Chapitre 31
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Chapitre 31
Jour de vacances sans enfant. Ils sont en Bretagne avec mes parents. Multi-croisement, plate-forme marquée sous le signe de la rencontre et de l’ouverture, cet autre social. Au saut du lit, je regarde ma feuille de route format A3. J’y ai écrit avec des feutres de toutes les couleurs les différentes démarches administratives et courses dont je dois me débarrasser à Capcity-le-Soubresaut. J’aime m’inspirer des pratiques de ma voisine maîtresse dont les posca colorisent les fenêtres.
Dans un ailleurs frémissant, j’attends et me prépare à revoir cet homme. Une chaleur s’instille dans toutes les veinules en cloche de mon corps. Je rêve de sa bouche sur la mienne et ailleurs.
J’envoie des messages à quelques amis pour sonder leurs disponibilités. Dune a réintégré son appartement avec un fidèle compagnon félin, un mort-vivant revenu déjà deux fois du royaume des ombres. Petite visite à l’étage inférieur. Elle me raconte l’acquisition de son chat.
Il y a quelques semaines, bien avant l’épisode du nid de souris. Le parking de l’entreprise de Dune devient le fief sauvage d’une colonie de chats. Une collègue de Dune nourrit la bande féline, en douce. Jusqu’au jour de la dénonciation.
Trop de chats sauvages dans un endroit civilisé pour les automobiles. La Société Protectrice des Animaux, la Société Protectrice des Cheveux sont sur le coup. L’une veut récupérer les chats pour les faire adopter. L’autre pour vendre leurs poils sur le marché noir capillaire. Moins chers que les cheveux artificiels, les poils des animaux sauvages sont prisés pour reboiser le scalp des plus désespérés. Je me rappelle de ma dernière visite dans la boutique d’Esthair.
Aucune des associations n’obtient gain de cause. Les supporters de part et d’autre lancent une collecte auprès des collègues de Dune. Pour gagner l’argent des vaccins demandé par la SPA. Pour faire traiter le poil des chats par la SPC. Personne ne donne et ne semble s’inquiéter du sort de ces félins du parking.
Un week-end. Soutenue par Dune, la collègue tente un coup de force. Elle laisse les chats s’introduire dans les bureaux open-space. En arrière-plan, l’idée coopératiste d’une adoption massive et collégiale des chats.
Début de semaine, découverte du carnage. Déjections sur les bureaux et écrans plats. Lacération des fauteuils, morsures de la moquette…Une entreprise de dératisation intervient en urgence pour gazer cette faune toxique. Fiasco de l’opération Adoption Massive.
Dune attrape le chaton caché dans le vase qui trône à côté de l’écran. Il regarde, apeuré, ses congénères se faire exterminer. Il est tout mouillé. L’eau lui a sauvé la vie. Elle le fourre dans son sac et le ramène in extremis chez elle.
Ce chat, elle le met en garde chez l’hystérique de mon voisin de palier. La sorcière le confine chez elle au royaume des morts, contre quelques deniers trébuchants. Un chat, aussi bon nageur soit-il, ne pourrait que se noyer dans le chaos pictural de l’appartement de Dune. Pourtant, ce chat a un lien fort avec l’eau. Il est amphibien.
La situation a changé depuis l’histoire des billes blanches des souris. Il lui faut maintenant un chat.
Ma voisine du dessous ne veut plus jamais revivre l’épisode des souris dans sa cuisine. Ré-investir sa maison, oui mais seulement si elle a un chat. Récupérer le chat du parking lui semble une bonne solution. Négociations sévères à venir avec la sorcière ardéchoise qui semble avoir fait du chat son jouet souffre-douleur.
Dune a aussi besoin de réorganiser son intérieur et son atelier pour permettre la fluidité d’un déplacement félin chez elle. La situation pousse Dune dans ses retranchements de rangement. De fait, elle doit au plus vite réaménager son appartement pour accueillir Chat. Pendant ma semaine de vacances en Bretagne, une fois les souris évaporées, elle entreprend avec Ogron et le voisin de l’hystérique de ranger ses palettes et ses toiles qui jonchent murs et sols. Une fois l’appartement défriché, elle commence les pourparlers avec l’hystérique pour récupérer le chat. La sorcière ne veut pas le lâcher. Il lui faut inventer une obligation de soins dentaires et capillaires pour que la peur de dépenser la fasse lâcher l’animal. Surtout sans mutuelle animalière.
