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Chapitre 3 - Je crois qu'il est...mort

Chapitre 3 - Je crois qu'il est...mort

Publié le 24 janv. 2024 Mis à jour le 1 avr. 2024 Policier
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Chapitre 3 - Je crois qu'il est...mort

30 juin 1891, York Street, Marylebone, 9 h 57

— 146, York Street à Marylebone...C’est bien ici.

Alexander détacha ses yeux gris du bout de papier qu’il tenait dans sa main gantée pour regarder l’immeuble qui se dressait devant lui. Il n’avait pas cru à sa chance lorsqu’il avait vu la petite annonce du journal une semaine plus tôt. Une logeuse avait laissé une publication qui l’avait intéressé au plus haut point. Une femme cherchait quelqu’un pour vivre en colocation avec un homme avec un loyer assez abordable.

Cependant, il n’avait pas cru à sa malchance, en voyant le nom de la logeuse. « Miss Eleanor Withmore », c’était nom qui était écrit sur le papier de Strange.

Pourtant, face à ses échecs pour trouver un autre logement, il avait eu l’impression qu’il s’agissait de sa dernière chance d’améliorer ses conditions de vie. À l’inverse de Bermondsey, Marylebone était un lieu bien moins sujet à la pollution et au bruit des usines.

Ne souhaitant pas prendre le risque qu’un autre prenne la place, il s’était décidé à s’y rendre sans attendre, de se présenter et d’en discuter directement avec Strange.

Retirant son chapeau melon de ses cheveux blonds, Alexander passa une main dessus pour arranger les mèches que le doux vent de début d’été avait agitées. Il avait pensé à se raser et à tailler sa moustache. C’était son ultime espoir d’obtenir un logis plus confortable, il ne voulait pas la gâcher par une apparence négligée.

Après un ultime soupir pour se donner du courage, il passa le muret de pierre et s’approcha de la porte. Il toqua et attendit quelques instants. Des pas se firent entendre de l’autre côté, avant que le battant ne s’ouvre. Une femme d’une quarantaine d’années se tenait devant lui. Une longue natte brune tombait dans son dos. Son visage était marqué par quelques rides d’inquiétudes, mais ses traits étaient agréables. Elle portait une charmante robe bleu nuit et des bottillons à lacet.

— Bonjour, puis-je vous aider ? demanda-t-elle avec politesse.

— Bonjour, répondit le blond, êtes-vous miss Withmore ?

— C’est exact.

— Je m’appelle Alexander Wilson. J’ai rencontré votre locataire, M. Strange, il y a un mois, et je désirerais lui parler.

La logeuse s’écarta pour lui permettre d’entrer, un sourire aux coins des lèvres, et Alexander pénétra dans le hall d’entrée.

— Alors c’est vous, le fameux M. Wilson ! s’exclama-t-elle avec légèreté. Il m’avait dit il y a plusieurs semaines que vous passeriez tôt ou tard à propos de la colocation. Venez, suivez-moi.

L’entrée donnait directement sur la cage d’escaliers menant aux étages supérieurs. Bien que ce soit un immeuble censé être habité, il y régnait un calme plat. La décoration était sobre, mais les lieux avaient l’air confortables.

Miss Whitmore commença à grimper les marches, faisant grincer le bois, et son invité la suivit docilement. L’appartement qu’il convoitait se trouvait au deuxième étage, ce qui garantissait un peu d’exercice à chaque allée et venue. Son ouïe tenta de capter le moindre signe d’activité, mais une fois arrivé en haut des marches, il n’entendait toujours rien. Rien qui pouvait témoigner d’une présence humaine. Strange devait être très silencieux. Il y avait deux portes à cet étage, et l’une d’entre elles était entrouverte.

— Oh ! s’exclama la dame en posant sa main sur son front. Veuillez m’excuser, j’ai failli oublier quelque chose. Je reviens dans un instant. Entrez, je vous rejoins.

Elle désigna rapidement de la main la porte ouverte, avant de redescendre les marches. Alexander jeta un bref coup d’œil à l’intérieur de la pièce : elle semblait vraiment sombre.

La première chose qui le frappa en entrant fut la puissante odeur de tabac froid qui flottait dans l’air et agressait sa gorge. La seconde fut l’incroyable quantité de désordre qui semblait régner dans la pièce.

— Est-ce qu’il y a quelqu’un ? demanda-t-il, ses yeux gris scrutant la pièce. Strange, êtes-vous là ?

Ce fut seulement à cet instant qu’il remarqua quelque chose malgré l’obscurité. Plissant les yeux, il essaya de distinguer ce dont il s’agissait…

Des jambes qui pendaient en l’air.

