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Chapitre 23

Chapitre 23

Publié le 25 oct. 2024 Mis à jour le 25 oct. 2024 Romance chick-lit
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Chapitre 23

 

Besoin d’un homme dans ma vie. Je me sens incomplète. Immaturité, acceptation d’un état de fait réaliste ou illusion ? Ouverture au monde avec des intuitions qui s’affirment. Pragmatisme harmonieusement tressé à du romantisme. Dans une salle d’attente je suis. Je suis inscrite sur Beethoc et je fais la morte.

Suite aux conseils judicieux de mes voisines en matière de séduction, je m’entraîne parfois au déhanché suggestif et féminin. Hier je portais des collants à Capcity-le-Soubresaut avec jupe et petit talon pour aller chercher mes enfants à la sortie de l’école. Aujourd’hui, je tente les bottes qui montent jusqu’aux genoux. Pas de talon aiguille, il ne faut pas exagérer mais les talons ont suffisamment de hauteur pour modifier ma démarche.

 La suite, c’est la vie qui l’écrit. Coup de théâtre sans préavis. Sur la colline d’une place parisienne qui domine les alentours. Au coin d’un escalier qui crache les détenus de transport en commun. Je rentre dans le fond tamisé d’une librairie. Grâce à mes bottes, je chaloupe du bassin. Un soir donc de début d’hiver, quelques jours avant la prétendue apocalypse, je feuillette un livre érotique, le vague au corps. Le décor est planté.

Une bourrasque, un grondement. J’ai simplement le temps de diagnostiquer quatre roues aux reflets violets fuser dans l’air feutré. Grognements, jurons, rencontre fortuite avec l’homme sous les tréteaux défoncés. Une pile de livres épars jonche le sol. Aussi rapide que la lumière trouble d’un midi éclatant, cet homme se confond en excuses. Avec un à propos délicat, toujours ramassé sur le sol, les rollers emmêlés à ses membres désarticulés et des pages de livres fichés dans les roulements, l’homme à l’origine de la pagaille ambiante, commence à me faire la promotion de certains des livres éventrés. Je glousse.

- Je vois que vous êtes au rayon érotique ! Alors, dans ce livre, il y a des scènes torrides !

- Oui, m’enfin, dans une librairie, il y a d’autres livres. Je ne suis pas intéressée simplement par ce genre de livre.

Et s’il me prenait pour une tordue ?

- Y a pas de honte, moi, par exemple, j’aime les descriptions sulfureuses. Pas vous ?

- Euh, si, bien sûr !

Je ne veux  pas non plus avoir l’air d’une prude bigote. Mais pourquoi ai-je répondu cela ?

Sans gêne aucune, il se lance dans la lecture d’un morceau de bravoure d’une partie de jambes en l’air à trois. Une histoire de campement au bord de la rivière, entre défloraison et sodomie avec des termes anatomiques compromettants et des opérations dont la rythmique acrobatique me semble curieusement peu plausible dans la vraie vie. Quelques badauds écoutent la lecture.

Pris chacun dans une réflexion commune, je cherche comme lui à mettre en scène la chronologie des actions si bien modulées par cet homme toujours ramassé sur le sol. Il cherche lui aussi, à mettre du sens dans la spatialisation des descriptions.

 A la fin de la lecture, quelques secondes de silence passent. Je finis par soupirer et renâcler. J’émerge à la réalité de la librairie. Il est temps de gommer le désordre ambiant. Je n’aime pas attirer les regards.

- Désolée, je dois y aller.

- Hé, vous n’allez pas me laisser comme ça ?

Je dégaine ma main.  

- Merci, fait l’homme en tendant la sienne.

- Non, passez-moi votre livre !

Le livre, source de tant de réflexions érotiques,  rejoint ses congénères.

- Bonne soirée !

- Ben non !

Comment ça non ? Visiblement me voir en contre-plongée le paralyse. Même avec ses roues, il pourrait se relever. Avec courtoisie, je lui suggère de réorganiser ses jambes en reprenant la position verticale. Seul.

- Vous pouvez vous relever !

J’esquisse un nouveau mouvement de départ. Mais l’Homme, toujours au sol, se frotte le mollet. J’hésite à déguerpir. Il s’est peut-être blessé. Le public, autant interessé par la scène que par la lecture, commence à filmer. Il est temps de lever le camp.

