Chapitre 29 : Réconciliation
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Chapitre 29 : Réconciliation
Le lendemain, le matin se leva, chaud et lumineux, sur le mercredi 7 août.
Pourtant, pour moi, chaque rayon de soleil semblait se traduire par une intensification de mes ombres intérieures. Je restais immobile dans le lit, figée dans la même posture que la veille. Même lorsque Brandon, avec sa légèreté d’âme, s’était allongé à mes côtés, je n’avais pas daigné bouger. Mes parents et mes grands-parents avaient tenté de me tirer du sommeil, mais tous leurs efforts s’étaient révélés vains, comme si j’étais devenue une statue, pétrifiée par un sort inconnu. Mon esprit, quant à lui, était ailleurs, volatil, errant dans un monde éloigné de mes préoccupations, un endroit où mes soucis ne faisaient plus qu’un lointain souvenir.
Je me sentais engourdie, incapable de trouver les mots, de bouger, ou même de céder à l’appel du sommeil. J’avais passé toute la nuit, le regard rivé sur le mur blanc qui me semblait étrangement réconfortant, en proie à un état de transe dont je ne savais comment me libérer. Mes larmes, sans que je ne puisse les contenir, avaient glissé sur mes joues comme des rivières qui ne trouvaient pas de repos. Je n'avais jamais imaginé que le chagrin pouvait se traduire par une telle abondance d'eau. Leurs traces témoignaient de ma douleur, mais à cet instant, je n’en avais que faire.
Mon père, pourtant empli de sagesse, n’avait pas le droit de revenir sur cette histoire lourde que je préférais enterrer dans les tréfonds de ma mémoire. Je ressaisissais ma haine contre lui, bien que je fusse consciente que son envie de me protéger émanait d’une peur tangible. Pourtant, la manière dont il s’y prenait était maladroite, au point de me donner l’impression d'être captive au sein de ce bureau suffocant qui embrassait mes angoisses.
Dans le fond de mon cœur, j’espérais de tout mon être que Brandon n’était pas impliqué dans cette tourmente qui dévorait mes pensées. C'était pour cette raison que j’avais feint de dormir la nuit précédente, évitant ainsi de croiser son regard, trop souvent teinté de pitié, de tristesse, ou même de colère. J’en avais conscience : j’étais lâche. Mais ce sentiment m’était devenu indifférent. La seule idée qu'il puisse découvrir mon tourment me terrifiait. J’avais choisi la fuite, qu'importent les conséquences, plutôt que d'affronter mes démons.
Je me perdais dans une série de questions sans réponses. Pourquoi cette soudaine volonté d’en parler après tant d’années d’oubli ? Pourquoi raviver cette douleur enfouie ? Mon incompréhension face à cette situation ne cessait de me ronger. Ma mère, elle, tentait de passer à autre chose, de faire comme si tout ceci n’avait jamais été, mais mon père, lui, ne semblait pas prêt à laisser cette histoire sombrer dans l’oubli. Pour moi, c'était insupportable.
Oui, j’étais en colère. Je ne me cachais pas derrière de faux-semblants. Je l’étais, déçue par cet homme qui, autrefois, m’apportait tant de réconfort, qui me protégeait des dangers du monde en me transmettant ses leçons de vie. Même maintenant, alors que je me débattais dans cette tempête émotionnelle, il m’avait trahi en réveillant mes souvenirs les plus douloureux.
Oh, ça, il ne faudrait pas oublier… Et Valentin dans tout ça ? Valentin, mon frère, n'était pas au courant. Et je ne souhaitais en aucun cas qu'il le découvre. Si mes parents avaient du mal à aborder le sujet avec moi, alors comment pourrais-je envisager d'en parler à lui ? Il n’avait que treize, presque quatorze ans, à l'époque des événements les plus sombres. Je ne voulais pas qu'il porte le poids de mes épreuves adolescentes, comme le disaient souvent les adultes. Mes parents avaient clairement marqué que cette histoire ne devait pas être partagée, qu’elle devait rester prisonnière des murs de notre maison. C’était notre secret de famille.
Le mouvement à mes côtés me tira involontairement de mes pensées. Brandon, comme d'habitude, se levait avec l'aube, une habitude qui restait un mystère pour moi, même pendant les vacances. Je jetai un coup d'œil furtif à mon réveil : il était 8 h 42. La légèreté de son être était à mille lieux de ma torpeur.
Je l'observais se redresser, s'étirer avec un bâillement qui résonnait comme un chant du matin. Dans un dernier acte de résistance, j’avais fermé les yeux, feignant le sommeil. Je perçus alors un soupir, signe que Brandon commençait sa routine. Il se leva et se dirigea vers la salle de bains, où j'entendis le son apaisant de l'eau couler.
