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Chapitre 11 : Entre ombre et lumière

Chapitre 11 : Entre ombre et lumière

Pubblicato 19 set 2024 Aggiornato 19 set 2024 Drama
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Chapitre 11 : Entre ombre et lumière

Dès lors, les tensions dans mon cou se sont, quelque peu, dénouées. J’avais le sentiment d’avoir pu m'alléger du fardeau que je portais, je l’avais confié. À la police certes, et une part de moi sait que l’affaire sera probablement classée, si toutes les preuves patiemment accumulées leur semblent trop minces, s'ils jugent que ce n’est pas vraiment grave, qu’il n’y a pas eu de crime ou de délit, que sais-je ? Mais je n’étais plus la seule dépositaire du fléau qui me collait à la peau, et d’une certaine manière, ça me soulageait. À ce moment-là, je ne craignais plus la suite. Je me sentais en paix, auréolée de cette harmonie fragile que l’on puise dans le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Du côté du “stalker”, c’est le calme plat, il semble presque m’avoir oubliée… Derrière les éclats de son masque d’enfoiré désormais brisé, William fait toujours grise mine. Je le vois sombrer, devenir presque translucide, éteint, comme s’il prenait à peine conscience de m’avoir définitivement perdue. Lorsqu’il vient chercher la petite pour le week-end, il paraît livide, spectral, fragilisé. Cet homme qui avait eu tellement d’emprise ne semble être, désormais, que douleur et colère grise, un cœur putréfié. Un samedi soir sur deux, c’est le même ballet : il sonne, monte, écoute, en dévisageant ses chaussures mes quelques mots de résumé de la semaine, prend le sac de la petite, une main dans la sienne, et ils partent, tous les deux, à quelques centaines de mètres d’ici, dans une rue voisine. Des yeux, je suis leur parcours par les fenêtres pour apercevoir ma fille le plus longtemps possible.  

Chaque fois, je suis saisie par la même image qui teinte mon cœur d’une aura lavande grisée : une petite fée tourbillonnante qui s’en va, sa jolie petite main dans celle d’un croquemitaine, tout de noir vêtu. Lorsque la porte se referme sur elle, l’atmosphère tourne au sombre, écrasée par le poids d’un silence intrus. Alors, je remplis l’espace de bruit, de musique, de chaleur, défiant l’ennui, tentant de rythmer mes minutes sans Fleur. Pendant des heures, en maman solo, je brique, je frotte, je nettoie, je change les draps, je fais les courses, et tout le tralala.  Mais il y a toujours un moment où la solitude me frappe, me fait le coup du lapin. Je tourne en rond, telle une lionne en cage, ressassant les images de Will dans un si mauvais film qu’on en espère, impatiemment, la fin. Je revois, en pensée, ses traits, à la fois durcis et paradoxalement presque effacés, ils hantent mes pensées. L’orage dans ses yeux, le désarroi dans sa démarche… Tout en moi le déteste viscéralement, mais malgré tout ce qu’il m’a fait subir, il restera à jamais le géniteur de mon enfant. Nous serons liés à la vie à la mort, d’une certaine manière. Je le vois s’enfoncer chaque jour un peu plus dans des abysses dont j’ignore la profondeur. Pourtant, je dois lui laisser Fleur… Parce que c’est la loi, parce que c’est son père, et parce que je ne veux pas lui retirer la chance de devenir, peut-être un jour, un super-papa. J’espère qu’il trouvera en son cœur suffisamment d’amour pour vouloir changer, pour s’amender, pour sa fille. Mais ma confiance en lui est enterrée, à jamais. Certaines phrases résonnent encore et résonneront sans doute pour l’éternité, m’étreignant d’angoisse. Elles me serrent la poitrine, m’empêchent de respirer. Elles m’étouffent, m’engloutissent comme si un poids invisible m’écrasait, me paralysait. Les questions tourbillonnent dans mon esprit, sans réponse, sans répit. Je me sens naufragée, engloutie par les vagues de cette angoisse glacée, incapable de reprendre mon souffle. Piégée dans un tourbillon d’incertitudes noir corbeau. 

