L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)
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L'Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013)
Je n'avais jamais entendu parler d'Alain Guiraudie avant la sortie de "L'Inconnu du lac". Mais le film a fait du bruit, non seulement pour les prix qu'il a reçu mais aussi pour son affiche, censurée à Versailles et à Saint-Cloud dans un contexte d'hystérie lié au débat sur le mariage gay. Pierre Deladonchamps a depuis "remis ça" avec l'affiche de "Nos années folles" d'André Téchiné elle aussi censurée à Senlis.
Le film a suscité des avis particulièrement contrastés. Certains se sont ennuyés ferme devant l'absence apparente d'intrigue, d'autres comme les Inrocks ont crié au chef-d'oeuvre et l'ont placé dans les 100 meilleurs films français de tous les temps. J'ai pour ma part trouvé qu'il s'agissait d'un excellent film qui m'a d'ailleurs durablement marqué et ce au moins pour trois raisons:
- Il y a peu de cinéastes qui manifestent une telle rigueur et une telle précision dans leur mise en scène. Celle-ci, volontairement épurée, se concentre sur un lieu, théâtre unique de l'action et sur quelques personnages dont elle s'attache à filmer les interactions dans ce qu'elles ont de plus primitif (la vision de la sexualité vue comme quelque chose de totalement naturel y est pour beaucoup, c'est quelque chose de trop rare et donc de précieux). Elle joue beaucoup aussi sur les variations de lumière. Une scène solaire ou une surface scintillante seront ensuite montrées sous un jour ou plutôt une nuit beaucoup plus sombre et inquiétante. Enfin l'absence de musique permet d'entendre le moindre bruit, chacun ayant une signification particulière.
- Tout ce dispositif donne un caractère très symbolique à l'histoire. Ceux qui cherchent à se divertir s'ennuieront effectivement car en surface il ne se passe rien. Dans les profondeurs du lac en revanche, il se passe beaucoup de choses et les allusions aux silures géants doivent être comprises comme un avatar du monstre qui se cache au fond de nous. La mythologie et la tragédie antique sont clairement convoquées au service d'un récit qui met en jeu les pulsions de vie (l'Eros) et les pulsions de mort (Thanatos) comme moteurs du désir. L'homme séduisant pour qui Frank éprouve une passion dévorante est aussi un dangereux tueur. Loin de le refroidir, cette ambivalence sert d'aiguillon à sa passion.
- Enfin, le film revêt aussi un caractère contemporain en ce qu'il interroge de façon critique notre époque. Ceux qui croient qu'il ne concerne qu'un petit milieu d'homosexuels masculins se trompent. A travers la description d'un lieu naturiste et libertin homo, Guiraudie questionne la capacité des êtres à s'extraire du principe de consommation tout-puissant. La seule présence d'Henri jette une ombre sur l'hédonisme triomphant du lac. Revenu de tout et surtout de la "baie des cochons" du Cap d'Agde (le pendant hétéro du lac de Guiraudie) il refuse désormais de jouer le jeu du consumérisme sexuel et se tient à l'écart des autres, se contentant de contempler le lac d'un air désabusé. A l'autre extrême, Michel qui profite puis se débarrasse de ses amants quand il s'en lasse est une caricature du système. Mais les autres habitués de la plage ne s'émeuvent pas davantage devant la disparition de l'un des leurs (dont les affaires et la voiture abandonnée sont pourtant bien visibles) tant ils ne sont centrés que sur la recherche de leur petit plaisir. Frank enfin passe son temps à naviguer d'Henri à Michel, du recul critique à sa passion du moment jusqu'à ce qu'il se retrouve seul et désemparé dans les broussailles. Lui dont on n'a vu jusque là que l'indécision et la capacité d'évitement va-t-il enfin assumer ses responsabilités?