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Les Garçons et Guillaume, à table! (Guillaume Gallienne, 2013)

Les Garçons et Guillaume, à table! (Guillaume Gallienne, 2013)

Pubblicato 23 apr 2020 Aggiornato 23 apr 2020 Cultura
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Les Garçons et Guillaume, à table! (Guillaume Gallienne, 2013)

 
Parce qu'il ne ressemble ni à son père ni à ses frères, virils et athlétiques, le petit Guillaume s'identifie à sa mère qui le fascine et qu'il parvient à incarner de façon si parfaite que tout le monde s'y laisse prendre. Mais à ce petit jeu, Guillaume finit par se perdre... Il se retrouve emprisonné dans les désirs de sa mère (ou ce qu'il croit être ses désirs, ceux-ci n'étant pas formulés clairement) et même son corps est absorbé par celui de sa génitrice (Guillaume jouant les deux rôles).

Le comportement efféminé du petit Guillaume renvoie à sa famille une image dérangeante. Alors elle préfère le cataloguer comme homosexuel dès son plus jeune âge et l'éloigner le plus possible de la maison. La confusion la plus totale règne dans la tête de Guillaume, objet de tous les fantasmes et de toutes les brimades.

Malgré tous ces boulets, Guillaume survit, grandit, avance, cahin-caha, et petit à petit, parvient à se construire et à affirmer ses propres choix, en rupture totale avec ceux des personnes qui "avaient choisi pour lui". Il peut alors enfin s'affirmer face à sa mère qui cesse enfin d'être "lui" (ou lui d'être "elle"). A tous points de vue, il devient acteur.
Les garçons et Guillaume à table est un film d'une incroyable richesse. Tel un millefeuille ou un artichaud, il contient de multiples niveaux de lecture, convoquant un panel très varié d'émotions et de réflexions.

Quelques pistes de réflexion autour de scènes-clés:
 
-La scène de la chambre, des toilettes et de la salle de bain.
Que fait ce petit garçon dans la chambre de sa mère? Pourquoi le lit maternel est-il si omniprésent (au point d'être le seul décor dans la pièce de théâtre)? Pourquoi n'y voit-on jamais le père? Un lit où la mère se prélasse en majesté et autour duquel gravite Guillaume (quand il ne cherche pas à s'asseoir dessus ou à entrer dedans). Cette mère qui ne ferme pas la porte quand elle va aux toilettes et ce père qui ne ferme pas la porte de la salle de bains quand il se promène les fesses à l'air.
Conséquences: la confusion règne. Confusion des rôles: la mère envahit la place de l'enfant et l'enfant est privé d'identité, simple miroir du narcissisme de sa mère. Confusion des genres. Guillaume qui est pourtant génétiquement un garçon est complètement vampirisé par sa mère au point d'en perdre toute identité masculine.
 
- La scène de la sévillane. Guillaume est envoyé en voyage linguistique en Espagne. Hébergé chez une certaine Paqui, il apprend à son contact à danser la sévillane avec le perfectionnisme qui le caractérise. Seulement ce qu'il ne sait pas, c'est que Paqui lui a appris la version féminine de la danse ce qui provoque l'hilarité de l'assistance. Lorsque Guillaume l'apprend, il est tout heureux de faire ce cadeau à sa mère qui selon lui a toujours voulu qu'il soit une fille.
Paqui est clairement un double de la mère de Guillaume. En lui apprenant à danser comme une fille, elle laisse entendre qu'elle le considère comme tel ce qui est exactement l'attitude de la mère de Guillaume lorsqu'elle lance des "ma chérie" ou des "garçons et Guillaume à table" à son fils.
NB: la référence à Almodovar est évidente dans toute cette séquence, ainsi qu'à celle du tango de Certains l'aiment chaud de Billy Wilder.

-Sissi. Persuadé qu'il est une fille déguisée en garçon, Guillaume s'imagine dans la peau de Sissi et sa mère dans celle de l'archiduchesse Sophie. Son père le découvre affublé d'une couette autour de la taille (pour la crinoline) et d'un pull sur la tête (pour les cheveux). Guillaume prétend qu'il a froid la nuit ce qui pousse son père à augmenter le chauffage.
Dans cette scène, le père apparaît comme l'intrus qui brise le duo fusionnel mère-fils et interrompt le "cinéma" de Guillaume. Néanmoins ce père est bien trop éloigné de son fils et trouble lui-même pour jouer correctement son rôle. D'autant que lui aussi ne considère pas Guillaume comme un véritable garçon.
 