Son cœur rata un battement, tandis que son regard remontait lentement vers le visage de la personne. Ses bras tombaient mollement le long de son corps, inerte. Une corde entourait son cou, retenue au plafond. Le blond s’approcha lentement, comme s’il ne contrôlait pas ses gestes. Il prit le poignet du pendu, et comme il s’y attendait, il ne sentit aucune pulsation dans ses veines.

— Seigneur… souffla Alexander, totalement pétrifié.

Il aurait voulu prévenir miss Whitmore, mais ses cordes vocales n’arrivaient pas à produire le moindre son. Aussi fut-il presque soulagé d’entendre des pas dans l’escalier, annonciateur du retour de la logeuse. Puis, remarquant qu’il ne devrait pas la laisser voir un spectacle aussi sinistre.

Retrouvant la mobilité dans ses jambes, il sortit rapidement de l’appartement, et tomba directement sur la brune qui remontait du thé.

— Miss, balbutia précipitamment l’homme, je… je ne sais comment vous le dire, mais…

Comment pouvait-il annoncer que son locataire s’était pendu dans le salon ?

— De quoi s’agit-il ? interrogea son interlocutrice en plissant légèrement les yeux.

— Je pense qu’il est… mort, admit finalement Alexander à mi-voix.

— Ah bon ? s’étonna miss Whitmore, ne semblant absolument pas chamboulée par cette nouvelle. Encore ?

Elle passa à côté de son invité, et pénétra à son tour dans la pièce. Elle esquiva aisément les obstacles sur le sol pour déposer le plateau avec le thé sur la table à manger. Elle s’avança jusqu’au corps avant d’attraper sa jambe et de la secouer brutalement.

— Sullivan, cessez donc de jouer au cadavre ! clama-t-elle avec force. Allons, debout !

Alexander la regarda faire quelque seconde, et fut sur le point de lui dire que cela ne servirait à rien, quand il entendit un grognement. Bouche bée, il vit la tête du présumé mort se redresser.

— Cela fait très exactement trente-quatre jours que vous n’avez pas mis un pied en dehors de cet appartement, continua la brune sur le ton de la conversation.

— Aaah, grommela l’intéressé en passant une main sur son front, comme s’il avait du mal à se réveiller. Mon Dieu… ma tête…

— À mon avis, il serait temps de vous trouver une nouvelle activité, continua la logeuse en se dirigeant vers les rideaux fermés.

Elle agrippa le tissu et le tira brusquement, le faisant grincer. Alors que la lumière du soleil inondait la pièce, le locataire poussa un cri effaré. Il se cacha les yeux à l’aide de son bras, comme s’il était agressé par un bandit.

— Pitié ! implora-t-il d’une voix douloureuse tandis qu’elle marchait vers la fenêtre suivante. Je vous en prie, miss Whitmore… ne me brusquez paAAAAHH !!

Alexander s’approcha lentement de Strange. Il n’avait pas vraiment changé en un mois, avec ses cheveux noirs en bataille. Cependant, il ne devait pas s’être rasé depuis un moment à en juger par sa barbe et sa moustache de trois jours. Ses habits étaient froissés et les premiers boutons de sa chemise étaient ouverts. Son gilet semblait un peu élimé sur les bords et sur le col. Une marque de coups frappait sa pommette gauche.

— Qui est-ce ? interrogea le pendu, se cachant toujours les yeux de ses mains.

— C’est M. Wilson, déclara la brune en déposant les tasses de thé sur la table. Il voudrait vous parler.

Immédiatement, le noiraud rouvrit les paupières, et un sourire satisfait éclaira son visage.

— Tiens donc ! s’exclama l’ancien inspecteur. Wilson, je commençais à désespérer de vous revoir !

— Tout le plaisir est pour moi, répondit Alexander, bien que son visage crispé le contredise.

— Seigneur, mais qu’est-ce que vous avez encore fait ? s’effara miss Whitmore, coupant net aux retrouvailles.

Elle se tourna vers son locataire, les sourcils froncés et le nez plissé, un verre vide à la main. S’approchant d’une démarche froide et presque menaçante, elle fixait le noiraud sans ciller.

— Vous avez encore bu ? Qu’est-ce que vous y avez ajouté ?

Strange passa sa main sur son visage, comme s’il avait du mal à aligner ses pensées.

— Vous permettez ? demanda le blond en désignant le verre vide.

La logeuse lui donna le récipient. L’odeur forte et les petites gouttes ambrées dans le fond l’informèrent qu’il avait contenu de l’alcool, et sûrement du whisky. Mais une senteur presque imperceptible de terre l’interpella.

— On dirait… de la morphine, annonça-t-il. C’est une substance utilisée comme analgésique ou comme sédatif…

— C’était une expérience, se défendit Strange comme s’il pressentait les remontrances de la quarantenaire.

— Et puis, comment avez-vous réussi à vous pendre sans en mourir ?

