Quelques jours plus tard. Dans ma messagerie, un premier mail d’Ana. Je n’ai pas trop l’habitude d’utiliser les mails, sauf pour le boulot. Je suis surprise qu’Ana ait même mon adresse.

Coucou Caméliope,

J’ai mis un peu de temps à pouvoir accéder à internet mais maintenant ça fonctionne bien. Maman a dû te dire qu’on avait eu beaucoup de retard avec l’avion. Huit heures à poireauter à l’aéroport de Zurich. Si on rajoute à ce retard le surpoids de ma valise à Charles de Gaulle, on peut dire qu’on commence mal ! Mais on nous attendait bien à l’aéroport international d’Indira Gandhi, du coup on n'a pas eu le temps de se sentir perdues !

Je sais que tu n’es jamais allée en Inde avec Berniqueji mais que tes enfants ont quelque part des origines entre l’Ile Maurice et l’Inde. Ce sont mes premiers pas à Delhi, un peu comme si je marchais sur la lune. Delhi est une des plus grandes métropoles indiennes, c’est à la fois la capitale administrative et politique du pays qui rassemble Old Delhi , le vieux quartier et New Delhi, qui ressemble plus à une de nos grandes villes avec ses grandes avenues aérées. On ne trouve pas les mêmes plantations. On a les banians, espèce voisine du figuier. On a les arbres ashokas , immenses, ce sont des arbres tropicaux de forme pyramidale.

A notre arrivée on a habité quelques jours dans la guesthouse du campus, une maison d’hôte pour les invités de passage. Puis on a emménagé dans un appartement rustique. Dans un quartier résidentiel populaire proche du campus de Delhi University. Ici on est très loin de New Delhi. Au nord de la ville, c’est le bout du monde. Avec Brianne, ma co-locataire originaire de Rennes, on part explorer la ville, un petit bout tous les jours. Je ne connaissais pas les Bretons et bien je t’assure que je ne m’ennuie pas avec elle, c’est déjà une très bonne copine. On se marre grave !

Le vieux Delhi fourmille d’activité. En s’y promenant, on comprend ce que c’est que de gagner son pain journalier. Les métiers sont très variés. Les quartiers ont leur spécificité. Ce matin par exemple, on est passées en auto-rickshaw dans le quartier du pneu. Un auto-rickshaw, c’est un véhicule tricycle utilisé pour transporter des personnes et des marchandises.

Il y a comme une coupure entre la nouvelle Delhi toute propre et spacieuse et le vieux Delhi tout congestionné et désordonné.

On a enfin réussi à débloquer nos bourses à la banque de l’université. Derrière les comptoirs, il y a une foule de fonctionnaires. Ils semblent s’activer sur d’énormes registres au papier jauni et racorni. On se demande comment fait le papier pour résister à l’humidité de l’air. Ces jours-ci, il fait toujours moite.

Quand on se promène, c’est un peu gênant. On est tout le temps dévisagées, voire déshabillées du regard. Les gens nous regardent, en fait, comme des bêtes de foire. C’est vrai qu’au zoo, on regarde sans gêne et sans dissimulation. Mais je boue ! Faut que je prenne sur moi pour ne pas trop m’agacer.

Bisous à mes trois mousquetaires

En lisant Ana, je retrouve la fraîcheur spontanée de la jeunesse, la franchise d’un vocabulaire sans fard. Encore une décennie de plus, et je me catalogue chez les vieux croûtons tout décrépis. La relation mère-fille s’apaise.

Je n’ai jamais exploré le monde, mis à part la migration que j’ai opérée pour le travail entre la Bretagne et la région parisienne. Je voyageais à travers Berniqueji et nos différences.

 Pendant les premières années, les conditions s’y prêtaient encore moins avec mes enfants alors bébés. J’avais du mal à sortir la tête de l’eau.

Maintenant, tout est différent. Parfois j’aimerais bien tout laisser et m’envoler. Laisser Capcity-le-Soubresaut. M’envoler avec mes trois enfants sans qui je ne peux vivre. Et pourtant, je me sens bien dans cette fichue ville. Les gens et les situations s’entremêlent sur la toile incroyable de fils de soie incassables et souples ! Sauter sur le filet en corde solide. S’agripper aux branches. Se propulser en trampoline dans tous les points cardinaux, corps renversé ou de travers.

 Lucifile m’invite à boire un thé. Elle a un nouveau parfum à me faire découvrir. Dès que Lucifile est revenue vivre dans l’immeuble, nous avons repris nos rituels de thé vaporeux et consistants.