Je restai dans la même position, le corps engourdi par des heures d'inertie. Quatorze heures, au moins, sans mouvement. La douleur qui pulsait dans mes membres offrait un contraste saisissant avec ma volonté de rester immobile et cachée. Je savais pourtant que je devrais affronter la réalité et mon père, mais la peur m’étreignait, et le confort de ma couette m'enveloppait comme un cocon.
Les minutes s'égrenaient et, enfin, le bruit de l'eau se tut. Brandon réapparut, s'approcha de moi sur le lit et me caressa le visage avec une tendresse qui me fit un bien fou.
— Vic ? Tu es réveillée ? Me souffla-t-il près de l'oreille.
— Mmmmh, répondis-je, d’un ton distrait.
Pour la première fois depuis des heures, je me décidai à changer de posture, mais je me retournai aussitôt, lui tournant le dos, déterminé à éviter tout contact visuel.
Il soupira encore, et je l'entendis se vêtir dans la pièce voisine avant de quitter la chambre, la porte se refermant avec douceur derrière lui.
Je me retrouvais enfin seule, libre de mes mouvements. Je me mis sur le dos, laissant mes pensées voguer vers l'horizon de mes préoccupations. Que faire maintenant ? Je ne pouvais rester confinée dans ma chambre éternellement. Mes grands-parents venaient d'arriver, et je savais qu’il me faudrait me comporter en adulte, pour une fois.
Alors que je commençais à me lever, un coup résonna soudain à ma porte.
— Tu es réveillée ma chérie ?
C'était ma grand-mère. Bien qu’elle ne fût pas au courant des traumas qui me tourmentaient, je savais qu'elle percevait mon malaise. Elle sentait que quelque chose pesait sur mon cœur.
— Oui, je suis réveillée, répondis-je, feignant une assurance que je n'avais pas.
Elle ouvrit la porte doucement, son visage réapparaissant à travers l'intervalle.
— Puis-je entrer ?
— Oui, bien sûr.
Elle fit son entrée et referma délicatement la porte derrière elle, consciente que ce moment était particulier. Je savais qu'elle souhaitait que nous parlions en tête-à-tête, mais sa présence dégageait une chaleur réconfortante. Mes souffrances trouvaient un apaisement dans son affable tendresse. Ma grand-mère, si aimante, me communiquait son amour d'une manière si naturelle. Je n'avais jamais douté de l'intention de mon père, mais celle-ci demeurait souvent maladroite, même si elle était bien réelle.
Elle s'assit sur le bord de mon lit, caressant distraitement mes jambes d'une main douce.
— Comment te sens-tu, ma puce ?
— Je vais bien, grand-mère, mentis-je, masquant ce tumulte intérieur.
— Tes parents m’ont parlé de la dispute que tu as avec ton père.
— Oh ! Lui dis-je, feignant l’étonnement.
À vrai dire, j'avais pressenti que la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre. Ma grand-mère, confidente de la famille, avait un talent particulier pour s’immiscer dans les secrets des cœurs.
— Écoute, Vic, ton père, est très malheureux. Il ne voulait pas te blesser, il s’inquiète simplement pour toi…
— Je le sais, mais pourquoi aborder ce sujet précis après tant d’années de silence ?
Elle marqua une pause, son regard fixé sur moi avec une intention douce.
— J’ai compris, un gang actif dans la région fait des ravages depuis peu. Il craint que tu ne retombes là-dedans, qu’il te fasse revivre des choses qui te détruiront.
— Je crois qu’il s’y est très mal pris pour en parler, alors, rétorquai-je avec une amertume amère.
— Je ne conteste pas cette affirmation. Il aurait dû choisir un moment plus approprié, mais Vic, imagine un instant que tu seras dans sa position, avec une fille adolescente qui pourrait connaître les dangers de la vie.
— Papa t’a parlé de quelque chose ? Demandai-je, l’inquiétude me serrant la gorge.
— Non, il n’a rien dit. Bien que cela me peine de ne pas savoir et de ne pas pouvoir t’épauler en conséquence.
Un soupir de soulagement m’échappa.
— Tu n'as vraiment pas besoin de le savoir, grand-mère. C'est de l'histoire ancienne, tout cela appartient au passé.
— D'accord, je te crois. Mais promets-moi de parler à ton père. Il est accablé depuis votre conversation, et ta mère ne cesse de s’inquiéter pour lui.
— C’est à peine surprenant, murmurai-je, les pensées en désordre.
Elle me regarda, à la fois penaude et pleine d’amour.
— Viens, il est temps de prendre le petit-déjeuner. Tout le monde attend !
— D'accord.
