres actrices primées ont leur moment de gloire mais sont tout de même en retrait). Car celle-ci impressionne tout autant dans le rôle de l'avocate, notamment dans les numéros musicaux et dansés. L'introduction montre qu'elle n'a pas de place dans le film de procès classique où les hommes se répartissent tous les rôles. Manitas va lui offrir sur un plateau un chemin de traverse par où elle pourra non seulement s'épanouir dans l'exercice de sa profession mais également dans sa vie personnelle. On peut regretter quand même un final revenant labourer un chemin bien balisé au lieu de s'enfoncer en territoire inconnu. La scène dans laquelle Emilia qui s'est racheté une virginité en fondant une ONG pour les familles de victimes du narcotrafic voit renaître en elle les pulsions sanguinaires de Manitas (qui passe par la transformation de sa voix, brillante idée) quand son ancienne famille est sur le point de lui échapper aurait pu donner lieu à une conclusion moins facile. Quitte à suivre les pas du génial "Annette" (2019) (l'influence opératique est identique, une expérience de cinéma total), autant aller jusqu'au bout! Mais ce qu'a osé Jacques AUDIARD en cassant les codes à la manière d'un Thomas Jolly est déjà suffisamment audacieux pour mériter un grand coup de chapeau!