Chapitre 17
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Chapitre 17
Je reprends ma position de pilier de comptoir. Au moment où nous replongeons dans nos histoires, une dame, la cinquantaine approchante, cheveux d’ébène, teint bronzé aux ultra-violets, et lentilles optiques gris clair pousse la porte de la boutique, très sûre d’elle. C’est une habituée, elle s’est fait complètement replanter sa terrasse capillaire et revient régulièrement renforcer les racines. En attendant que SA cabine se libère, elle nous raconte ses fabuleuses vacances. Conversation à l’humour truculent que je savoure sans intervenir, aussi discrète qu’un tamanoir dans un décor savoyard.
– J’ai commencé mes vacances par une alvéolite, place la dame burinée par la virulence des ultra-violets.
Inflammation d’une alvéole dentaire, me dis-je en mon for abyssal. Je suis devenue experte dans le domaine depuis qu’Ogron nous a ouvert la porte de son écosystème dentaire. Sa dentition charmante, quoique trouée, me propulse à chaque jet de mots dans les sphères médiévales où officiait l’arracheur de dents sur la place du village.
– En même temps, je devais me faire arracher mes dents de sagesse, poursuit la cliente aux lentilles gris clair pour mettre au parfum Esthair.
J’attends toujours que les miennes sortent. J’imagine mon écrin d’ivoire dans lequel somnole ma sagesse. Intérieure ou extérieure, la sagesse influera peut-être un jour sur le cours de ma vie. Quelques éclats brillants me raccrochent à la réalité de la boutique. Entre deux mots, l’ouverture des lèvres de la cliente dévoile un blanc à l’étincelance suspecte. Quand elle ferme sa bouche, un rictus durcit ses expressions. Les plis de sa peau tannée forment un relief solidifié aux expressions figées. Pas de doute, la chirurgie esthétique est passée par là.
– Ça tombe bien, vous travaillez au bon endroit ! réplique Esthair qui connaît bien sa clientèle.
Elle doit travailler dans un cabinet médical ou orthodontique, me dis-je en mon fort profond.
– Bien vu ! J’ai demandé à mon patron dentiste de m’arranger ma bouche. Pour moi c’est tout naturel de me tourner vers lui!
– Et alors ?
– Et alors mon patron m’a envoyé dans un autre cabinet. J’ai eu rendez-vous que trois jours après. Soi-disant qu’il ne voulait pas me mélanger avec les autres clients. Tu parles ! A quoi cela sert d’être assistante dentaire dans ma situation ? Au lieu de m’arranger le portrait, il faut que j’attende trois jours, et en plus trois jours de vacances à souffrir atrocement.
Une évidence me bouscule. Un charivari éphémère bouleverse mon écrin de sagesse. Le problème est planté comme l’obélisque dans le désert de la Concorde. Deux hypothèses surgissent dans ma tête constamment en ébullition. Niveau médical, le patron doute de ses compétences. Niveau commercial, l’assistante n’est pas rentable.
– Il y a de quoi être enragée ! renchérit Esthair.
– Ah oui, je l’avais plutôt mauvaise ! Il a quand même été compatissant, avant que je ne parte en vacances, il m’a prescrit des antidouleurs « adaptés à mon cas médical ». Trop bien, le collègue ! Franchement, je lui en veux.
A trop attendre de quelqu’un, on finit par être déçu. Au pire, on plonge dans la rumination. Au mieux, on plonge dans la régurgitation de pelotes de déjection recyclables en grain de sagesse.
– Il exagère, il aurait pu faire avancer le rendez-vous ou vous trouver un autre cabinet. Il est quand même dans le métier.
– Bien d’accord. Il n’a pas vraiment fait d’effort, il peut toujours courir celui-là pour que je reste plus tard le soir, sans être payée en plus. Il aura que ce qu’il mérite, ce type !
– Encore un qui pense qu’à sa gueule !
Je sursaute en entendant les propos de ma copine. Esthair aurait pu adoucir sa remarque. On ne sait jamais comment va réagir une cliente hystérique. Puis en toute discrétion et neutralité, je continue à écouter, toute tranquille. Esthair doit savoir jusqu’où elle peut intervenir pour garder son capitale empathie et commercial.
– Du coup, pour essayer de penser à autre chose qu’à ces foutues dents, je suis sortie le vendredi soir avec ma copine et même après huit whisky coca et les fameux médicaments de mon sale patron, je n’étais toujours pas amortie par l’alcool et j’avais encore mal. Trois jours à me traîner comme une larve ébouillantée ! Des vacances que j’attendais depuis une éternité!
La cliente aux yeux gris clairs dressent les poings.
– Il fallait enlever le coca ! En plus le sucre attaque les dents. Vous auriez peut-être été anesthésiée, lâche Esthair d’une voix mordante mais compatissante.
Voire euthanasiée, pensé-je discrètement dans ma tête. Je sens qu’Esthair régule sa sortie de mots. Elle balance entre sa spontanéité et ce que veut s’entendre dire la cliente. Cette teinte d’authenticité professionnelle fait d’elle une commerçante hors-norme.
– Et ensuite, comment s’est passé votre rendez-vous ? interroge Esthair.
Mon amie est visiblement encline à ne pas couper la vague émotionnelle qui submerge sa cliente.
– Plutôt bien mais rajoutez au handicap du côté droit de ma mâchoire, l’infiltration qu’on m’a faite le jour d’après dans l’épaule droite, et vous pouvez imaginer sur quel pied j’ai dansé pendant ces vacances !
Je vois aisément la paralysie droite de son corps. Le relief rocailleux de son visage devait friser le grand canyon sans eau.
– Ah oui, une infiltration ! La totale, quoi ! Finalement, c’était plutôt un congé maladie, non ?
– Et bien oui, justement ! Je me suis récupéré tous les certificats médicaux et j’ai annoncé à mon patron que j’étais finalement en arrêt et que je prenais mes vacances seulement maintenant. Et vlan, il est pas trop content mais il peut rien dire ni rien faire, je suis en règle. Faudra qu’il se débrouille seul quelques jours !
– Ça ressemble à une petite vengeance, hé, hé ! Maintenant vous allez passer des vacances vraiment sereines !
J’admire l’aplomb naturel d’Esthair.
- Ça tombe bien, votre cabine vient de se libérer. Bonne séance ! Je lance la machine dans deux minutes, ça ira ?
– Parfait, merci !
La cliente commence à se déshabiller avant même de s’installer dans la cabine.
Estocade de la Grande rousse, du haut de son siège de bar :
– Je vous rajoute en plus, offert par la maison, le massage du cuir chevelu à propulsion magnétique !
– Génial, merci, suffoque la cliente.
Ell est comblée de joie à l’idée de se faire masser le cuir chevelu par des coussinets d’air.
Les cabines ronronnent. La rue est calme.
- Moment crucial, lancé-je, en regardant ma montre.