Je m’effondre finalement sur le canapé, épuisée par cette agitation stérile. Le silence revient, plus dense que jamais. Je prends mon téléphone, hésitant à appeler quelqu’un, n’importe qui, pour combler ce vide. Mais je sais que personne ne pourra vraiment comprendre ce que je ressens, à cet instant. Impuissante, je me contente de regarder les photos de Fleur, l’innocence de son sourire me rappelant pourquoi je continue à me battre chaque jour et je serre fort son oreiller pour m’enivrer encore un peu de l’odeur de ses cheveux espérant ainsi dénouer le nœud qui continue de se serrer. 

Pourtant la sensation de vide persiste, s’instille insidieusement dans mes veines et ces murs, que j’aime pourtant tellement quand la petite fée y papillonne, me semblent subitement si cruellement déshabités qu’ils m’en deviennent presque hostiles. Tout à coup, c’est comme s’ils se rapprochaient de moi, m’enserraient tout doucement, inexorablement. Je tâche de me raisonner, de respirer, de lâcher prise, mais c’est comme un refrain assourdissant, quoique je fasse. La peur que Will déconne, qu’il n’arrive pas à gérer, la crainte que Fleur s’inquiète, qu’elle ne soit pas en sécurité, fait son nid et grandit, prend racine, me broie le cœur, le fait tachycarder. Mes mains tremblent, une sueur froide perle sur mon front tandis que l’anxiété, compagne silencieuse mais implacable, me rappelle sans cesse la précarité de mon fragile équilibre. Je vis le téléphone vissé à la main, guettant la moindre nouvelle de ma fille, le moindre message de William, me tenant informée du déroulement de leur journée. C’est assez ironique quand j’y pense. Pendant des mois, cet homme m’a envoyé des centaines de messages menaçants, insultants, cruels, bien planqué derrière le masque de l’anonymat. Et maintenant que la vérité avait éclaté, il semble étrangement moins friand des claviers. 

Pour échapper à mes éternelles rengaines, je me force à sortir. Ces pensées obsédantes qui tournent en boucle dans ma tête : les inquiétudes pour ma fille, les souvenirs des messages anonymes, la dislocation apparente de William, et cette constante sensation de marcher sur un fil résonnent trop à l’intérieur. Je vais chez mes amies, en soirée, au cinéma, faire du shopping. Le genre de choses que font les mamans quand elles n’ont pas leurs enfants, paraît-il. Je vérifie mon portable toutes les cinq minutes, mais je me plie aux codes. Je me maquille, mets des talons, une jolie jupe, et fais la conversation. Puis, immanquablement, je trouve des prétextes pour rentrer plus tôt, par flemme de sociabiliser. En soirée, j’ai l’impression de jouer un rôle, de porter un déguisement trop étroit. Au début, on essaie de ne pas y prêter attention, mais au fil des heures, il semble de plus en plus étriqué. Alors, on fait tout pour y échapper et on s’enfuit, en essayant de ne pas partir trop vite pour ne pas attirer l’attention.  

Et puis, au bout d’une éternité d’heures anthracite, une idée germe, impérative et folle. J’essaie de la balayer d’une pichenette, mais elle persiste, bourdonne, se rapproche, m’entête et m’obsède. J’essaie de l’asphyxier à grands coups de nicotine ; elle tousse un peu, fait une pirouette et revient à la charge. Alors, je m’engueule à voix haute, chausse des baskets, prends mon sac, mon portable, mes clopes et file dans la nuit pour me faufiler sous le balcon de nos amours maudites. Je m’appelle Juliette, et ce soir, dans l’obscurité complice, je rejoue l’antinomie d’une scène mythique racontée en tragédie, pour une célèbre homonyme de prénom. Cette nuit, c’est Juliette qui se tapit dans l’ombre sous les fenêtres d’un Roméo déchu ; non pour voler un baiser, mais pour le surveiller, dans le seul rôle qu’elle lui consent encore : celui de père. En cette minute insensée, je veux juste m’assurer que tout va bien. Simplement jeter un coup d’œil dans le salon illuminé, depuis le jardin du rez-de-chaussée. Je veux seulement vérifier que Fleur est bien couchée, que William est prêt à réagir en cas de cauchemar, d’incendie, ou même d’invasion extraterrestre. En équilibre précaire, je grimpe sur chaque borne qui délimite le jardin, changeant de perspective à chaque fois. À cet instant, je ne réalise pas qu’un observateur inconnu pourrait me prendre pour une démente ; j’étais devenue ce que je méprisais, j’étais devenue lui. 

