Pourquoi ne puis-je parler de lui qu’à la troisième personne?

À cette personne du lointain, du passé, ou de l’absence ?

À l’absence dont il est uniquement composé ?

Et que dans chaque présence je vois se dessiner

Et qui m’empêche de voir les ciels remplis de l’être

Que chaque enfant a dû croire bleu pour une raison bien précise et que personne n’a jamais su leur expliquer?

Mais moi j’ai compris - bien trop tôt - qu’il y avait de l’incompris pour les adultes aussi, de la déraison, de l’absurde, de l’injustice, de l’intolérable, de grandes absences et de l’irréfutable, de la froideur éternelle et des fins définitives.

« Il est parti » - c’est tout ce qu’elle nous dit.

Mes pieds froids dépassaient du lit brûlant et douloureux dans l’ombre de ce jour à peine levé.

Nous étions trois petits poussins, blotties contre leur mère: nous la couvions doucement, sans bouger ou presque, parce que son visage lourd était trempé et que pour une fois, elle n’avait parlé que très peu, et ses bras n’avaient plus la force de nous cueillir.

Le côté gauche du lit, son côté à lui, était froid. Un froid démentiel s’y creusait et nous l’évitions par crainte ou par respect pour le néant.

« Il est parti », pouvait-elle à peine répéter.

Il est parti

Son corps maigre a disparu

Sa voix profonde aussi

Son visage creusé par la fatigue et la maladie

Mais par l’amour aussi

Qu’il nous portait la fierté dans ses yeux gris

Et quand je lui offrais mon dernier dessin

Un ultime coloriage de lion et de savane

(Je m’étais appliqué car je sentais qu’il s’agissait peut-être du dernier)

Il le rangea soigneusement dans son tiroir d’hôpital

La main jaune et tremblante mais le regard empli d’une gratitude

Qui lui faisait bien trop de mal et qui lui rappelait sa très prochaine solitude

« Allez, il faut qu’il se repose »

Mais il savait déjà qu’il partirait bientôt

Pourquoi n’a t-il rien dit ?

Pourquoi est-il parti ?