— AH ! s’écria soudainement le noiraud avec satisfaction et fierté. J’attendais que vous me posiez la question !

— Sullivan ! l’interrompit la brune. Vous ne pensez pas que vous pouvez en parler plus tard ?

— Vous plaisantez ? rétorqua le locataire, presque offensé. Je viens de faire une découverte capitale et vous voudriez que je garde le silence ? N’étiez-vous pas un peu curieuse il y a un instant ?

Miss Whitmore le contourna et dégagea un fauteuil en cuir recouvert de document, les posant sur une petite table.

— Asseyez-vous, M. Wilson. Il vaut mieux le laisser parler…

Le blond acquiesça d’un simple hochement de tête, et s’installa sur le siège. Il ne pouvait lui-même s’empêcher de se montrer intéressé par les déclarations du « pendu ».

— J’ai réussi un exploit encore jamais vu dans le monde, s’enthousiasma Strange avec fierté. J’ai simulé la mort par pendaison !

— Votre brillant esprit aurait-il la générosité d’éclairer la lanterne des simples mortels plutôt que de se complaire en congratulations ? le railla la brune avec un rictus amusé.

— Mais bien volontiers ! En réalité, se pendre sans en mourir est d’une grande simplicité. Un complice, à qui il suffit de verser un pot-de-vin, et un système simple sont suffisants.

Il déboutonna son gilet, avant d’écarter les pans du vêtement. Un assemblage de sangles en cuir enserrait son bassin et son torse.

— Cela permet de répartir le poids du corps de manière à ne pas être étranglé par la corde, déclara le noiraud. Un simple crochet dissimulé dans la corde qui s’attache dans le dos, et le tour est joué.

— Puis-je vous demander pourquoi avoir pris de la morphine ? intervint Alexander, intrigué par le stratagème.

— C’était pour simuler l’arrêt du cœur, expliqua son interlocuteur. Pendant un mois entier, j’ai bu deux verres d’alcool fort par jour. Mon rythme cardiaque en était devenu irrégulier. Et hier, j’en ai bu de nouveau, avec une dose de morphine, qui a ralenti mon cœur, donnant l’illusion que j’étais mort.

— Passionnant ! ironisa miss Whitmore en présentant une tasse de thé à son invité. Pouvez-vous me dire à quoi vous servait cette mise en scène ?

— À faire condamner un cadavre, répondit Strange avec assurance. Cependant, mon mécanisme comporte un léger inconvénient… je ne sens presque plus mes jambes et ma tête résonne comme une cloche à l’intérieur d’une église.

— Voilà qui vous apprendra à ne pas abuser de la boisson, répliqua sa logeuse. Vous restez enfermé ici pendant un mois pour en venir à vous pendre dans mon salon.

Le noiraud ne lui répondit pas, et prit un couteau dans la poche de son pantalon pour couper la corde au-dessus de sa tête. Il retomba sur le sol avec quelque maladresse, avant de se redresser péniblement. Une fois revenu sur la terre ferme, le locataire semblait de plus petite taille.

— Un jour ou l’autre, je me retrouverai dans l’obligation de vous confisquer toutes vos inventions, déplora la brune tandis qu’il s’asseyait dans le canapé en face d’Alexander.

Elle déposa sur une pile de papiers sa tasse de thé.

— Je vous en prie, faites donc, nourrice, s’impatienta Strange en croisant les jambes.

Le regard orageux qu’il reçut en guise de réponse le dissuada de continuer sa provocation. En revanche, il reporta son attention sur leur visiteur.

— Wilson, vous avez séjourné du côté de Bermondsey, n’est-ce pas ?

Le blond le regarda quelques instants, perplexe, avant de hausser un sourcil sceptique.

— Je suppose que c’est le moment où je devrais vous demander comment vous le savez.

— Votre odeur, reprit immédiatement le noiraud. Vous êtes sans doute resté ce dernier mois dans un quartier industriel, dans un endroit miteux et malodorant. Honnêtement, je ne pensais pas que vous prendriez autant de temps pour venir jusqu’ici. Dans le doute, le lendemain de notre rencontre, j’avais prévenu miss Withmore de votre venue.

— Vous l’avez prévenue trois semaines avant que l’annonce pour la colocation ne paraisse dans le journal ? s’interloqua le militaire.

— Je vous l’avais dit, non ? Tôt ou tard, je ne pourrai plus payer mon loyer seul. Elle le sait aussi bien que moi. Et vous, vous en avez sans doute assez de Bermondsey. J’ai donc bon espoir que si vous êtes ici, c’est dans le but d’emménager ici…

— Il n’y a aucun doute, soupira Alexander en esquissant un sourire amusé. Vous êtes vraiment très perspicace…

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Commentaires (2)

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Marie Bulsa il y a 3 mois

c'est sympa. bien écrit. bravo

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