D’en bas, je l’aperçois, totalement abandonné sur le canapé, les bras ballants, comme mort. Une bouteille de whisky renversée sur le sol frôle ses doigts, comme s’il l’avait lâchée à contre-cœur, happé par le sommeil ou par la faucheuse. Il est bourré. Indiscutablement. Submergée par les angoisses d’une mère calabraise inquiète pour la chair de sa chair, je bondis sur mes pieds et me précipite à la porte vitrée. Fermée. J’ai rendu mes clés depuis longtemps. J’écrase mon index sur l’interphone portant encore mon blason assassiné. Rien ne se passe. Personne ne réagit. La panique me harponne, je suis obnubilée par Fleur, tout en moi crie son prénom, je me fiche de tout le reste, perds le contrôle de mes nerfs et appuie sur tous les boutons en même temps pour que quelqu’un m’ouvre. L’interphone crépite, plusieurs voix se mêlent, celle d’une femme à la voix endormie se distingue, simultanément agacée et apeurée par cette intrusion nocturne. Je ne sais pas de quelle ancienne voisine il s’agit, je m’en moque et débite, affolée : 

— Bonsoir, pardon de sonner chez vous à cette heure, mais ouvrez-moi s’il vous plaît ! Je suis Juliette REBIENS, j’habitais ici avant, ma fille est là et je crois qu’elle est en danger ! 

Contre toute attente, on m’ouvre. Je me précipite au premier, tambourine de toutes mes forces. Les paliers des autres étages s’illuminent, des portes s’ouvrent mais pas celle que je cogne, furieusement. Je persiste, m’acharne.  

Will finit par émerger, méfiant et sonné, entrouvre dans un tintement de clés, précipité. Je force l’entrée et cours dans la chambre du fond, où ma fille dort à poings fermés. Instantanément, je m’apaise. Je respire et calme les battements de mon cœur, redessine la normalité de mes traits. William m’observe, interloqué, depuis le seuil. Il bégaie, ne comprenant évidemment pas ma présence à une heure si avancée. Je brode une forme de vérité, expliquant que j’étais inquiète, qu’il n’a pas répondu à mes messages et que j’ai paniqué. Il semble vouloir me croire, pressé de me voir partir, soulagé aussi que je ne retourne pas l’hystérie qui m’enveloppe contre lui et son ébriété. Je me drape de ce qu’il me reste de dignité, dépose un baiser sur le front délicat et tendre de ma fille, puis sors de l’antre alcoolisée de mon ex-mari. C’est la seule fois que je perdrai mon sang-froid de la sorte, mais ce ne sera pas la dernière fois que j’espionnerai ce qui se passe chez lui quand elle y est. 

Quelques semaines plus tard, il finit par rendre cet appartement dont je connais chaque centimètre carré sur le bout des doigts, pour s’installer dans un autre, plus petit, moins onéreux, à quelques mètres de chez moi, prétendant vouloir rester près de la crèche… Il est tout proche, mais cela pourrait être bien pire puisqu’à un moment, il essaie de trouver un logement dans l’immeuble voisin du mien. Un samedi matin, je l’aperçois se faufiler dans le bâtiment B, j’en suis interloquée. Déterminée à comprendre, je fouille, trouve l’annonce de l’appartement qu’il avait osé visiter, dans ce que je considère comme mon territoire réservé. Je vois rouge. Furieuse, je le confronte. Il me rit au nez. Pire, je déchiffre dans l’obsidienne de son regard une lueur de triomphe, indécente et vicieuse. Piquée, je comprends que ce n’était pas pour rester à proximité de Fleur, mais bel et bien pour me surveiller. Il voulait sans doute voir qui je recevais, à quelle heure je rentrais, ce que je portais. À cet instant, une réaction épidermique m’a envahie, et tout mon être s’est révolté.  

C’en était trop ! 

