Année de création : 2005

Publication antérieure : aucune publication antérieure

Langue : français

Source de l'inspiration : rassurez-vous si le titre vous a donné un coup de poing à l'estomac, je ne me suis pas bruquement convertie en avocate du conformisme intellectuel :-). Il est vrai qu'à l'occasion, je ne dédaigne pas un titre un peu provocateur, mais je reconnais que dans certaines circonstances, c'est une façon de faire qui peut facilement induire le lectorat en erreur. Je me disais juste que si entre intellectuels, on vomit volontiers sur le prêt-à-penser et sur le conformisme (qui, comme par hasard, sont toujours ceux des gens d'en face mais jamais ceux des gens de son propre bord), le prêt-à-penser est souvent adoré des gens ordinaires pour la pure et simple raison qu'ils sont les trois-quarts du temps dans la survie, dans l'action et le nez dans le guidon, et que ce ne sont pas là des conditions propices au maniement de concepts un tant soit peu complexes. Quand on est dans l'action, on ne veut pas des questions, on veut des réponses, et si possible des réponses simples et faciles à mettre en œuvre... et on se dit que cracher sur le prêt-à-penser est un luxe de privilégiés qui n'ont vraiment rien d'autre à faire. J'avais eu à l'époque l'idée de réaliser un opus sur le sujet, et ce qui va suivre en est le plan. Comme à la relecture, je n'en suis pas à cent pour cent satisfaite, je le remanie légèrement mais je signale mes remaniements de 2024 (19 ans après... comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien).

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Plaidoyer pour le prêt-à-penser

Les objectifs de la plupart des gens :

Survivre
Simplement se maintenir en vie et trouver de quoi le faire leur prend tout leur temps et toute leur énergie : « passer le plus clair de sa vie à la gagner » ou à « se préparer à son futur gagne-pain »

Gérer son quotidien
Courir derrière les Choses À Faire et rester à jour dans ses obligations est une priorité pour eux, se laisser dépasser revient tout de suite à être noyé, et la simple gestion d’une existence prend tout le temps qu’il faut pour exister, seuls l’ignorent ceux qui dans leur vie n’ont rien à gérer, rien d’autre à faire, et sont donc à la recherche d’ersatz pour meubler le vide de leur vie

S’intégrer socialement
C’est tout de même nettement plus pratique de vivre entouré des autres que de vivre tout seul, « autre » signifie souvent « aide », et puis la plupart des humains ont des besoins sociaux, et n’est-il pas dit que « il n’est pas bon que l’Homme soit seul » ? [ajout 2024 : et les gourous de la santé, naurelle et autre, ne tombent-ils pas tous d'accord pour dire que l'une des clés essentielles de la longévité et d'une bonne santé physique comme mentale est d'avoir un bon et large réseau de relations sociales ?] Or pour cela il faut être intégré dans un groupe ; et pour être intégré dans un groupe, il faut faire ce que font les gens qui sont dans ce groupe, et ne pas faire ce qu’ils ne font pas – la même chose vaut pour le « dire » et pour le « penser »

Profiter de la vie
La vie est courte, et on en passe déjà beaucoup à la gagner et à la gérer ; personne ne peut soutenir ce rythme en continu, et on a tous besoin de « souffler un peu », de « dételer », de « décrocher » ; et quand on veut le faire, on veut passer à des activités qui ne sollicitent pas trop leur homme, mais qu’on a envie de faire. Pour la plupart des gens, cela veut dire :

• Se reposer, tout simplement
• Se distraire (avec des loisirs reposants : télé plutôt que lecture, jeux télé plutôt qu’infos ou émissions culturelles, romans plutôt qu’ouvrages d’analyse, littérature de gare plutôt que Victor Hugo, Les Bronzés plutôt que Jean de Florette ou Vera Baxter, théâtre de patronage plutôt que Molière)
• Sortir le week-end
• Visiter ou inviter sa famille et ses amis [ajout 2024 : même si en fait ça demande pas mal de travail quand on est celui qui invite, à moins de recevoir son monde "à la bonne franquette" autour d'une simple tasse de café et de thé et d'une part de tarte achetée chez le pâtissier, mais tout le monde ne considèrera pas cela comme le summum de l'hospitalité, même en famille ou avec des amis, surtout si les invités se présentent en famille entière]
• Voyager tout confort plutôt que partir à l’aventure

