Chapitre 27
Sur Panodyssey, tu peux lire 30 publications par mois sans être connecté. Profite encore de 29 articles à découvrir ce mois-ci.
Pour ne pas être limité, connecte-toi ou créé un compte en cliquant ci-dessous, c’est gratuit !
Se connecter
Chapitre 27
Nous allons une première fois au cinéma avec sa fameuse carte duo illimitée. Puis une deuxième, une troisième fois. Les séances pour s’enchaîner chaque jour, propices à des rapprochements juvéniles dans la pénombre de la salle. J’aimerais me sentir capable de faire le premier pas. Mais non. Je crève d’envie qu’il m’embrasse. Pourtant je suis dans un tourniquet de porte d’entrée. Entre mon désir vivant d’un rapprochement charnel et mon blocage intérieur. Je rumine. Me fais des films aussi de chevalier servant sur son cheval blanc.
La rigueur implacable du quotidien me rattrape. Même si la charge de la logistique de la vie m’ancre dans la réalité, je décroche souvent en m’imaginant des scénarios romanesques et érotiques. Mes enfants me houspillent quand je rêvasse. Ils ont besoin d’une maman présente.
Je le vois bien. Tranquillement, sans se presser, Gaspard me fait la cour. Dans une société de consommation des corps et des cœurs, où Beethoc règne en despote, Gaspard imprime son tempo. Cela m’agace, m’étonne. Sa constance finit par m’impressionner. Après tout, je pourrais lui sauter dessus. Et si je ne le fais pas, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même.
Puis Gaspard, imperturbable, me plante sur des rollers. Tout en virevoltant autour de moi, il m’initie à la pénible joie de la glisse débutante. J’apprécie de tomber dans ses bras. Gaspard, mon frein, ma sécurité finale avant l’écrasement sous les roues des engins motorisés. Je sens ses mains qui me poussent au creux des reins. Chaque affleurement déclenche en moi des fourmillements. Ma libido s’émoustille. Des bouffées de désir me submergent. J’attends pourtant. J’imagine ses lèvres, je sens son corps.
Lors d’un brunch dominical, je me confie à Lucifile et Dune. Elles suivent de près mes aventures avec Gaspard.
- Vous en êtes-où tous les deux ?
- Il m’apprend le roller …
- Mais vous sortez ensemble quand vous êtes au cinéma ?
- Non, pas encore de rapprochements physiques !
- Il aurait pas un problème ?
- Oui, c’est étrange. D’habitude, la relation physique a lieu plus vite.
- C’est vrai que ça me titille !
- Pourquoi tu lui sautes pas dessus ?
- Il est peut-être impuissant ?
- Et si c’était pas vraiment un homme ?
- Tu veux dire une femme ?
J’arrête les filles net. Elles vont trop loin.
- Vous délirez. Finalement y a rien de surnaturel.
- C’est vrai que la société actuelle pousse à la vitesse et à l’immédiateté !
- Ben oui, regarde Beethoc. On dirait des bouts de viande dans un catalogue !
- Tu pourrais aussi faire le premier pas …
-Bon, à suivre, les filles.
J’ai besoin de réfléchir, de fuir aussi. Notre conversation ravive mes doutes. Et puis j’ai rendez-vous justement avec lui cet après-midi.
L’homme fait du surf quand il a du temps de libre, hors travail, hors enfant. Je suis contente qu’une initiation sur la Seine ne soit pas envisageable. Le roller, je n’y coupe pas. Mais peu à peu, des sensations agréables m’envahissent. Je n’ai plus mal aux pieds. Je déteste rouler sur les routes pavées. J’adore arriver au bout des obstacles, heureuse de freiner dans les bras de Gaspard. Je suis pleine d’espoir. Va-t-il enfin m’embrasser ?
Après notre promenade sur les quais de Seine, je rechausse mes chaussures de ville. Gaspard n’a que ses rollers. Je suis déçue. On a encore du temps avant que je ne récupère mes enfants. Visiblement, Gaspard a prévu de rentrer directement. Une nouvelle fois rien ne se passe. Je suis frustrée. Fâchée contre moi-même. Lui, il n’a pas l’air mal au point. Egal à lui-même. Je ne comprends peut-être rien de lui.
La vie reprend entre le travail et mes enfants. J’aime les accompagner pas à pas et répondre à leurs besoins d’oisillons. Je souffle lorsqu’ils vont chez leur père.
Un autre jour. Nouvelle séance de cinéma avec Gaspard. Je choisis une comédie, toute contente de la découvrir avec lui. La salle est comble. Je n’aime pas être assise à côté de personnes inconnues. C’est mort pour cette séance à nouveau. Nos cuisses se frôlent mais nos mains restent sagement sur leur territoire. Pas de baiser en vue. J’ai en tête les propos de mes voisines. Je suis immobile et n’esquisse pas un geste.
- Sympa de voir le film une deuxième fois, déclare Gaspard.
- Comment ça, tu l’avais déjà vu ?
- Oui, avec la voisine !
- La mamie que tu sors parfois ?
- Une amie ! lâche-t-il d’un ton indéfinissable.
Je me détourne ouvertement de lui.
- J’aimerais rentrer, marmonné-je.
Je n’ai plus envie de parler. Je me renferme dans un mutisme impénétrable. Comme l’impression d’être le dindon d’une farce. Gaspard me ramène vers mon métro. Il me tient le bras. Je le laisse faire, sans réaction. Je m’apprête à le quitter sans un mot lorsqu’il me prend dans les bras et m’embrasse soudainement.
Pas le temps de le voir venir. Je fonds sous son baiser spontané. Il balaie tout mon énervement et allume un feu en moi.
- C’est toi que je veux, me murmure-t-il.
- Mais cette voisine ?
- C’est la mamie que je sors parfois …tu réagis tellement vite !
- Quand même, je pensais découvrir avec toi le film…
- Le bonheur est le même…
Saleté d’impulsivité qui me joue des tours et piège mes émotions.
Nouvel acte qui dégage définitivement le rideau. Je m’imbrique avec Gaspard. Notre premier baiser. Indicible, chaud, mouvant. Le soleil dégage avec férocité le brouillard.
Rythmée par la scolarité des enfants et la gestion familiale, je laisse mûrir cette envie de l’autre dans un fouillis ordonné par mes cheminements intérieurs. Je suis enchantée de relâcher la pression afin de profiter pleinement de mes petits et des sentiments amoureux naissants qui m’animent.
Mes voisines restent vigilantes.
- T’emballe pas trop !
- Une fois que tu seras passée à la casserole…
- Oui, on ne sait pas qui il est.
- Laissez-moi rêver !
Délices suaves de la mièvrerie, je suis en amour. Tryptique tête, cœur et corps emplis de lui, je divague. Piètre confit de la condition humaine, je suis cette eau de rose aux confins de bonheur.