Le harcèlement, les messages incessants, l’interphone qui sonne en pleine nuit, les textos détaillant jusqu’au contenu de mes poubelles, la disparition de mes clés, l’intrusion ratée, les embuscades sous mon balcon… Et maintenant, il faudrait, en plus, qu’on soit voisins ? Ma fureur atteint son paroxysme, je bouillonne de rage et me résous à faire la seule chose en mon pouvoir à cet instant.  

J’appelle l’agence immobilière et expose avec moults détails les raisons pour lesquelles il ne saurait être un candidat sérieux pour une location au 27B. J’ai grandi à la campagne, patauger dans la boue ne m’a jamais effrayée et si je voulais gagner la bataille sans cesse renouvelée entre nous, il me faudrait me mettre à sa hauteur, quitte à me vautrer dans la fange. 

Il n’a pas été retenu par le bailleur, bizarrement, et s’est, de dépit, rabattu sur un vieil immeuble dans une rue parallèle, à quelques centaines de mètres du mien, seulement. Son nouvel appartement est traversant : d’un côté, les fenêtres donnent sur une rue assez large, un peu trop passante pour y rester longtemps en observation ; de l’autre, certaines donnent sur un parking intérieur, plongé dans un noir de jais, la nuit. C’est donc là que je deviens passe-murailles à mon tour, sentinelle de l’enfance de ma fille, veillant des heures durant. Depuis ma cachette d’obscurité et d’ombre, je perçois les lumières vacillantes, la danse des silhouettes projetées sur les murs. Les murmures de la télé, parfois des rires étouffés, le générique des dessins animés de ma petite fée qui descendent jusqu’à moi, mais je ne distingue pas ce qui se trame à huis clos, deux étages plus haut. 

Dans une comédie destinée à quelqu’un qui pourrait observer de plus loin, je fais semblant d’être pendue au téléphone, de chercher mes clés dans mon sac. Je m’approche de la porte du hall comme si j’y étais attendue, la secoue légèrement, et elle s’ouvre, pas verrouillée. Lentement, je grimpe l’escalier à pas feutrés, repère les lieux, trouve son nom sur une sonnette, anticipe une éventuelle fuite aux étages en dessous ou au-dessus, et plaque mon oreille sur le bois de la porte, en un geste qui deviendra routinier. Un week-end sur deux, la moitié des vacances scolaires. Je suis devenue lui. C’est à mourir de rire et en même temps triste à pleurer. Mais c’est la seule façon que j’ai trouvée pour m’assurer, ne serait-ce que brièvement, que ma fille est en sécurité. Quand l’angoisse déploie ses ailes sombres, enveloppant mon esprit d’une ombre glaciale, et que le manque d’elle me suffoque, tel un corbeau noir enserrant ma poitrine de ses griffes impitoyables et acérées. Leurs croassements, que je suis la seule à percevoir ne me feront pourtant jamais trébucher sur le paillasson, je dois être plus discrète que lui ; je ne me suis jamais fait pincer... 

Lentement cette routine fait son nid, et j’ai le sentiment de mener deux vies parallèles. D’un côté, je suis une maman solo qui travaille au service de la République, derrière un combiné, et qui articule tout son temps autour de sa fille. Je cours toute la journée pour tout y faire rentrer, je dors à peine, essaie de faire au mieux, dans une sorte de tourbillon frénétique qui marque une pause un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Comme des millions de femmes à travers le monde, je suppose. La plupart du temps, je n’ai le temps que d’affronter le quotidien. Mais de l’autre côté, lorsque je suis seule, pendant ces heures de silence où le sommeil me fuit, que l’ennui guette, que mon univers entier semble figé par l’absence de ma toute petite fée, mon cœur se met à entonner une mélopée douce, suave et colorée. Une sorte d’appel à l’emplir d’autres émotions, d’autres sensations, de réveiller peut-être une de ces facettes endormies, l’envie de vibrer. 

C’est peut-être dû à la chaleur qui revient, au soleil qui pointe le bout de son nez, aux jours qui rallongent, aux promesses de l’été qui s’est fait trop attendre, mais mon corps tout entier aspire à ressentir à nouveau le désir, impérieux, de s’abandonner.  