Ma grand-mère m’embrassa tendrement sur le front avant de se lever avec une douceur presque fragile. Elle ouvrit la porte, mais je l'interrompis brusquement.
— Grand-mère !
— Oui ?
— Merci.
Un sourire illumina son visage tandis qu’elle quittait ma chambre, refermant délicatement la porte derrière elle.
Je pris une profonde inspiration, me levant lentement, puis me dirigeai vers la salle de bains pour prendre une douche et me laver les dents. En regardant l’heure, je réalisai qu’il était déjà 9 h 13. Le temps semblait se dilater et s’embraser, à son rythme effréné. Je m'habillai avec une désinvolture qui me semblait réconfortante. Des vêtements simples, légers, comme une seconde peau que je ne voulais pas trop penser.
Une fois coiffée, je me dirigeai vers la cuisine.
En descendant les escaliers, mes oreilles furent assourdies par les éclats de voix de ma famille, tous réunis autour de la table du salon pour prendre le petit-déjeuner.
Je m'avançai doucement, cherchant une place libre en silence. À peine assise, le calme régna dans la pièce comme un nuage pesant, rendant l'atmosphère délicate et tendue. Les regards, étonnés, se dirigèrent tous vers moi. Une seule voix s’éleva, celle de ma grand-mère qui continuait à se laisser porter par son petit-déjeuner.
— Vous pouvez arrêter de me fixer, s'il vous plaît ? Je ne suis pas une bête de foire, m’exclamai-je, un brin agacé.
— Pardonne-nous, ma chérie, s’excusa ma mère, visiblement embarrassée. Nous pensions que tu resterais dans ta chambre toute la journée.
— Je peux très bien retourner là-bas si ma présence vous dérange autant, rétorquai-je avec une certaine audace, vexée.
— Ne dis pas cela, rétorqua ma mère. Nous sommes ravis que tu sois ici avec nous, mais comme hier, tu n'étais pas vraiment dans ton assiette, nous avions conclu…
— Eh bien, vous avez mal conclu, interrompis-je en prenant un croissant dans la corbeille de viennoiseries.
Le petit-déjeuner se déroula finalement dans une ambiance relativement apaisée. Les discussions animaient la table, et Brandon, d'un geste réconfortant, plaça sa main sur mon genou. Le simple contact de sa main me réchauffa le cœur, me rappelant la tendresse qui nous unissait, et je lui souris, le remerciant d’un regard. Ma chance, d’avoir un tel soutien à mes côtés m’enveloppa d’une bulle apaisante.
Une fois mon petit-déjeuner terminé, j’aidai ma mère à débarrasser la table. Alors que je me retrouvais seule dans la cuisine, mon père entra à son tour. Ses yeux se posèrent sur moi d'une manière qui me troubla. Il avait une intensité dans son regard, un mélange de remords et de tristesse qui me transperça.
— Ça va ? Demanda-t-il, d’une voix hésitante.
Je haussai les épaules, esquivant sa question avec une indifférence apparente.
— Je voulais m'excuser pour hier, continua-t-il en prenant un soupir. Je n’aurais pas dû aborder ce sujet avec toi. Je m'inquiétais beaucoup pour toi ces derniers temps et je crois que j’ai perdu mon calme.
— Inquiète pour moi, vraiment ? Rétorquai-je, feignant de m’étonner.
Il baissa les yeux, conscient des répercussions de ses mots.
— Ton accident, ta rééducation, tout cela me rappelle ton passé. Je suis sincèrement désolé pour ce que je t'ai dit. Penses-tu pouvoir me pardonner un jour ? Me demanda-t-il, avec une vulnérabilité qui résonnait en moi.
L’angoisse accumulée dans son regard témoignait de son désir de réparer ce qui semblait brisé entre nous. Il ne souhaitait rien de plus que de retrouver le lien que nous avions perdu. Je ne pouvais pas lui en vouloir pour cela. Je n'avais pas le droit de le faire.
— Bien sûr que je te pardonne, dis-je, quelques mots de douceur teintés de sincérité. À condition que tu ne relèves plus jamais ce sujet tabou.
— Promis. Viens ici, ma bichette !
Mon père ouvrit grand les bras, et sans hésitation, je me précipitai dans son étreinte chaleureuse. Je me sentais à nouveau en sécurité, comme lorsque j'étais petite, persuadée que rien ne pourrait jamais m'atteindre tant qu'il était là.
Lorsqu'enfin, je recouvrai mes sens, je remarquai ma famille, mes grands-parents, ma mère, et Brandon, tous les yeux humides, témoin de cette délicate scène. Une larme roula le long de ma joue, renforçant le sentiment de connexion et d'amour qui nous enveloppait.
Dans cet instant suspendu, une pensée surgit, frappante et délicate.