Chapitre 2
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Chapitre 2
La voix rauque se manifeste à nouveau :
– Alors, Berniqueji, il est parti ?
La voix rocailleuse vient du balcon du voisin. Triples buses que nous sommes. Nous avons oublié de prévenir Ogron, le voisin. Et j’ai omis de tirer le rideau pour dégager la fenêtre. Ça fait quarante-cinq minutes qu’il est allongé sur son balcon. En mode sniper. Il guette avec ses jumelles à travers ses mini-claustras. Le malheureux ne voit rien de ce qui se passe dans le salon alors qu’il entend le remue-ménage.
Les diaboliques le mettent au courant. Il re-déplie ses longs membres dans le bon sens pour reprendre une position d’homo sapiens sapiens. Je retourne l’opération dans tous les sens. Ne comprends toujours pas comment il aurait fait pour intervenir en cas de débordement avec Berniqueji. Peut-être en sautant depuis son balcon sur le mien avec les lianes de la vigne vierge ? Ogron est plein de bonne volonté.
Je chancèle encore un peu. Mais à voir mes voisins peaufiner la propreté de mon salon, un bien-être doux et chaud démarre son dix kilomètre dans mes veines. J’adore mes voisins, surtout dans l’adversité où se réveillent les compétences de chacun en matière de récurrage. Je les vois œuvrer avec amour devant moi. En ce jour de catapultage, mes trois voisins sont unanimes : un gros ménage permet de repartir du bon pied.
Pendant qu’ils se battent avec la crasse de mon appartement, je m’évade à outrance. Je les entends au loin bavarder. Je me déconnecte et laisse mes pensées voyager sans entrave. Des tranches de vie assaisonnent mon inertie de surface. Je ferme les yeux.
Des vignettes de toute sorte défilent en transe. Processus de séparation initié en sous-Gaspard depuis quelques années. Divorce. Phénomène de plus en plus répandu socialement : la cohabitation avec l’ex-conjoint durant des mois. Détérioration progressive de l’équilibre des enfants qui se trouvent instrumentalisés au cœur de conflits d’adultes.
Pendant les mois qui suivent le divorce, la cohabitation arrange. Difficile pour les ex-conjoints de trouver à se reloger décemment dans la capitale pour pouvoir ensuite accueillir les enfants en garde alternée. Berniqueji larmoie dans son chantage affectif. Il met en avant des arguments émotionnels et économiques. Je me sers de lui comme gardien de ses propres enfants pour sortir.
Des mois et des mois d’abandon. Peu à peu, incompatibilité harassante de la présence de l’autre. Je m’exclus de ma maison. Passe de longues soirées chez ma voisine Dune ou chez mon amie Esthair dont la boutique reste ouverte jusqu’à minuit. Ver dans le fruit. Cohabitation de deux adultes impuissants à une sérénité commune. Ravages. Abrutissement de nos libertés. Rébellion contre la déliquescence de la situation. Electrochoc d’en arriver à ne plus être capable de s’occuper de l’épanouissement des enfants touchés en leur essence. Impact collatéral des errements adultes. La mère se réveille et prend la situation en main.
Cet après-midi, la lionne mugit. Elle coupe net avec Berniqueji. Lui met sa valise entre les mains. Lui reprend les clés de l’appartement. Sage et sensible décision. Moyen implacable d’avancer dans la reconstruction de chacun des membres de la famille.
Un sous-chapitre de ma vie se referme. Un autre s’ouvre. Mes émotions sont en cavale. Elles s’engouffrent dans tous les sentiers de traverse qui ramifient l’embouchure de mon existence. Je refais surface au milieu de toutes mes évidences anarchiques. En symbiose avec la belle lumière du mois de mai, la propreté du salon m’éclabousse, démaquillé de sa crasse.
Les voisins s’attaquent au lessivage des murs de la cuisine décorés de projections culinaires et de résidus alimentaires, fossiles d’une époque de petite enfance. Les repas alliaient alors acrobatie, nourrissage et ambiance festive.
Il est temps d’aller récupérer mes enfants à l’école. Je commence un nouvel épisode de vie, seule avec mes poussins.