Entre les frasques de Dune et celles de sa fille Ana, je suis certaine de ne jamais manquer en épices quotidiennes. En témoigne le dernier mail d’Ana qui continue à s’imbiber de ce qu’elle perçoit autour d’elle, toute papille en émois.
Coucou,
Ici miss Ana du haut de son perchoir. Je suis engoncée comme une oie ventripotente dans toute ma garde-robe superposable. Il fait toujours aussi froid et j’observe la maison d’en face en chantier. L’œil nu suffit. Je pense que les voisins se sont habitués à nous voir profiter de la terrasse à tout moment de la journée.
Les propriétaires habitent visiblement le rez-de-chaussée et veulent agrandir leur maison de deux étages supplémentaires. Une vingtaine d’hommes, un tracteur et un petit camion entrent en scène un beau réveil. Les paons crient dans le parc. Chaque jour apporte sa pierre de taille au chantier.
Première étape, les abris provisoires construits auparavant sur le toit du rez-de-chaussée sont démolis. Les ouvriers cassent les briques et les tôles colorées en jaune à coup de marteau. Ils préparent la masala. C’est un mélange de ciment, de sable rouge et d’eau pour commencer à monter les nouveaux murs de séparation en briques rouges. La répartition des tâches est clairement définie sous l’œil d’un contremaître. Certains déchargent le matériel et le montent le plus souvent à l’aide de baquets sur leur tête. D’autres préparent la masala ou montent les murs. Le squelette de l’étage est formé avec les ouvertures des portes, des fenêtres et des bouches d’aération. Puis les ouvriers clouent des planches sur toute la longueur qui fera le plafond. Je me rends compte alors que les planches couvertes d’une bâche noire plient non pas sous le poids des ouvriers maigrichons mais sous celui des enfants de la maison. Ils mangent tout un tas d’aliments gras.
Trois hommes chétifs déchargent des sacs de ciment. Celui qui est dans la benne du camion attrape les extrémités du sac avec deux crochets de fer pour les jeter alternativement sur la tête des deux autres hommes. Ensuite les deux hommes les entassent méthodiquement dans l’enceinte extérieure de la maison. La poudre nocive du ciment voltige, ils sont tous les trois masqués de la tête au pied. Je ne vois pas un bout de peau à découvert. Comme ils se couvrent c’est qu’ils doivent être conscients du danger. Mais ils semblent inconscients de l’inefficacité de leur accoutrement loqueteux face aux émanations toxiques de ce qu’ils manipulent. Le travail avance vite et le camion est rapidement vidé. Le ciment est étendu sur le sol du deuxième étage et sèche maintenant autour de longues tiges de fer. Les ouvriers finissent enfin par retirer les planches de bois qui servaient d’étais jusqu’à maintenant.
Brianne se demande vraiment ce que je peux trouver de si passionnant à mater les environs. J’aime bien disséquer et observer attentivement.
C’est un travail en grande partie manuel sans bruit de machine, avec seulement des martèlements. On scie des planches. Les vieilles briques cassées sont jetées au coin de la rue. Elles sont régulièrement ramassées par un camion pour être remises d’aplomb dans leur prochaine vie. Les ouvriers travaillent en chappals, sans gants ni casque. Les chappals ce sont les tongues en plastique. De hautes et solides tiges de bois de bambou sont attachées entre elle par des brelages en corde de jute. Ces hommes agiles grimpent vers le ciel. Je constate que le bambou est ultra flexible. Il plie sous le poids plume de ces hommes mais résiste. Travail à la chaîne, les femmes participent, portent et soulèvent.
J’adore. Je n’ose imaginer une année passée sur les strapontins d’un amphi !
Je t’embrasse très fort
Ana
A la lecture du dernier message d’Ana, je ne peux m’empêcher de lui répondre en relatant les derniers démêlés de sa mère avec la gent animale. Je me poile en décrivant les agissements de Dune ainsi que l’imagination extravagante d’Ogron pour atterrir dans sa cuisine. Cocasse.
Effectivement, je ne vois pas Ana de retour aussi facilement sur les strapontins d’un amphithéâtre étudiant. Tout se passe bien pour Ana, aucun nuage ne présage la suite.
Autre avancée, Ogron a dépassé le stade de la réflexion pour passer à l’action. Il refuse que son concept de caricature à l’amiable se transforme en procédé vil de la vengeance. Il dépose son brevet. A chaque dérapage, les contrevenants ont une amende. Solution finale ou pas. A suivre.