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Blank Out

Blank Out

Publié le 24 août 2020 Mis à jour le 24 août 2020 Politique
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Blank Out

Clara Blank, ce fut le cas d'un de mes premiers accompagnements. Elle souhaitait obtenir une aide à la transition. Elle arrivait du Canada, pays qu’elle avait choisi pour l’excellente éducation dispensée aux enfants. Elle a alors un petit garçon. Son époux est libanais. Électricien ou plombier. Je ne me rappelle plus exactement.
– Il peut travailler n’importe où dans le monde.
Clame-t-elle pour expliquer leurs changements fréquents, puisqu’elle-même, fille de diplomate, formée aux humanités, parcourait le monde depuis plusieurs années au gré de ses missions en ONG.
– Je suis de passage à Paris. Nous sommes au mois de juin et en septembre je serai partie, certainement au Brésil. Mon fils est chez mes parents. Mon mari dans sa famille à Beyrouth. J’ai tout mon temps pour réfléchir.

Elle se plie aux rencontres hebdomadaires. La libre parole lui va bien. Parfaitement décomplexée, elle aborde tous les sujets : son ambition, son désir, ses incompréhensions, ses projets.
Elle est claire mais aussi blanche, translucide. Son nom et son prénom lui sont fidèles.
– Je ne suis pas auprès de mon mari pour ce temps de vacation parce que ma belle famille m’ignore complètement.
Beaucoup de femmes, de tantes, de sœurs, et lui, le garçon.

Auprès de ses parents, elle est en lien très fort avec son père. C’est grâce à lui qu’elle a eu une enfance qu’elle dit de rêve. Au Moyen Orient. Tel qu’elle en parle on se croirait chez Lord Mountbatten aux Indes. Son père est effectivement britannique et ses manières sont exquisites. Sa puissance politique n’offre pas non plus de doute. Clara est d’apparence méditerranéenne, probablement du côté de sa mère, dont elle parle peu. Elle l’aime assurément pour sa discrétion et pour l’avoir aimée telle qu’elle est, exubérante et précieuse auprès de son père. Intelligente et pragmatique, elle est devenue, travailleuse et dirigiste. Ce sont des postes à responsabilité qui lui sont confiés à l’issue de ses études en sciences politiques.
– Et votre mari, est-ce au travail que vous l’avez rencontré ?
– Exactement. Il a fait quelques travaux au camp de base de l’ONG de mon passage au Liban. Il est très bel homme et très doué de ses mains. En choisissant le Brésil pour prochaine installation je redoute qu’il ne trouve pas sa place. Là bas les ouvriers du bâtiment sont de véritables pions !
– Pourquoi tenez-vous autant à cette destination ?
– La vie y est douce pour les upper class. Les résidences sont de rêve. La compagnie est exquise. Tous les privilégiés se connaissent…
– Comme au Canada…
– Je pensais trouver cela au Canada mais j’ai précipité mon départ, déçue tant de l’éducation, de qualité, certes, mais très anonyme, que du manque d’intégration dans les cercles qui me corespondent. Il est une supériorité aborigène qui m’est insupportable. Seul mon mari avait aisément trouvé sa place. Il est serviable et gentil. Rigoureux et partenaire avec ses collègues. Pas de problème pour lui. Il a accepté de renoncer à sa situation, de prendre avec moi cet espace de transition et ce temps vacant en attendant la prochaine rentrée.
– Il est rentré dans sa famille et vous dans la vôtre.
– Peut-être que le retour « au bercail » fait partie du processus. Ce sont des bergers, ses aïeuls mais je ne veux pas être méprisante.

Je ne relève pas cet élément de haine inhérent à toute passion amoureuse.

– Tout processus de transition intègre un processus régressif, oui. Restons centrées sur vous. Que trouvez-vous comme objet transitionnel dans ce passage ? Comme support affectif ?
– Les discussions avec mon père tandis que maman pouponne son petit fils sans aucun doute. Cela me fait penser que je discute aussi avec vous, autrement…
– Il est là une dissociation intéressante de vos plaisirs d’enfance : les soins maternels et la séduction paternelle.
– Je me sens très adulte. Je parle à mon père d’égal à égal, dans de controverses professionnelles sans minauderie ni complaisance, et comme mon fils occupe ma mère, je ne suis pas l’objet de sa tendresse comme je ne l’aime pas.
– Oui. Il n’est aucun danger que le fantasme se réalise… Comme dans ces consultations du reste.
– C’est curieux que vous parliez de fantasme… Je ne comprends pas bien sa teneur dans votre discipline. Je ne connais que son acception sexuelle et c’est un fantasme amoureux qui motive mes consultations sans que j’ai trouvé moyen de le dire jusqu’ici.
– J’entends. – Je ne suis pas surprise ou plutôt oui, agréablement. Nous faisons escale dans le trou béant. Aux abords.
– J’ai voulu quitter le Canada soudainement car j’ai entretenu une liaison avec un homme qui est allé jusqu’à m’offrir une bague de fiançailles de grande valeur et me proposer de tout quitter pour l’épouser et devenir citoyenne canadienne, accéder aux privilèges dont il jouit… Cela m’a bouleversée. Je suis partie sans donner d’explication. Il me harcèle par Internet. Enfin pas vraiment. Mais je vis mal ses messages et ses attentions. Des pop up dans ma vie qui l’effacent par instants. Qui m’effacent moi !
– Voici une fenêtre ouverte que vous devrez refermer…
Nous sommes à la mi août. Clara et son fils vont rejoindre Lounis au Liban pour une dizaine de jours. Elle est contente de ce voyage. Elle semble aimer redevenir épouse et mère. Elle éprouve le nécessaire respect pour sa belle famille et elle a acquis une belle confiance dans le fait de mériter le même respect.
– Nous pouvons nous retrouver à mon retour et ensuite notre contrat sera rempli. Je partirai pour mon prochain destin. J’aurais plutôt envie de dire… foyer. Mon foyer. Comme c’est étrange.
Le séjour se passe à ravir. Simplement et tendrement. Aussi décidément comme Clara l’est, à propos, comme elle le recherche.

Clara conclut notre contrat et sans doute son serment personnel en précisant lors d’une dernière séance avoir renvoyé la bague par courrier recommandé à son prétendant. Elle a une place à l’ONU. C’est New York qui l’attend.

Clara y travaille toujours. Clara a fondé son foyer sans plus de transition, ni de peine perdue, ni de peine nouvelle. Heureuse expérience que je partage avec elle. Et avec vous à présent.

Lorsqu’une transition a été déçue, elle se répète, elle vous garde en transit ou alors elle se ravive lors d’une transition indûe. Certains rituels sont nécessaires mais surtout un travail en profondeur qui peut être court et précis, en groupe ponctuel et révélateur ou en colloque singulier avec quelqu’un « au clair » avec ses propres passages à vide, et assez meuble et vierge pour vous accueillir dans votre unicité et vous retourner à votre plus belle vie.

Eva Matesanz Psychanalyste Groupaliste – Journée de l’entre-deux le 31 août à Sens, en cette période porteuse des plus belles transitions, celles des réalisations - www.ever-mind.fr

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