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La mélancolie du gardien de phare

La mélancolie du gardien de phare

Publié le 30 sept. 2024 Mis à jour le 21 oct. 2024 Poésie et chanson
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La mélancolie du gardien de phare

Mais qu’est-ce que t’as gamin,

à me r’garder comme ça ?

Dévisager les gens, tu sais, ça s’fait pas.

Tes parents ne t’ont pas dit

de respecter les vieux,

qu’un beau jour, toi aussi,

tu finiras comme ceux

qui ont donné leur temps

sans jamais rien attendre,

à peine un merci, à peine un regard tendre.

La vie est si fragile, faut bien la protéger,

à peine plus fine qu’un fil, trop facile à couper.

 

Tu le sais, toi, gamin,

comment le monde est beau !

Que l’on traîne au jardin,

qu’on navigue les eaux…

Y a tant de choses à voir,

il y a tant de mystères.

C’est pas dans vos boîtes noires

que vous trouverez lumière.

Lève donc un peu les yeux

de ton monde pixels

et plonge-toi dans le bleu, dans le bleu du ciel,

prends-toi pour un oiseau,

envole-toi tout là-haut,

laisse donc aux ignorants la pâleur des écrans.

 

Allez va gamin, t’as bien autre chose à faire !

Va-t’en faire le malin

dans les jupons de ta mère.

Ne perds donc pas ton temps

avec ma triste gueule.

T’en fais pas mon enfant,

j’ai l'habitude d'être seul.

Oui tu sais, moi, avant j'étais un magicien

qui du soleil couchant aux lueurs du matin

protégeais, du naufrage, les navires de passage

en guidant les esquifs au plus loin des récifs.

 

Et puis un jour, gamin,

ils ont pris mes pouvoirs.

Je n'étais plus gardien,

je n'étais qu’un vieillard.

De ma tour d’ivoire, j'ai dû rendre les clés

sans même un regard,

tout juste remercié.

Jeté aux ordures comme un pauvre déchet

par une imposture qu’ils appellent progrès.

Mais si la technologie est l'avenir de l’homme,

que restera-t-il de lui

s’il s’y abandonne ?

 

Allez va-t’en gamin, je n’ai rien à t’offrir

que le vague chagrin

de mon cœur qui chavire.

Tu sais, le monde n’a que faire

d’un vieil homme amer.

Je ne suis qu'un gardien,

un gardien sans lumière.

 

Si tu savais, gamin, j'étais roi sur mon île.

Je ne regrettais rien de la grisaille des villes.

 

Moi, j’avais l'océan pour unique horizon

et quelques goélands

en guise de compagnons.

Sur la surface de l’eau

se couchait l’astre diurne,

remplacé aussitôt par son pendant nocturne,

c’est le ballet du jour qui danse avec la nuit,

c’est la mort et l’amour qui s’enlacent,

infini.

 

Allez va mon gamin, va-t’en faire le mariolle.

Laisse grommeler l’ancien,

la gapette de traviole.

Tes parents ne t’ont pas dit de pas importuner

les inconnus, les aigris,

et les personnes âgées ?

Laisse-moi à mes souvenirs,

mes plaisirs dépassés,

je te laisse l’avenir, j’suis pas intéressé.

Je m’en irai ce soir,

écoute bien gamin,

j’vais reprendre le phare

dont j’étais le gardien.

 

Gamin faut rentrer,

il commence à faire noir.

T'as pas l'âge de traîner,

de veiller aussi tard.

Tes parents ne t’ont pas dit

que le monde est dangereux ?

Tes parents devraient p’t'être

t’apprendre une chose ou deux…

Allez viens, j’te ramène,

j’vais pas t’laisser comme ça.

Mets ta main dans la mienne,

laisse-moi guider tes pas.

Tu seras voilier et moi je serai la lumière

qui saura t'éloigner des dangers de la mer.

 

Eh ben ça y est gamin ! Te voilà à bon port.

Va-t’en retrouver les tiens

tant qu’tu le peux encore.

Peut-être qu’un jour prochain

des robots à la con

s’occuperont des gamins,

de leur éducation.

Si nous sommes condamnés

à nous faire remplacer

par des ordinateurs,

des machines sans cœur,

je retourne à mon phare,

contempler l’horizon,

loin du peu d’espoir qu’offre l'évolution.

 

Allez va-t’en gamin, je n’ai plus rien à dire…

Que le vague chagrin

de mon cœur qui chavire.

Tu sais, le monde n’a que faire

d’un vieil homme amer.

Je ne suis que gardien et je cherche lumière…

Extrait de ''Nous n'irons plus voir la mer"

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