Cet homme a besoin de ma main. Je la lui offre même si je suis morte de rire en l’aidant à se relever. Je le hisse, non sans ajuster mon décolleté inexistant. Je sais y faire avec les pervers. Il se tient maintenant debout sur ses rollers, guère plus grand que moi car n’oublions pas que je porte mes grandes bottes de mannequin, aux talons improbables.  Je n’arrive pas à déceler s’il a mal ou s’il simule. 

  Sur le moment, je suis une dinde qui pouffe. Encore une réaction nerveuse liée au comique et à la tension de la situation.  La chute de l’homme et mes gloussements  lacèrent mon univers pseudo-statique. L’homme semble avoir une connaissance rock n roll de la littérature érotique tout comme il trouve naturel de rouler sur la moquette de la librairie en s’appuyant sur des étales branlants.

Debout mais vacillant, l’homme blond, est de stature moyenne et svelte. Le teint bronzé, comme s’il passait du temps en extérieur. Sa chevelure épaisse est décoiffée. Ses yeux noisette mordorés étincèlent derrière de petites lunettes cerclées de transparent. Il a de la chance que sa monture tienne encore sur son nez, quoiqu’elle soit un peu déglinguée. Cela ne semble pas le déranger. Sa barbe de deux jours rehausse la pulpe de ses lèvres roses.  Ce monsieur me fait une drôle de proposition.

 Il suggère de s’appuyer sur mon avant-bras pour se dégager de cette boutique. Processus actionné sous couvert de mon charisme et de mon altruisme qu’il semble deviner. Je cherche en vain un sac à dos propulsé par sa débâcle aux lustres ou sur la rampe de la mezzanine de la librairie dans lequel il aurait pu garer ses chaussures, mais rien. Ni banane ni tongues accrochées à sa ceinture. Il roule et marche sans parachute. Impossibilité de toucher le sol ferme avant d’être rentré chez lui. On est sur le terrain de l’adversité des roues jusqu’à l’ultime. Un forcené peut-être. Hypothèse déjà en travail.

Grâce à mon bras ciselé dans de l’albâtre, je soutiens nos deux corps. Sans le comprendre, je deviens secouriste dans une affaire érotique.  Nous nous affalons sur la banquette d’un café au mur tapissé de vieilles photos de cinéma. Presque à mon insu. Il y a quelques minutes, j’étais prête à laisser l’homme se débrouiller seul sur la moquette de la librairie. C’était compter sans mon empathie débordante. Me voici maintenant au café des cinéastes.

L’homme aux roulettes et Caméliope se saluent selon les codes sociaux de la bienséance. Le vieux tenancier lance un gros clin d’œil à l’homme en servant les deux pressions. Je glousse de temps à autre. Ce monsieur à roulettes ajuste toutes les secondes ses lunettes dont un verre pend maintenant sur sa joue droite. La monture garde des séquelles de la chute.

Tout est simple. Il parle et j’écoute. Il essaie bien de me poser quelques questions. Je reste légèrement mutique, mis à part les pouffements qui me font tressaillir à intervalle régulier et qui me donnent un charme fou, c’est certain.

– On ne peut pas dire que vous êtes une grande bavarde.

– Non.

Il mouline. Comme dans le passé proche avec ses roues. Cherche à instaurer un semblant de discussion sociable entre êtres adultes et consentants.

Je ne l’aide pas beaucoup. Me contente pourtant de répondre en abondance à ses questions. Problème. Mes mots ne dépassent pas le seuil de ma bouche. Je réponds dans ma tête. Il ne sait donc rien de ce que je pense.

Grosse erreur de stratégie. Dune et Lucifile n’ont pas pensé à me faire travailler la fluidité de la communication avec les hommes. Le déhanché ne suffit pas. Un profond malaise m’envahit. La timidité peut provoquer chez moi deux comportements diamétralement opposés. Pulsions d’audace de la scène de la librairie ou mutisme impénétrable au café des cinéastes.

Cet homme à rollers saura juste que je viens régulièrement dans les parages pour aller au cinéma. A peine ces mots presque inaudibles exhibés de mon excavation buccale que l’homme à rollers saute sur l’opportunité, alerte comme un foudre de guerre.

 

 

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