Se distraire avec pour priorité d’oublier un peu les soucis du quotidien et l’effort que leur gestion demande

Et à cause de cela, les gens :

N’ont pas envie d’expérimenter à gauche et à droite
Le faire est un passeport pour l’essai et l’erreur à répétition, or les gens ont besoin de réussite et de choses qui fonctionnent, c’est tout un problème quand les choses de la vie ne fonctionnent pas, on devient dépassés par les événements, on se noie dans les conflits, et c’est pour cela que l’erreur en général, et l’erreur à répétition en particulier, est un luxe que la plupart des gens estiment ne pas pouvoir se permettre. Le rôle même des idéologies, religions, systèmes moraux et éthiques, et autres conventions sociales, est justement de servir aux gens de guidance, et de leur permettre d’éviter les erreurs à répétition en leur montrant directement ce qu’il faut faire pour ne pas se tromper et pour réussir dans la vie

Exigent une guidance de vie
Les gens l’exigent, et même revendiquent le droit élémentaire et essentiel d’en avoir une. Penser librement par soi-même, avec tous les risques que cela comporte, est un luxe qu’ils estiment ne pas avoir les moyens de se permettre ; et de plus, c’est inutile si l’expérience d’autrui peut être transférable, car grâce à cela on peut s’inspirer de la vie d’autrui : des erreurs qu’ils ont commises, et que l’on sait désormais ne pas devoir commettre ; de ce qu’ils ont réussi, ce en quoi il suffit de les imiter pour arriver aux mêmes résultats ; et de la somme de leurs expériences, dont on a la possibilité de tirer des leçons pour soi-même

Exigent la transférabilité de l’expérience d’autrui
Recommencer chacun pour son propre compte les expériences de toute l’humanité qui a précédé est inutile et absurde, et aucun progrès n’est possible sans base préalable ; or aucune base préalable ne peut exister si l’expérience de chacun ne vaut que pour lui-même

Exigent des règles simples, claires et faciles à suivre
La vie est en elle-même un véritable fouillis, un labyrinthe confus, et il est déjà tellement dur de s’y retrouver, que si en plus une guidance quelconque doit être tellement compliquée qu’elle exige de réfléchir et méditer longuement sur elle pour être seulement comprise – ne parlons même pas d’être suivie ni appliquée – elle manque superbement son objectif. Les gens exigent et revendiquent un « plan de route » clair, facile à comprendre, et facile à appliquer pour peu qu’on en ait la volonté

Exigent de recevoir cette guidance de la part d’autrui
Les gens estiment ne pas avoir le temps de se l’élaborer eux-mêmes ; d’abord cela réclame de l’expérience personnelle, et donc de l’expérimentation par essais et erreurs, ce qui est justement tout ce qu’ils ne veulent pas ; ensuite, ils n’ont pas accès à toutes les informations qui leur permettraient d’établir la somme de l’expérience d’autrui et des leçons qu’il faut en tirer ; et enfin, ils ont autre chose à faire de leurs vies, ils doivent déjà les gérer, ce qui n’est pas une mince affaire !

Veulent que cette guidance leur permette d’atteindre quelques objectifs simples
Gérer leur vie efficacement, vivre en paix avec leur entourage, être intégrés dans leurs groupes de vie, et profiter un peu de l’existence sans faire de mal à personne et sans être gênés par qui que ce soit [ajout 2024 : les gens ordinaires n'attendent en fait pas grand-chose de la vie, leurs attentes sont simples, ils veulent juste vivre tranquilles et être heureux, sans problèmes, ils n'ont pas de rêves ni de grands projets en dehors de ça et ça leur paraît même irréaliste d'en avoir : pour eux, en avoir est un luxe de privilégiés qui n'ont rien d'autre à faire, qui sont juste déconnectés de la vraie vie que doivent mener les 80% - ou bien les 99% ? - de l'humanité, et qui cherchent juste des ersatz pour combler le vide de leurs existences]

Et par conséquent,

Ils estiment que c’est à certains autres dans la société que revient le rôle de penser
pour eux à leur place, de faire la somme de l’expérience de l’humanité, d’en tirer les leçons qui s’imposent et qui sont les plus utiles pour atteindre les objectifs cités ci-dessus, et de les présenter sous une forme simple, claire et accessible, qui est orientée non pas vers la réflexion, la méditation ou la création, mais qui est bien orientée ver l’action et vers l’application – et vers une application immédiate telle quelle.