Pourtant, paradoxalement, mon âme contusionnée rechigne à ne serait-ce qu’imaginer offrir de nouveau la moindre once de confiance à qui que ce soit du sexe masculin, autant dire que ce n’est pas gagné. Et puis, comme souvent, le destin ou la vie, qu’importe le nom qu’on lui donne, fait preuve d’imagination et parsème sur mon trajet si familier des points d’interrogations.  

Un matin, je croise le chemin de l’un d’entre eux. Il s’appelle Dorian, une nouvelle recrue de mon centre d’appels. Dès le premier instant, quelque chose en lui me trouble, m’attire, m’interpelle.  Ici, c’est mon royaume. Je m’y sens en sécurité, nichée au cœur du cyclone, blottie dans un système que j’exècre mais dans lequel j’ai fini par tisser ma toile pour, jour après jour, m’habituer, m’attacher aux gens qui le font exister. 

Ce jour-là, comme d’habitude, je suis en retard. Je cours dans les corridors, le bruit de mes talons résonnant sur le sol, fonce à mon bureau pour me connecter, ne pas perdre de précieuses minutes qui seraient décomptées de mon modeste salaire. Je ne regarde personne, suis dans ma bulle. Je lance l’ordinateur, enfile mon casque, clique à droite à gauche, badge sur mon compteur-temps, pousse un soupir de soulagement et rejette ma tête en arrière, les yeux fermés, pour reprendre ma respiration, me fondre dans la peau du personnage que l’on attend que je sois. Mon travail est si routinier que je pourrais le faire en dormant. Une fois la journée lancée, je n’ai qu’à me laisser porter. Mon esprit peut divaguer, voyager de l’autre côté de la planète. Je peux écrire ou tricoter, qu’importe puisque personne ne le saura, personne ne le verra, personne ne l’entendra. Je serai parfaite parce que je connais toutes les questions, toutes les accusations, toutes les revendications sur le bout des doigts. 

Éreintée par une énième nuit d’insomnie, je sens que je pourrais me faire surprendre par Morphée, en pleine journée, si je n’y prends pas garde. Alors, je secoue mes cheveux, m’agite sur ma chaise et regarde autour de moi. Certains bureaux sont encore déserts, la plupart sont bien rangés, rien ne dépasse. Il est encore tôt, la pièce est relativement silencieuse, une odeur de café flotte, des chouquettes sont disposées dans une corbeille, avec des jus de fruits et des gobelets sur le côté. Il doit se passer quelque chose de particulier. 

Peut-être une nouvelle visite officielle ? 

Je soupire, lasse, vérifie ma tenue, vite fait. Tee-shirt Disney, jean brut, baskets et la gueule un peu de travers. 

“Saperlipopette… je me suis pas du tout lookée… Sandra va faire la gueule, c’est sûr !” 

Je la cherche des yeux, elle n’est pas là, pourtant son sac est abandonné sur son bureau. Sur le vaste plateau, deux ou trois collègues sont déjà en pleine conversation dans leurs oreillettes, quand la porte émet un bip, s’ouvre et laisse entrer Sandra, flanquée de deux jeunes hommes. Ils ne ressemblent pas du tout au préfet, pour mon plus grand bonheur, je dois bien l’avouer… Elle leur explique des choses que je n’entends pas depuis ma position. Des choses dont je me fiche totalement, sans aucun doute. Puis, elle se dirige vers moi, en souriant (ouf !), et fait les présentations. Dans ce flot de paroles, je capte des prénoms : Antoine et Dorian. Je me prête au jeu, souriante, charmante, professionnelle, et commence à débiter quelques ficelles de notre métier. C’est alors que, machinalement, mon regard croise celui de Dorian. Ou plutôt, il s’y égare, envoûté par la profondeur de son regard, qui, à cet instant précis, me captive par l’intensité magnétique de son vert sauge. Je bafouille, il sourit. Je me mordille l’intérieur de la joue, fascinée par ma propre maladresse, par ma gaucherie qui semble l’amuser. Et ce sourire à la fois juvénile et terriblement séduisant déclenche une chaleur envoûtante qui se propage, serpente le long de ma colonne vertébrale, jusqu’à embraser le creux de mes reins. 