-La scène de la piscine. C'est toujours dans la peau d'une fille que Guillaume part en pension dans un collège anglais. Cet environnement plus tolérant lui permet de s'épanouir et de tomber amoureux du beau Jérémy (beaucoup de références ici à Maurice de James Ivory). Mais celui-ci n'a d'yeux que pour Lizzie au grand désarroi de Guillaume qui lorsqu'il le découvre touche littéralement le fond.
Cette scène magnifique peut s'interpréter de plusieurs façons. Evidemment comme un chagrin d'amour qui fait perdre pied à Guillaume. Mais aussi comme un "retour dans l'utérus". Guillaume tombe en position fœtale et baigne dans le liquide amniotique. A nouveau, il est absorbé dans le corps (et dans l'âme) de sa mère. Encore pire, lorsqu'il veut sortir la tête de l'eau, l'un de ses frères la lui replonge comme s'il l'empêchait de (re)naître. Et pour couronner le tout, sa mère apparaît pour lui faire comprendre qu'elle ne le considère pas comme une fille mais comme un garçon qui aime les garçons (en contradiction avec ce que pourtant elle lui laisse entendre).
Guillaume est dévasté. Cet amour de midinette qu'il portait à Jérémy et qui était en réalité une demande d'affection et de tendresse (car Jérémy le consolait quand il se faisait humilier) se retrouve réduit par sa mère à du sexe. Lui qui croyait être dans la norme ("ta fille qui est attirée par un garçon, c'est on ne peut plus hétéro ça!") est renvoyé à une marge, une anormalité, une monstruosité de la nature.
 

-Les scènes de spa. Elles sont essentielles pour comprendre l'ambivalence sexuelle dans laquelle se débat Guillaume ainsi que les ravages de l'emprise que sa mère a sur son corps. La succession de deux scènes de spa, d'abord avec le masseur puis avec Ingeborg suggère l'ambivalence même si Guillaume semble plus émoustillé par Ingeborg (avant son lavement musclé!)
Mais surtout on a l'illustration ici de l'emprise que la mère a sur la sexualité de son fils. Guillaume s'avère passif et frigide car pour sa mère la sexualité se résume à "fermer les yeux" et à penser "à l'Angleterre". Conséquence n°1: Guillaume se retrouve coupé de toute la façade avant de son corps (la façade active) et n'a accès qu'à la façade arrière (la façade passive) autrement dit il est castré psychiquement. Conséquence n°2: l'accès au plaisir lui est interdit. Après un massage qui s'apparente à une séance de torture, il se retrouve en compagnie d'une femme brutale qui lui inflige un viol. Guillaume ressort de ces scènes brisé de partout.
 
-La scène de la boîte gay: Plus que jamais sous l'emprise de sa mère, Guillaume plonge dans ce milieu en théorie pour se chercher en réalité pour tenter de réaliser son désir à elle. Seulement le malentendu est total une fois de plus. Lui ce qu'il cherche c'est de l'amour, de la tendresse, de l'attention. Ce qu'on lui propose se réduit à du sexe et seulement à du sexe. Voilà pourquoi la boîte est dépeinte comme un lieu glauque et souterrain ainsi que l'appartement d'où Guillaume s'échappe in extremis.
 
- La scène du cavalier russe: Guillaume qui tente à nouveau d'avoir une expérience homosexuelle se retrouve face au membre proéminent d'un homme "monté comme un cheval". Et bien sûr, il panique ("j'ai eu beau essayer de penser à l'Angleterre, je n'y arrivais pas du tout") et sa mère intervient dans sa tête pour lui signifier que cette expérience est vouée à l'échec ("Tu as toujours eu peur des chevaux... ça ne peut pas marcher"). Néanmoins, il fait une prise de conscience, celle de sa peur de la virilité en général et de la sienne en particulier.
 
-La scène d'équitation. Scène de plénitude, elle permet à Guillaume de se "redresser à la verticale" (selon les mots même du réalisateur). En lâchant prise et en ne faisant plus qu'un avec sa monture, il apprivoise son corps ("l'animal qui est en lui") et entre enfin en communion avec lui-même. Son professeur apparaît comme un père bienveillant (tout comme l'un de ses psy) qui l'aide à accomplir ce cheminement par lequel en découvrant sa masculinité, il se sépare de sa mère.
 
-Amandine: L'heure de la délivrance a sonné. Enfin en possession de tous ses moyens, sûr de lui et épanoui Guillaume est prêt à rencontrer l'amour. Qui se présente sous la forme d'une jeune femme lors d'un dîner de filles où cette phrase salvatrice est prononcée "Les filles et Guillaume à table!" L'ambiance est à l'opposée des scènes précédentes. La scène a lieu sur les toits au soleil couchant. Elle est lyrique, lumineuse et douce. On touche le ciel après avoir côtoyé l'enfer.
Guillaume tombe amoureux de la jeune femme qu'il a rencontré à ce dîner. Celle-ci lui rend son amour et ils décident de se marier. Il affirme alors son choix devant sa mère pour qui cette hétérosexualité est un véritable séisme. En effet, l'emprise qu'elle avait sur lui avait pour but inconscient de l'empêcher d'avoir accès aux autres femmes. C'est à ce moment là que sa mère change de visage. Elle n'est plus incarnée par lui mais par une actrice. Le fils s'est émancipé et a enfin réussi à devenir un homme, sinon aux yeux de sa mère du moins vis à vis de lui-même.
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