“Putain de montée de sève ! Juliette, tu déconnes là ! Non ? Allez ! Tu te concentres ma puce, pas de bêtises...reste focus ! “ m’engueulais-je intérieurement. 

Epidémiquement, en réaction de préservation face à ce bouleversement qui n’a pas droit de cité dans ma vie réglée comme du papier à musique, je décide de l’ignorer, purement et simplement. Après tout, je ne suis pas vraiment obligée de lui parler, nous sommes là pour travailler, pas pour taper la causette. Je pense que je me suis rarement autant concentrée sur mon travail que pendant cette matinée, tant je cherche à éviter de le regarder. Les pauses clopes, le déjeuner, je fuis tout contact visuel, comme si j’étais face à Méduse elle-même, risquant d’être pétrifiée, transformée en pierre par la magie de ses yeux ensorceleurs. Quand je pense maîtriser la situation, avoir repris le contrôle de mon foutu cœur en guimauve qui réclame son tribut, j’entends le bruit de roulettes glissant sur la moquette, dans mon champ de vision périphérique, un fauteuil, puis des mains masculines et une voix qui chuchote dans le creux de mon oreille droite : 

“Je peux me mettre en double-écoute avec toi, Juliette ?” 

Et cette voix… mon dieu, pénètre par tous les pores de ma peau. Elle glisse le long de ma nuque, y dessine des arabesques, serpente sur mon flanc et fait des nœuds dans le bas de mon ventre. Je sursaute, feins la torpeur d’une somnolence digestive, pivote sur mon siège et lève les yeux vers l’intrus un peu trop charmant. 

“Oui, bien sûr, pas de problème !” dis-je avec un vrai faux sourire. Un sourire qui se veut professionnel et distancié mais un sourire, aussi, qui rêve d’être sincère pour de vrai, même si c’est très dangereux. Il s’assoit tout près, trop près pour que je ne sois pas troublée par sa présence. Je n’aime pas quand on envahit mon espace vital ; je me braque, me cabre, comme un cheval camarguais. Pourtant, à cet instant précis, c’est comme si la part la plus vulnérable et charnelle de ma féminité s’alanguissait de cette proximité. Je sens le parfum de sa peau, perçois la chaleur que son corps irradie. 

Pourquoi faut-il que ce soit lui, bordel ! Un collègue ? Il a l’air d’un gamin en plus, me dis-je en un sermon silencieux, tentant de réprimer les frissons qui dansent sur mon échine.  

Non, c’est ridicule. Reste professionnelle, Juliette. Ne te laisse pas emporter. Mais chaque fibre de mon être semble vouloir trahir cette résolution. Dans un véritable supplice de Tantale, j’essaie de me concentrer sur mes tâches de téléconseillère, à quelques centimètres de ce type dont l’aura m’attire irrésistiblement. Les papillons qui tourbillonnent dans mon bas-ventre sont à la fois le délice d’un désir ressuscité et le tourment biblique d’une femme qui refuse de succomber à l’appel de la chair, car la sienne est encore trop écorchée. 

Quand la journée se termine enfin, je suis lessivée, épuisée par cette lutte intérieure dont j’ai triomphé pour le moment. Il faudra que je réussisse demain, après-demain, et jusqu’à ce que cette forme de sorcellerie se dissipe dans un nuage – le plus vite serait le mieux. 

« On ne couche pas avec ses collègues, c’est la règle ! Je ne referai pas la même erreur qu’avec William ! Juliette, je te l’INTERDIS, tu saisis ? Putain de préfet, il n’aurait pas pu venir à la place de LUI ? J’aurais préféré… » 

 

 

A suivre... Chapitre 12 : Une idylle au fusain 

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Commento (1)

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Jackie H 13 ore fa

Comme je comprends Juliette vis-à-vis de William... être obligée par la loi de faire confiance, même en tant que père, à un homme qui l'a trahie en tant que mari et même simplement en tant qu'être humain, et qu'elle sait manipulateur, c'est tout simplement IMPOSSIBLE... moi aussi à sa place j'aurais eu peur pour ma fille ! On n'est jamais vraiment tranquille, on ne *peut* pas l'être... 😲

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